Au vainqueur pour être exécuté par les fils de Coré. (v.1) - O Dieu,
nous les avons entendues de nos oreilles, nos pères nous les ont racontées, les
oeuvres que Tu as accomplies de leur temps aux jours anciens.» Un autre
interprète traduit : «Dans les jours qui ont précédé.» Un autre :
«Dans le commencement.» (Ibid., 2.)
1. Le Roi-prophète, dans ce psaume, parle non pas en son nom mais au nom des
Macchabées, et il raconte et prédit les événements qui devaient avoir lieu de
leur temps. Tels sont en effet les prophètes. Ils parcourent tous les temps
présents, passés et à venir. Mais il est nécessaire de faire connaître tout
d'abord ce qu'étaient ces Macchabées, aussi bien que leurs travaux et leurs
épreuves, pour jeter un plus grand jour sur le sujet de ce psaume. Lorsque
Antiochus-Épiphane fut entré dans la Judée, (Mac 1,11 et ss), en semant la
dévastation sous ses pas, et qu'il eut forcé un grand nombre de Juifs de
transgresser les lois et la religion de leurs pères, les Macchabées demeurèrent
invulnérables au milieu de ces rudes épreuves; et quand la guerre devenait si
accablante que toute résistance était impossible, ils se cachaient. C'est ce que
firent plus tard les apôtres eux-mêmes. Ils ne se jetaient pas continuellement
au milieu des dangers, mais ils s'y dérobaient quelquefois en se retirant dans
des lieux sûrs et ignorés. Puis, lorsque les Macchabées avaient tant soit peu
repris courage, ils sortaient de leurs retraites; comme de jeunes lions
vigoureux, ils s'élançaient de leurs cavernes, résolus à sauver avec eux tous
ceux qu'ils pourraient. Ils parcouraient les villes, la contrée tout entière,
ils réunissaient autour d'eux tous ceux qui étaient demeurés fidèles, et
relevaient le courage de ceux qui s'étaient laissé abattre et corrompre, en les
exhortant à revenir à la religion de leurs pères. Ils leur représentaient la
grande Bonté de Dieu qui ne refuse jamais le salut au repentir. C'est ainsi
qu'ils se formèrent une armée composée d'hommes d'un courage à toute épreuve.
Car ce n'était ni pour leurs épouses, ni pour leurs enfants et leurs serviteurs,
ni même pour sauver leur patrie de la destruction et de la captivité, mais pour
les lois et les institutions religieuses de leurs pères qu'ils combattaient, et
Dieu Lui-même était leur chef. Lors donc qu'ils marchaient au combat et qu'ils
exposaient leur vie, ils triomphaient de leurs ennemis, par la confiance qu'ils
avaient non dans leurs armes, mais dans la cause même pour laquelle ils
combattaient et qui était pour eux comme une armure invincible. Aussi, avant de
combattre, ils ne poussaient point de cris effrayants; ils ne chantaient pas,
comme quelques autres peuples, d'hymnes guerriers; ils ne menaient pas avec eux
de joueurs d'instruments, comme dans les autres armées; mais ils invoquaient le
secours d'en-haut, et priaient Dieu de prendre leur défense en main, puisque
c'était pour Lui qu'ils livraient bataille et pour sa Gloire qu'ils
combattaient.
Voyons donc quel est le langage de cette armée de Dieu, lorsque sous la
protection d'un Secours divin, elle est sur le point d'attaquer ses
ennemis : «Ô Dieu, nous avons entendu de nos oreilles.» Quelques-uns qui se
trouvaient dans leurs rangs, en voyant l'armée si nombreuse d'Antiochus, et son
ordre de bataille, se rappelaient ses premiers et si rapides succès et se
laissaient abattre et décourager, en jetant ensuite les yeux sur leur petit
nombre et leur faiblesse. C'est donc pour réveiller leur courage et les
convaincre que tout ici dépend de Dieu qui les conduit au combat, de Dieu qui
sans aucune armée peut, s'Il le veut, leur donner la victoire que le
roi-prophète fait aux combattants cette exhortation sous forme de prière, et
qu'en s'adressant ainsi à Dieu, il les remplit d'une intrépidité nouvelle. C'est
là en effet ce qui donne à son discours une vertu toute particulière, et il eut
eu beaucoup moins de force s'il se fût adressé directement à eux, au lieu de
s'adresser à Dieu. C'est dans ce même dessein qu'il ajoute : «Non, ce n'est
point leur glaive qui les a mis en possession de cette terre, ce n'est point
leur bras qui les a sauvés.» Quoi de plus propre à ranimer le courage de ceux
qu'effraie la perspective des dangers à courir, et qui cherchent la victoire par
des moyens naturels et tout humains ? Cette prière est donc une exhortation
à ceux qui composent cette armée de mettre toute leur confiance en Dieu, et de
faire dépendre la victoire de l'espérance qu'ils placeront en Lui. Mais pourquoi
au lieu de dire simplement : «Nous avons entendu,» s'exprime-t-il de la
sorte ? «Nous avons entendu de nos oreilles.» Par quelle autre partie du
corps peut-on entendre ? Est-ce donc là une addition superflue ? Non,
car c'est la coutume parmi les hommes, lorsqu'ils racontent des faits dont ils
sont plus certains ou qui ont à leurs yeux une importance plus grande, de
s'exprimer de la sorte vis-à-vis de ceux qui n'ont pas la même certitude, et de
dire qu'ils ont entendu de leurs oreilles. Et ce n'est pas seulement dans cette
circonstance, mais dans d'autres semblables que nous nous exprimons de cette
manière en invoquant le témoignage de nos sens. C'est donc comme nouveau motif
de crédibilité qu'on ajoute le témoignage des oreilles. Nous employons la même
locution à l'égard des yeux et des mains, comme lorsque nous disons : «Nous
avons touché de nos mains.» C'est ainsi que s'exprimaient les apôtres : «Ce
que nos yeux ont vu, disaient-ils, ce que nos mains ont touché.» (1 Jn 1,1)
Voyez par ce préambule seul quelle est la vertu des Macchabées. Ils avaient
mille fois souffert pour Dieu les plus rudes épreuves, ils étaient à la fois
bannis de leur patrie, privés de la liberté, exposés à toute sorte de dangers,
tandis que d'autres avaient été obligés de s'enfuir sur les montagnes et dans
les déserts. Et cependant vous ne les entendez pas dire à Dieu : «C'est
pour Toi que nous avons souffert toutes ces épreuves, viens à notre secours.» Il
semble qu'ils ne peuvent invoquer aucun de ces moyens de défense; ils n'ont
aucune confiance dans leurs oeuvres, et ils se réfugient dans les Bontés de Dieu
à l'égard de leurs ancêtres. Que ceux que rien n'autorise à compter sur leurs
actions, agissent de la sorte, rien d'étonnant, la nécessité leur en fait un
devoir. Mais les Macchabées pouvaient invoquer avec assurance le témoignage de
leurs faits héroïques, et cependant ils demandent à être sauvés non par le
mérite de leurs oeuvres, mais par cette même Bonté dont Dieu a fait preuve à
l'égard de leurs ancêtres; peut-on trouver une preuve plus grande d'humilité, et
tout ensemble de courage et de générosité ? En effet, l'invocation seule du
Nom de Dieu suffit pour mettre en déroute les armées les plus nombreuses et les
plus aguerries.
2. «Nos pères nous ont raconté.» Prêtez ici l'oreille, vous qui ne prenez
aucun soin de vos enfants, qui leur laissez chanter des chants inspirés par le
démon, et qui n'avez que du mépris pour les récits sacrés. Tels n'étaient point
les Macchabées, ils passaient leur vie à écouter le récit des grands événements
dont Dieu était l'auteur, et ils en recueillaient un double avantage. Ceux qui
avaient été l'objet de ces bienfaits, trouvaient dans leur souvenir un motif
pour devenir meilleurs; tandis que leurs enfants puisaient dans ces récits une
connaissance plus approfondie de Dieu, et se sentaient excités à imiter les
vertus de leurs pères. Les livres saints étaient pour eux comme la bouche des
auteurs de leurs jours; et dans toutes les écoles, dans toutes les institutions,
on enseignait ces récits dont rien ne pouvait surpasser ni l'agrément, ni
l'utilité. Si, en effet, la simple narration d'événements indifférents, si des
fables, des fictions sont souvent pleines d'attraits pour ceux qui les écoutent,
combien plus les récits où se manifeste, avec tant d'éclat, la Bonté de Dieu, sa
Puissance, sa Sagesse, sa Providence, devaient-ils charmer ceux qui étaient
fidèles à les entendre, et les exciter à devenir meilleurs ? Ceux qui
avaient été les témoins de ces événements et qui les avaient vus de leurs yeux,
en transmettaient le souvenir à leurs descendants, et le sens de l'ouïe était
pour ces derniers un motif de certitude aussi fort que celui de la vue. Car la
foi n'était pas moins ferme dans ceux qui n'avaient point été les témoins
oculaires de ces prodiges, que dans leurs pères sous les yeux desquels ils
s'étaient accomplis. Or, c'était là pour eux un exercice utile pour leur
foi.
Voyons maintenant quelle est leur prière et si elle est conforme à celle de
leurs pères. En effet, celui qui adresse à Dieu une prière et veut en assurer le
succès, doit s'appuyer en priant sur l'exemple de ceux qui ont déjà obtenu une
grâce semblable. Je m'explique : Un serviteur nous demande une faveur; s'il
nous allègue qu'un autre l'a déjà obtenue, c'est pour nous un motif déterminant
pour la lui accorder à lui-même, à moins qu'il n'y ait défaut d'analogie soit
dans la personne qui demande, soit dans la grâce qu'elle sollicite. Ainsi, celui
qui a obtenu cette faveur est-il dans la même condition que celui qui demande,
et l'objet qu'il demande est-il semblable ? l'exemple allégué est juste.
Mais si l'un mérite de recevoir cette grâce, tandis que l'autre en est moins
digne, il faudra que la prière redouble ses instances. Rendons cette vérité plus
claire par un exemple tiré des Écritures. Lorsque la Chananéenne eut entendu
Jésus lui dire : «Il n'est pas bon de prendre le pain des enfants et de le
donner aux chiens», elle Lui répondit : «Il est vrai, Seigneur, mais les
petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres.» (Mt
15, 26-27.) Et saint Paul écrivait aux Corinthiens : «Si d'autres usent de
ce pouvoir à votre égard, pourquoi n'en userions-nous pas plutôt
qu'eux ?»(1 Cor 9,12.) L'Apôtre prouve par la différence qui existe entre
les autres et lui qu'il a plus de droits à cette faveur. Il écrit encore à
Philémon : «Les coeurs des saints ont été soulagés par vous.» C'est
pourquoi, bien que je puisse prendre en Jésus Christ une entière liberté de vous
ordonner une chose qui est de votre devoir, néanmoins, à cause de l'amour que
j'ai pour vous, j'aime mieux vous supplier.» (Phm 7, 8.) Ici les deux termes de
la comparaison sont égaux. Lorsqu'on a en effet reçu une première grâce, c'est
pour ainsi dire une introduction à une seconde, si toutefois le second
solliciteur est semblable, ou si l'objet de sa prière est le même. Et ce ne sont
point seulement les grâces qui ont été accordées aux autres, mais celles qui
nous ont été accordées à nous-mêmes qui peuvent donner une nouvelle force à la
prière. C'est encore ce que fait saint Paul en écrivant aux Philippiens :
«Car vous m'avez envoyé deux fois à Thessalonique ce qui m'était nécessaire.»
(Ph 4,16.) Aussi beaucoup de ceux qui donnent en plus grande abondance font
cette recommandation : Ne le dites pas à d'autres. Ils craignent que les
dons faits à un seul ne leur amènent de nombreux solliciteurs auxquels ils ne
pourraient refuser ce qu'ils demandent, après avoir donné une première fois. On
conçoit du reste que les hommes fassent cette recommandation, parce qu'ils
s'appauvrissent en donnant. Dieu, au contraire, publie hautement les dons qu'Il
répand sur les hommes pour engager les autres à Lui en demander de nouveaux. Car
plus Il donne, plus Il fait éclater son inépuisable Richesse. C'est ce qui fait
dire à saint Paul : «Il répand ses Richesses sur tous les hommes et sur
tous ceux qui L'invoquent.» (Rm 10, 12.) Admirez cette richesse d'une nouvelle
nature, imitez aussi vous-mêmes cette Libéralité divine. En effet, lorsque vous
donnez les richesses que vous avez en réserve, c'est alors que vous les
augmentez : si au contraire vous aimez mieux les enfouir, vous les
diminuez. Et qu'y a-t-il d'étonnant que ce phénomène se reproduise dans les
choses spirituelles, puisque nous en voyons tous les jours des exemples dans les
choses matérielles ? Si par un motif de parcimonie, vous ne faites point
usage du blé que vous avez amassé, et que vous ne le semiez pas dans la terre,
il devient la pâture des vers; si au contraire vous le dispersez en le semant,
vous recueillerez une abondante moisson.
3. Écoutez cette vérité, vous à qui l'aumône coûte tant à faire. Écoutez,
vous qui diminuez vos richesses en voulant les conserver. Écoutez, vous qui
n'avez rien de plus que ceux qui ne sont riches que dans leurs songes. En effet,
les choses de la vie présente ne sont en réalité qu'un songe. De même donc que
ceux qui s'imaginent en dormant posséder de grandes richesses, fussent-ils alors
les maîtres des trésors des rois, sont les plus pauvres de tous les hommes
aussitôt que le jour vient à poindre; de même, dans la vie présente, celui qui
ne peut rien emporter de ses richesses dans l'autre vie est le plus pauvre des
hommes, quand bien même ici-bas il aurait possédé de grands biens, car il n'a
été riche qu'en songe. Si donc vous voulez me montrer un véritable riche,
montrez-le-moi lorsque le jour sera venu, lorsque nous serons entrés dans la
patrie; car ici-bas, je ne puis distinguer un riche d'un pauvre. Nous n'avons
point ici la réalité des choses, ce ne sont que des noms spécieux qui nous
trompent. Il en est qui donnent aux aveugles le nom de polubléponta, dont la vue est très étendue, bien que la
réalité soit contraire à ce nom; ainsi je ne crains pas de dire que le nom de
riche est porté ici-bas par ceux qui ne possèdent rien. C'est justement quand
cet homme est riche d'après le langage ordinaire que je découvre sa grande
pauvreté. En effet, s'il n'était dans la dernière indigence, il ne chercherait
pas à amasser de si grandes richesses. On ne donnerait point à un aveugle le nom
de polubléponta, c'est-à-dire qui voit beaucoup de choses, s'il n'avait perdu
entièrement la vue; il en est de même pour le riche.
Laissons donc ces noms qui nous trompent, pour nous attacher à la vérité. En
effet, la réalité des choses ne consiste pas dans les noms, mais c'est la nature
des choses elles-mêmes qui leur assigne les noms qui sont conformes à leur
essence. Vous appelez cet homme riche, il ne l'est pas en réalité. Et comment ne
l'est-il pas, lui chez qui on voit regorger l'argent, l'or, les pierres
précieuses, les riches vêtements, et tous les autres biens de la terre ? Parce
que ce n'est ni l'or, ni les vêtements précieux, ni les richesses, mais l'aumône
seule qui rend un homme vraiment riche : je ne vois là que de l'herbe, du
bois, de la paille. Dites-moi, en effet, quel vête- ment sera capable de couvrir
la nudité de celui qui se tiendra devant le Tribunal redoutable de Dieu ?
C'est ce que craignait saint Paul quand il disait : «si toutefois nous
sommes trouvés vêtus et non pas nus.» (2 Cor 5, 3.) Quelles richesses pourront
l'arracher à de si grands dangers; quels serviteurs, quels palais, quelles
pierres précieuses, pourront le garantir des châtiments qui lui sont infligés,
quels bains pourront alors laver les souillures de ses péchés ? Jusques à
quand donc vous séduirez-vous ainsi vous-même ? Jusques à quand
fermerez-vous les yeux à la vérité pour rechercher ardemment de vains songes,
alors que le jugement est si près, et qu'il est à votre porte ?
Mais revenons à ce qui fait l'objet de ce psaume. «Nos pères nous ont raconté
l'oeuvre que Tu as accomplie de leur temps, aux jours anciens.» On peut aussi
donner à ces paroles un sens anagogique. Car bien que leurs pères leur aient
raconté ces merveilles, la Grâce de Dieu nous a donné par l'Avènement du saint
Esprit de connaître les oeuvres qu'Il a opérées en leur faveur. Or, comment
entendre ces paroles dans le sens anagogique ? En les appliquant aux faits
éclatants de la loi de grâce qui nous a introduits dans le ciel et nous a rendus
dignes du royaume éternel. Dieu S'est fait homme, et la muraille qui nous
séparait de Lui a été renversée. Reprenons le sens historique : «L'oeuvre
que Tu as accomplie de leur temps, aux jours anciens.» Le Roi-prophète rappelle
le souvenir d'événements anciens et de faits qui se sont accomplis bien des
siècles auparavant. Et pourquoi ne fait-il pas allusion aux faits plus récents ?
Lorsque nous parlons aux hommes, nous choisissons des événements presque
contemporains pour les attirer à nos idées, à cause de la faiblesse de leur
mémoire. Mais Dieu connaît également toutes choses, les anciennes comme les
nouvelles. «Voici que Tu connais toutes choses, dit ailleurs le Roi-prophète,
l'avenir comme le passé.» (Ps 138, 5). Il importe donc peu que les faits
historiques soient anciens ou nouveaux, pourvu qu'ils aient rapport au but qu'on
se propose. Mais quel événement ancien le Roi-prophète veut-il ici représenter à
Dieu ? «Ta Main a exterminé les nations, pour rétablir nos pères en leur place,
Tu as frappé les peuples et Tu les as chassés de leur demeure.» (Ibid. 3).
Avez-vous reconnu de quelle guerre il est ici question, de quelle victoire, de
quel triomphe ? Est-il besoin que je vous l'explique ? Je suis persuadé qu'un
grand nombre d'entre vous comprennent le sens de ces paroles; mais en faveur de
ceux qui pourraient l'ignorer, je crois nécessaire d'entrer dans quelques
développements. Quels sont donc les triomphes, quels sont les faits éclatants
dont le Roi-prophète rappelle ici le souvenir ? Ce sont ceux qui se sont
accomplis dans l'Égypte, dans le désert, dans la terre promise, ou plutôt ceux
qui étaient l'objet des Promesses divines. En effet, les Israélites qui
sortirent de l'Égypte n'entrèrent pas dans la Palestine, mais tous périrent dans
le désert. (Nb 45, 23); (He 3,17). Lors donc que leurs enfants et ceux qui
naquirent depuis dans le désert entrèrent dans la terre promise, ils n'eurent
pas besoin de faire usage de leurs armes, il leur suffisait de pousser des cris
pour s'emparer des villes. Ainsi, lorsqu'ils eurent traversé le Jourdain, ils
prirent la première ville qu'ils rencontrèrent, celle de Jéricho, bien plutôt en
dansant qu'en combattant. (Jos 6) Ils étaient armés, il est vrai, cependant on
eût dit qu'ils marchaient non pas au combat, mais à une fête et à une
réjouissance publique. Leurs armes étaient pour eux une parure plutôt qu'un
moyen de défense. Ils étaient précédés par les prêtres couverts de leurs
vêtements sacrés et par les lévites qui marchaient en tête de l'armée; et c'est
ainsi qu'ils firent le tour des murs de la ville. C'était un spectacle vraiment
digne d'admiration et presqu'incroyable, de voir une armée composée de tant de
milliers d'hommes s'avançant en bon ordre et en mesure, marchant en silence et
dans une tenue parfaite comme s'il n'y avait personne, et n'ayant besoin que du
son des trompettes pour mener à bonne fin son entreprise. Quoi de plus propre à
confondre ceux qui remplissent l'église de tumulte ? Car, si malgré le son
retentissant des trompettes, il régnait dans cette armée un ordre si parfait,
quelle excuse pourront apporter ceux qui dans le lieu même où Dieu daigne parler
aux hommes, empêchent d'entendre ses paroles par l'agitation et le bruit qu'ils
produisent ? Mais pourquoi, me demanderez-vous, le roi-prophète ne parle-t-il
point de ceux qui sont sortis de l'Égypte ? Parce que tous étaient morts, tous
avaient été punis. Et pourquoi cette peine de mort s'étendit-elle à tous ? Parce
qu'ils s'étaient rendus coupables d'un grand crime. Dieu les punissait encore de
la sorte, parce qu'Il voulait que ceux qui devaient entrer dans la Palestine
n'eussent pas été spectateurs des superstitions, des impiétés qui régnaient dans
l'Égypte, et qu'ils n'eussent aucun maître pour leur enseigner de si grands
crimes. En effet, les Israélites étaient tellement esclaves des coutumes des
Égyptiens, qu'après tant de miracles opérés sous leurs yeux, ils n'avaient pu
encore effacer les restes de ces sacrilèges erreurs. Or, s'ils avaient pris
encore pour maîtres les Chananéens, mille fois pires que les Égyptiens, à quels
excès d'impiété se seraient-ils portés ? Voilà pourquoi Dieu retint dans le
désert leurs enfants, jusqu'à ce qu'ils fussent parvenus à l'âge de la
maturité.
4. En vous tenant ce langage, nous ne suivons pas nos propres inspirations,
mais celles de la sainte Écriture. Dieu, en effet, reproche aux Israélites par
le Prophète qu'après les avoir conduits dans le désert et leur avoir fait
souvent entendre sa parole, ils ont refusé de L'écouter. (Ez 20,10) Mais
pourquoi commande-t-Il à son peuple de prendre les armes au moment de marcher
contre la ville de Jéricho ? Le miracle n'eût-il pas été plus étonnant, s'ils
eussent marché sans armes contre cette ville ? Nous répondons qu'en commandant
de prendre quelques moyens naturels et de s'appuyer sur un secours extérieur,
Dieu S'accommode à leur faiblesse. Car au fond, que pouvaient les armes et le
son des trompettes pour détruire les murailles de cette ville ? S'il avait fallu
combattre contre des hommes, les armes eussent été de quelqu'utilité, mais à
quoi pouvaient-elles servir devant des murailles qui devaient tomber
d'elles-mêmes ? Nous voyons encore que sous Gédéon, ceux qui furent choisis pour
combattre étaient en tout semblables à ceux qui furent laissés, car ils étaient
tous également connus. (Jdt 8). Pourquoi donc Dieu tient-Il cette conduite ?
Pour amener à la foi ceux à qui Il commande d'agir de la sorte. En effet, l'âme
qui est unie à un corps, qui n'a jamais rien vu d'immatériel et qui se porte
avec ardeur vers les choses sensibles, a besoin d'être conduite jusqu'aux
vérités purement intelligibles par le moyen des choses extérieures. Voilà
pourquoi les prophètes, lorsqu'ils parlent de Dieu, Le représentent avec un
corps semblable au corps de l'homme. Ce n'est pas sans doute pour donner une
forme matérielle à cette nature incorruptible et immortelle; mais à l'aide de
ces moyens sensibles, ils veulent enseigner les vérités surnaturelles à l'âme
étroitement associée avec les choses extérieures. L'Action de Dieu ne peut être
perçue que par l'intelligence; mais Dieu veut qu'il y ait ici quelque chose de
sensible pour prévenir tout sentiment d'incrédulité dans les témoins de cet
événement. Si Dieu leur avait dit simplement : Dans sept jours la ville
sera détruite, sans que vous ayez besoin de faire autre chose que de rester en
repos, un grand nombre peut-être eussent refusé de le croire. Il leur fait donc
ce commandement pour être comme le fondement de la foi dans leur âme.
Pour preuve que ce n'est pas là une simple conjecture, comme vous pourriez
peut-être le penser, je veux apporter à l'appui un fait emprunté aux anciens
temps. Naaman était syrien; atteint de la lèpre et honteux d'une maladie qui
mettait d'ailleurs ses jours en danger, il vint dans la Palestine (car je veux
abréger ce récit), pour obtenir du Prophète sa guérison. Lorsqu'il fut arrivé
devant sa demeure, il demanda celui qui devait le guérir. Celui-ci se rendit à
sa prière, mais sans sortir de sa maison, et il le renvoya en lui ordonnant
d'aller se laver dans le fleuve du Jourdain. Cet homme, justement parce que
cette ordonnance était des plus faciles, puisqu'il ne s'agissait que d'une chose
extérieure, qui n'exigeait pas de grands efforts d'esprit, refusa de croire; et
quel fut son raisonnement ? «Je croyais qu'il sortirait vers moi; qu'il
imposerait la main sur moi et qu'il invoquerait le Nom du Seigneur son Dieu, et
qu'il me guérirait de la lèpre.» (4 R 5, 11). Vous voyez comment son âme avait
besoin d'un signe extérieur et sensible. Il ne croyait pas que la parole du
médecin suffisait, mais il voulait qu'il y ajoutât l'imposition de ses mains,
preuve de la faiblesse. d'esprit de cet homme. Cet exemple peut nous servir à
résoudre bien des difficultés. C'est pour la même raison en effet, que Jésus
Christ ne guérit pas toujours les maladies par sa seule parole, mais qu'il y
joint l'action de la main. C'est ainsi que nous Le voyons mettre son Doigt dans
la bouche et sur la langue (Mc 7,33) tandis que dans d'autres circonstances, sa
Parole seule, et quelquefois un seul acte de sa Volonté suffisait pour guérir
ceux qu'on lui présentait. Or, pourquoi le Sauveur agissait-Il de la sorte ? Par
condescendance pour la faiblesse de ceux qui venaient de Le trouver. Et pour
vous convaincre que tel était le motif de sa conduite, Il donne des éloges à
ceux qui n'avaient pas besoin de ces signes extérieurs. «Je vous le dis en
vérité, je n'ai pas trouvé une si grande foi dans Israël» (Mt 8,10); parce qu'en
effet, le centurion ne chercha point à L'attirer dans sa maison, et qu'il dit au
Sauveur que sa parole lui suffisait. Pour la guérison d'Ézéchias, nous ne voyons
rien de semblable. Dieu lui prédit simplement qu'il guérira, sans indiquer aucun
remède humain. (4 R 20). Au contraire, celui qui conçoit de la jalousie contre
son épouse, Dieu commande de recourir à des moyens plus matériels. Si vous
voulez interpréter cet événement dans le sens anagogique «Car toutes ces choses
qui leur arrivaient, dit l'Apôtre, étaient des figures; et elles ont été écrites
pour nous instruire, nous qui sommes arrivés à la fin des temps.» (1
Cor 10,2), représentez-vous les plus illustres docteurs de l'Église qui
recourent à la prière comme à une trompette spirituelle et renversent ainsi les
murailles ennemies, et songez au peuple chrétien revêtu de l'armure de Jésus
Christ. Les sept jours dont il est ici parlé signifient que depuis longtemps
l'obligation du sabbat a cessé pour nous. Car ces sortes de préceptes n'ont pas
été données comme essentielles. Voilà pourquoi le Prophète, parlant des
sacrifices, dit aux Israélites : «Qui vous a demandé que vous eussiez ces
offrandes dans les mains ?» (Is 1,12). Et dans un autre endroit : «Vos voeux et
la chair sainte des victimes vous purifieront-ils de vos péchés ?» (Jr 11,15).
Et ailleurs : «N'avez-vous pas offert des hosties et des sacrifices dans le
désert pendant quarante ans ?» (Am 5,25). Et encore : «Pourquoi m'offrez-vous de
l'encens de Saba, pourquoi me faites-vous venir des parfums des terres les plus
éloignées?» (Jr 6, 20). Et dans les psaumes : «Tu as refusé les victimes et
les offrandes.» (Ps 39,7). Et dans un autre endroit : «Si Tu avais voulu
des sacrifices, je T'en aurais offert.» (Ps 50,48). Et ailleurs :
«L'obéissance vaut mieux que le sacrifice.» (3 R 15, 22). Dans un autre endroit,
Il rejette les solennités des Juifs en ces termes : «Je hais vos fêtes et Je les
abhorre. Loin de Moi le bruit tumultueux de vos cantiques, Je n'écouterai point
les airs que vous chantez sur vos instruments.» (Am 5, 21-23). Et
ailleurs : «Je ne puis supporter votre grand jour de solennité, vos jeûnes
et vos autres fêtes. (Is 1,13-14). Et encore : «Ce n'est pas là le jeûne
que Je demande.» (Is 58,5). Dieu dit encore par la bouche d Ézéchiel : «Je
leur donnerai des préceptes imparfaits, et des ordonnances où ils ne trouveront
pas la vie.» (Ez 20,25). Paroles qui indiquent encore la cessation de la loi du
Sabbat. Mais pourquoi Dieu leur dit-Il : «Qui vous a demandé que vous
eussiez ces offrandes dans les mains?» Je vous laisse la solution de cette
difficulté, et vous la trouverez facilement si vous menez une vie pure.
5. En effet, si la vie droite et vertueuse de Corneille l'a fait appeler à la
connaissance des secrets du ciel (Ac 10, 4); si le zèle de l'eunuque pour la
lecture des saintes lettres lui a mérité de connaître le sens des prophéties,
(Ac, 27,7 et ss.); combien vous sera-t-il plus facile à vous qui avez déjà la
foi, d'obtenir une connaissance plus claire de la vérité, si votre vie est
irréprochable I Une vie souillée par le péché est un obstacle à la connaissance
des vérités spirituelles, au témoignage de saint Paul : «Je n'ai pu vous
parler comme à des hommes spirituels, parce qu'il y a parmi vous des jalousies
et des contentions.» (1Cor 3,13); et comme l'atteste aussi le prophète
Isaïe : «Ils veulent connaître mes Voies, comme un peuple qui agit selon la
justice.» (Is 58, 2). Au contraire, une vie pure jointe à un désir sincère
conduisent infailliblement à la connaissance de la vérité. «Cherchez, nous dit
Jésus Christ, et vous trouverez.» (Lc 6, 9). Nous en avons une nouvelle preuve
dans la parabole de cet ami qui venait demander des pains à son ami déjà plongé
dans le sommeil. (Lc 5, 8). Voilà pourquoi Salomon, en récompense de ce qu'il
n'avait demandé que des biens spirituels, obtint de Dieu ceux mêmes qu'il
n'avait pas demandés. (3 R 3,11). Mais quelle n'est pas la puissance de la
prière, lorsqu'à la persévérance vient se joindre le véritable esprit de la
prière et une vie pure? Que dis-je ? La persévérance seule a quelquefois assuré
le succès de nos demandes. «Je vous le déclare, dit Jésus-Christ, quand celui-ci
ne se lèverait pas pour lui en donner parce qu'il est son ami, il lui en
donnerait à cause de son importunité.» (Lc 11, 8).
Mais revenons à notre sujet : «L'oeuvre que Tu as accomplie de leur
temps et dans les jours anciens. Ta main a exterminé les nations, et Tu les as
établis en leur place.» Voyez quel choix heureux d'expressions! Tu ne T'es pas
contenté, dit le Roi-prophète, d'assurer leur victoire et la défaite de leurs
ennemis, Tu as été beaucoup plus loin, bien que les uns et les autres ne fussent
pas dans des conditions égales. Les uns en effet possédaient en propre la terre
promise, les autres étaient étrangers, et cependant il se fit un si grand
changement que les uns furent déracinés entièrement du sol qu'ils possédaient,
tandis que les autres en devinrent les maîtres et les habitants. C'est pour cela
que le Roi-prophète se sert de cette expression : «Ta main a exterminé les
nations» et en parlant des Juifs : «Ta Main les a plantés.» La Main de Dieu
c'est sa Puissance. Or, si Dieu, en si peu de temps, a rendu beaucoup plus
puissant que les peuples qui habitaient cette terre, un peuple étranger qui
n'avait ni ville, ni demeure où il put se retirer ou fixer son séjour, comment
ne prendrait-Il pas en main nos intérêts à nous qui sommes dépouillés de
l'héritage paternel ? Que signifie cette expression : «Tu les as plantés?»
Tu les as établis d'une manière stable; car ce qui est planté acquiert de la
consistance et de la fermeté. Mais quoi, me direz-vous, est-ce que ce peuple n'a
pas été obligé de quitter sa patrie ? Est-ce qu'il n'a pas été emmené dans des
contrées étrangères ? Oui sans doute, mais il faut l'attribuer à leurs propres
crimes et non à la faiblesse de Celui qui les avait établis. Ils y fussent
demeurés à jamais, si leurs iniquités n'y avaient mis obstacle. «Tu as frappé
les peuples, et Tu les as chassés de leurs demeures.» Il en est qui pensent
qu'il est ici question des Égyptiens, mais mon opinion est que ces paroles
peuvent également s'appliquer aux autres nations. La Justice de Dieu s'est
exercée aussi sur elles et Il a fait éclater doublement sa Puissance, en
établissant son peuple à leur place.
«Car ce n'est point leur glaive qui les a mis en possession de cette terre.»
Un autre interprète traduit : «Ce n'est point par leur bras qu'Il les a
sauvés, c'est ta Droite, c'est ton Bras, et l'éclat de ta Face.» (Ibid. 4).
Suivant une autre version : «La lumière de ta Face. Parce qu'il T'a plu de
les aimer.» Ils étaient revêtus de leurs armes, lorsqu'ils étaient vainqueurs
dans les combats; mais tout armés qu'ils étaient, ce n'est point par la force de
leurs armes qu'ils triomphaient, c'est par la Puissance de Dieu qui les menait
au combat. Vous voyez comme le Roi-prophète entremêle les conseils à la prière,
et les presse de mettre toute leur confiance en Dieu. Mais pourquoi appelle-t-il
cette terre un héritage, alors que leurs pères, leurs aïeux, leurs bisaïeux sont
morts successivement sans en avoir été en possession ? Parce que la promesse d'y
entrer avait été faite à leurs pères : «Viens, dit Dieu à Abraham, dans la
terre que Je te montrerai.» (Gn 12,1). Et dans un autre endroit : «Je te
donnerai cette terre à toi et à ta postérité.» (Gn 13, 15).
Comme il venait de parler de la Droite de Dieu, de son Bras, expressions qui
pouvaient réveiller des idées matérielles, il donne à son discours une forme
plus relevée en ajoutant : «Et la splendeur de ta Face» c'est-à-dire ta
Providence et ton Appui. La Volonté de Dieu et sa Présence au milieu d'eux ont
suffi en effet pour le sauver. «Parce que Tu as mis en eux tes Complaisances.»
C'est-à-dire parce qu'il T'a plu de les aimer. Ces faits éclatants étaient donc
de pures grâces de la part de Dieu, et non la récompense de leurs bonnes
oeuvres; et ce n'est point à leur vertu, mais à la seule Bonté de Dieu qu'ils
ont dû d'entrer dans la terre promise. «Tu es mon Roi et mon Dieu, Toi dont les
ordres ont sauvé Jacob.» (Ibid. 5). Un autre interprète traduit : «Sauve Jacob
par ton Commandement.» Quel est le rapport de ces paroles avec ce qui précède ?
Il est on ne peut plus frappant. Voici en effet ce que veut dire le
Prophète : C'est d'eux que nous tirons notre origine, et Tu es le Dieu qui
es l'auteur de ces grands événements et de ceux qui ont suivi. D'où vient donc
un si grand changement ? Car Tu n'es pas différent de ce que Tu étais alors, Tu
es toujours le même Dieu.
6. Mais Tu n'es pas seulement le même Dieu en Toi-même ? Je ne veux point
quant à moi avoir d'autre Dieu. «Tu es mon Roi et mon Dieu.» Nous ne nous sommes
pas retirés de la voie de tes Commandements, nous n'avons pas choisi un autre
chef que Toi. «Toi dont les ordres ont sauvé Jacob.» C'est-à-dire Tu es le même
Dieu, et ta Providence est aussi toujours la même. Quelle est donc la cause du
changement que nous voyons ? Que signifient ces paroles : «Toi dont les
ordres ont sauvé Jacob ?», Toi qui ordonnes, qui commandes que Jacob soit sauvé
? Ces paroles font ressortir la facilité avec laquelle Dieu vient au secours de
son peuple, et la grandeur de sa Puissance. Et ce n'est pas sans raison que le
prophète rappelle le souvenir d'un de ses ancêtres, de Jacob; la vertu de ce
patriarche devient pour lui un titre qui sert à lui rendre Dieu favorable :
«C'est par Toi que nous terrasserons nos ennemis.» (Ibid. 6). Tu es toujours le
même, et ta Providence n'a point changé, et nous aussi, nous Te reconnaissons
toujours pour notre chef, et nous n'avons point recours à d'autres armes. Voici
le sens de ces paroles : «C'est par Toi que nous terrasserons nos ennemis.»
Un autre interprète traduit : «Nous terrasserons ceux qui nous persécutent.
En ton Nom, nous mépriserons ceux qui s'élèvent contre nous.» Suivant une autre
version : «Nous foulerons aux pieds.» Que signifie cette parole : «En
Toi ?» C'est-à-dire l'invocation seule de ton Nom suffit pour assurer le plein
succès de toutes nos entreprises. Il ne dit point : Nous les vaincrons,
nous l'emporterons sur eux, mais nous les anéantirons, ils seront pour nous
comme s'ils n'étaient pas. Nous ne les redouterons pas, et nous les poursuivrons
comme des gens sans valeur et sans force. C'est ce que veut exprimer un autre
interprète en traduisant : «Nous les foulerons aux pieds» c'est-à-dire nous
remporterons la victoire de vive force, notre armée n'aura pas à combattre, et
la guerre sera sans alarmes.
«Car ce n'est pas dans mon arc que je mets mon espérance.» Une autre version
porte : «Que je mets ma confiance.» Et ce ne sera point mon épée qui me
sauvera.» (Ibid. 7). Pourquoi donc vous servir de ces armes ? Pourquoi vous en
revêtir et manier l'arc et l'épée ? Parce que j'ai reçu l'Ordre de Dieu d'en
faire usage, du reste je remets tout entre ses Mains. C'est ainsi que Dieu leur
enseignait à combattre leurs ennemis visibles, sous la protection du secours
d'en-haut. C'est de la même manière qu'il faut combattre les ennemis spirituels
et invisibles. Vous donc, lorsque vous êtes en guerre avec le démon, dites
aussi : Je ne mets pas ma confiance dans mes armes, c'est-à-dire dans ma
vertu, dans ma justice, mais dans la Miséricorde de Dieu. C'était le langage de
Daniel : «Nous ne répandons pas nos prières devant Toi selon nos justices»
(Dn 9,18). «Car c'est Toi qui nous as sauvés de nos persécuteurs, et qui as
couvert de honte ceux qui nous baissaient.» (Ibid. 8) Une autre version
porte : «Parce que Tu nous as sauvés.» Qu'est-il besoin, dit le
Roi-prophète, de rappeler le souvenir des événements anciens, et les hauts faits
de nos ancêtres ? Nous avons nous-mêmes des gages multipliés de la Providence
divine, et nous pouvons faire une longue énumération de nos glorieux triomphes,
de nos victoires nombreuses, éclatantes, et vraiment extraordinaires. Il
dit : «Tu as confondu», pour montrer que Dieu ne S'est pas contenté de nous
délivrer, de nous arracher aux mains de nos ennemis, mais qu'Il l'a fait en
couvrant de honte nos ennemis. «C'est en Dieu que nous mettrons tous les jours
notre gloire, et nous donnerons éternellement des louanges à ton Nom.» (Ibid.
9). Une autre version porte : «Nous louerons Dieu tout le jour.» Le temps
de la victoire est passé, mais nous y trouvons un continuel sujet d'actions de
grâces. Ce jour tout entier, c'est tout le cours de notre vie. Nous ne cessons
point, dit le Roi-prophète, de célébrer la Protection que Tu nous as accordée et
de nous en glorifier. Car c'est là pour nous un véritable titre d'honneur et un
juste sujet de gloire auprès de tous les hommes. Nous sommes fiers, non pas
d'avoir une grande et admirable cité, ni d'avoir les premiers remporté la
victoire, ni d'être supérieurs à nos ennemis par la force du corps, mais d'être
les serviteurs du vrai Dieu; et nous nous en glorifions non seulement quand Dieu
prend en main notre défense, mais lors même qu'Il paraît nous abandonner. Ces
paroles : «Tout le jour» ont la même signification que ces autres paroles
de saint Paul : «À Dieu ne plaise que je me glorifie, si ce n'est dans la
Croix de Jésus Christ !» (Ga 6,14). Car je le déclare, il n'y a point d'autre
gloire semblable à celle-là. C'est dans le même sens que le même apôtre dit
ailleurs : «Et non seulement nous avons été réconciliés, mais nous nous
glorifions en Dieu.» (Rm 5,11). Rien en effet, ne peut soutenir la comparaison
avec cette gloire. Cessez donc d'être fiers de vos richesses ou des biens qui
n'ont pour objet que la vie présente, et ne vous glorifiez que d'une seule
chose, d'avoir Dieu pour maître. C'est là un privilège au-dessus de toute
liberté, et qui l'emporte même sur les cieux. Car si souvent les hommes sont
fiers d'appartenir à tel ou tel personnage, jugez quelle gloire c'est
d'appartenir à Dieu. Aussi saint Paul estimait-il ce privilège à l'égal des plus
grands honneurs, lorsqu'il disait : «Ceux qui appartiennent à Jésus Christ
ont crucifié leur chair.» Changement de modulation. Suivant une autre
version : «Toujours.» Le texte hébreu porte : Sel.
«Mais maintenant Tu nous as repoussés et couverts de confusion». Une autre
version traduit : «Bien que Tu nous aies repoussés.» Une autre :
«Après cela, Tu nous as rejetés. Et Tu ne marches plus, Seigneur, avec nos
armées.» (Ibid. 10). Suivant une autre version : «Et Tu n'es plus sorti à
la tête de nos armées.» Cet Abandon de Dieu les couvre de confusion et les
expose à toute espèce de calamités. Ce qu'il appelle ici leurs forces, ce sont
leurs armées, parce qu'elles sont en effet la force du souverain et que par une
Providence particulière de Dieu, elles sont le lien qui unit celui qui gouverne
à ceux qui sont soumis à son empire. Le roi ne peut se passer de ceux qui
obéissent à ses ordres, de même que ceux-ci ont besoin d'un chef qui les
commande; ils sont nécessaires, indispensables même les uns aux autres. En
effet, pour prévenir tout sentiment d'orgueil, Dieu a voulu que les plus grandes
choses aient souvent besoin des plus petites. C'est ce qu'il a fait même pour
les choses inanimées. Un petit caillou suffit souvent pour affermir une colonne
qui chancelle, et un gouvernail de petite dimension suffit pour conduire un
vaisseau qui porte des milliers de personnes, et lui faire éviter tout danger.
Quel est le sens de ces paroles : «Bien que Tu nous aies repoussés» ?
C'est-à-dire malgré tant et de si rudes épreuves, nous n'avons pas cessé de Te
rester attachés, de Te louer, de T'exalter et de mettre toute notre gloire en
Toi. Tu nous as mis en fuite devant nos ennemis, et nous sommes devenus la proie
de ceux qui nous haïssaient.» Un autre interprète traduit : «Tu nous as mis
au-dessous de tous nos ennemis.» (Ibid. 11). Voyez en quels termes énergiques et
expressifs le Roi-prophète décrit les malheurs de son peuple pour montrer que
quelle que fût la grandeur de ses crimes, ces calamités en avaient été une
expiation suffisante.
7. C'est cette même pensée que les enfants développent dans le cantique
qu'ils chantent au milieu de la fournaise : «Tu nous as livrés aux mains de
nos injustes ennemis, de ces pervers, de ces prévaricateurs et d'un roi injuste
et impie au-delà de tout ce qui est sur la terre.» (Dn 3,32). Et plus
loin : «Nous sommes réduits à un plus petit nombre que toutes les nations,
et nous sommes humiliés sur toute la terre.» (Ibid. 37). Tel est aussi le
langage du Roi-prophète : Notre humiliation, notre déshonneur est au comble
depuis que Tu as retiré de nous ta Providence; et nos malheurs ont encore été
plus loin, car nous sommes devenus la proie de nos ennemis qui nous ont partagés
entre eux à leur gré comme de viles dépouilles. C'est le sens de ces
paroles : «Nous sommes devenus leur proie» sans que personne s'y opposât.
«Tu nous as livrés comme des brebis qu'on mène à la mort, et Tu nous as
dispersés parmi les nations.» (Ibid. 12). Une autre version traduit : «Tu
nous as jetés au vent.» Que signifient ces paroles : «Comme des brebis
destinées à la boucherie» ? C'est-à-dire Tu nous as laissé prendre avec une
facilité déplorable comme des animaux sans valeur. En effet, parmi les brebis
que l'on met en vente, il en est qui sont propres à la reproduction, mais il en
est d'autres qui par suite de leur vieillesse ou de leur stérilité, ne sont
bonnes qu'à être mangées. Ce qui mettait le comble à leur malheur, c'est qu'ils
étaient dispersés parmi les nations, et l'épreuve la plus pénible pour eux,
c'est qu'ils ne pouvaient plus observer exactement leur loi, et qu'ils étaient
déshérités des institutions politiques et religieuses de leurs pères. Et ce
n'est pas seulement dans une seule contrée, mais parmi toutes les nations que
nous avons été dispersés, comme des victimes qui n'ont en perspective que la
souffrance, et qui ne peuvent ni se venger ni élever les mains pour se défendre.
Car voilà ce qu'exprime la comparaison des brebis «Tu as vendu ton peuple sans
en recevoir le prix. Une autre version porte : «Sans recevoir rien en
échange.» Une autre : «Comme étant de nulle valeur.» - «Et dans
l'achat qui s'en est fait, ils ont été vendus presque pour rien.» (Ibid. 13).
Suivant une autre version : «Tu ne les as pas estimés à un prix élevé.»
Voici l'explication de ces paroles qui sont très obscures, prêtez donc une
attention sérieuse pour chanter ce verset avec intelligence. Que veut dire le
Roi-prophète ? Il veut montrer à quel degré d'abaissement et d'abjection ils
sont descendus comme des choses de nulle valeur; Tu nous as livrés au mépris et
à l'opprobre, dit-il, comme des marchandises de vil prix. Il se conforme ici à
notre manière de parler, car nous donnons pour rien les choses qui n'ont aucune
valeur. Nous vendons très cher celles que nous estimons, et nous donnons
gratuitement les choses qui n'ont pour nous aucun prix. Ceux qui ont de mauvais
esclaves les vendent à moitié prix, quelques-uns même les donnent sans rien
recevoir en échange. Si la vente à vil prix d'un objet est une preuve de son peu
de valeur, combien plus la cession qu'on en fait sans rien recevoir en échange !
Voici donc le sens des paroles du Roi-prophète : «Semblable à un homme qui
cède pour rien ce qu'il possède, Tu nous as livrés comme des objets de nulle
valeur, Tu nous as couverts de mépris.» Les paroles qui suivent achèvent
d'expliquer sa pensée : «Et dans l'échange qui s'en est fait, ils ont été
donnés presque pour rien.» C'est-à-dire : «Lorsque nous avons été achetés.»
Et c'est pour cela qu'un autre interprète traduit : «Dans l'appréciation
qui a été faite de nous,» c'est-à-dire dans la vente dont nous avons été
l'objet. En effet, le prix d'une chose est un échange; souvent nous donnons un
esclave et nous recevons en échange de l'or ou de l'argent.
«Tu nous as rendus l'opprobre de nos voisins, le jouet et la risée de ceux
qui nous environnent.» Un autre interprète traduit : «Tu nous as rendus un
objet de montre pour ceux qui sont autour de nous.» (Ibid. 14). «Vous nous avez
fait devenir la fable des nations.» (Ibid. 15). C'est un supplice des plus
pénibles et des plus insupportables, que d'être en butte aux outrages des impies
et de ses propres ennemis, d'être environné de gens qui vous insultent et de
quelque côté qu'on tourne les yeux, de ne voir autour de soi que des opprobres
et des indignités. Que signifie ici le mot fable ? Un récit injurieux. En effet,
les Israélites étaient entourés d'hommes perdus de crimes, sans coeur, qui non
seulement n'avaient pour eux aucune pitié, mais qui les accablaient d'injures et
d'outrages, ce qui était pour eux une épreuve des plus cruelles. Je crois que
David veut ici parler des Arabes qui habitaient une des contrées voisines. «Les
peuples secouent la tête en nous regardant.» Un autre interprète traduit :
«Tu nous as fait émigrer.» L'hébreu porte : Manoud. Le Roi-prophète veut
donc dire : Tu nous as déplacés, transportés; ou bien par ce mouvement de
tête il veut exprimer la joie insolente de leurs ennemis.
«Tout le jour ma honte est devant mes yeux.» Suivant une autre version :
«Mon opprobre.» «Et la confusion couvre mon visage.» (Ibid. 16). «Quand
j'entends la voix de celui qui m'accable par ses reproches et par ses
calomnies.» (Ibid.17). Une autre version porte : «Par ses blasphèmes; à la
vue de mon ennemi et de mon persécuteur.» Ces outrages étaient pour eux une
peine beaucoup plus sensible que leurs calamités elles-mêmes. Comme ils avaient
précédemment joui d'une longue suite de prospérités et triomphé constamment de
leurs ennemis, toutes les bouches s'ouvraient pour insulter à leur malheur,
lorsqu'on les vit plongés dans un abîme d'infortunes dont ils ne pouvaient se
relever et où ils n'avaient en perspective qu'un long et perpétuel supplice.
«Tous ces maux sont venus fondre sur nous, et cependant nous ne T'avons pas
oublié et nous n'avons pas commis d'iniquité contre ton Alliance.» (Ibid.18). Un
autre interprète traduit : «Nous n'avons pas agi frauduleusement contre ton
Alliance.» Notre conduite, dit le Roi-prophète, a été toute différente de celle
des autres peuples. Avant que le malheur les eût atteints, ils ont succombé;
nous au contraire, après de si rudes épreuves, nous sommes demeurés fermes et
inébranlables dans la fidélité à ton service. Ils parlent de la sorte pour faire
partager leurs espérances à ceux qui sont dans les mêmes épreuves. Tandis que
les trois enfants s'écrient avec Daniel : «Nous avons péché, nous avons
commis l'iniquité» (Dn 3, 29); ceux-ci disent : «Nous n'avons pas violé ton
Alliance», et ils animent ainsi le courage de ceux qui combattent avec eux. Nous
avons, disent-ils, essuyé les plus grandes calamités, nous sommes les enfants de
ceux que Tu as comblés de bienfaits et, malgré de si rudes coups, nous T'avons
conservé notre fidélité. Quelle ne doit pas être notre espérance en Toi ?
8. Je répète ici ce que j'ai dit en commençant : le prophète entremêle
l'encouragement avec la prière, et tel est le sens de ses paroles :
Pourquoi désespérer de votre salut ? Nous avons Dieu pour défenseur. Si nous
sommes coupables de péchés, nous en avons porté la peine, nous sommes demeurés
fermes dans les tentations; nous avons pour guide Celui dont la Bonté s'étend
jusque sur les pécheurs, nous pouvons donc espérer une prompte et heureuse
délivrance. Mais que signifient ces paroles : «Nous n'avons point commis
d'iniquité contre ton Alliance ?» C'est-à-dire nous ne nous sommes pas rendus
coupables d'injustice à l'égard des choses qui nous ont été confiées, mais nous
les avons gardées avec une fidélité inviolable. C'est en effet le comble de
l'iniquité que de transgresser la loi qui nous protège, qui nous défend contre
les injustices même de nos proches, qui interdit toute espèce de crime, et de
faire preuve d'ingratitude à l'égard de Celui qui nous comble de tant de biens.
«Notre coeur ne s'est pas retiré en arrière.» Suivant une autre version :
«Il ne s'est point éloigné, et vous n'avez pas écarté nos pas de vos sentiers.»
(Ibid. 19). Une autre version traduit : «Les choses qui nous élèvent n'ont
pas été détournées.» Une autre : «Notre coeur ne s'est pas détourné en
arrière, et nos pas ne se sont pas écartés.» Le Roi-prophète revient sur la
pensée qu'il a déjà exprimée précédemment, c'est-à-dire qu'au milieu de ce
déluge de maux, ils n'ont pas éprouvé la plus légère agitation. L'expression
dont il se sert est des plus heureuses. Car de même que la loi nous conduit
toujours en avant, l'iniquité nous fait reculer en arrière; la loi nous fait
marcher dans une voie toujours droite, l'iniquité au contraire transporte
l'homme dans des lieux déserts et impraticables. Cette Voie de Dieu est donc la
loi. Au lieu de : «Vous n'avez pas écarté»; on lit dans une autre
version : «Les choses qui nous élèvent n'ont pas été détournées et séparées
de ta Voie»; l'hébreu porte : Vathet adschurenu meni orach. Si l'on veut
suivre de préférence aux autres versions l'interprétation des Septante :
«Tu as écarté nos sentiers de ta Voie,» tel sera le sens de ces paroles :
«Tu nous as éloignés de ton Temple, Tu nous as relégués dans une terre étrangère
où il nous est impossible de T'offrir le culte qui vous est dû.
«Tu nous as humiliés dans un lieu d'affliction.» (Ibid. 20). Suivant une
autre version : «Dans un lieu inhabité.» Suivant une autre : «Dans le
lieu habité par les sirènes.» «Et l'ombre de la mort nous a couverts.» Une autre
version porte : «Tu nous as fermé toute issue.» C'est là l'espèce de
récompense dont ils parlent précédemment en faisant l'énumération de leurs
maux : «Et la honte qui paraît sur mon visage me couvre entièrement, à la
voix de celui qui m'accable par ses reproches et par ses calomnies; car Tu nous
as humiliés.» Si l'on veut rattacher ces paroles à celles-ci : «Tu as
écarté nos sentiers de ta Voie,» on y trouvera un rapport évident avec le sens
que j'ai indiqué, c'est-à-dire que le Roi-prophète veut exprimer comment Dieu
les a repoussés des voies dans lesquelles ils marchaient, de leurs usages, de
leurs lois, de leurs institutions, pour les transporter dans des lieux déserts
et les abandonner au milieu de leurs ennemis. Voilà ce que signifient ces
paroles : «L'ombre de la mort nous a couverts», David fait allusion à ces
dangers qui enfantent la mort, qui sont voisins de la mort, et c'est dans ce
sens que l'Écriture appelle ces dangers les douleurs de la mort et les portes de
l'enfer. Par cette comparaison de l'ombre qui recouvre, il fait voir que ces
dangers sont inévitables, et qu'il est impossible d'en être délivré, ou même
d'en être tant soit peu soulagé.
«Si nous avons oublié le Nom de notre Dieu, si nous avons étendu nos mains
vers un dieu étranger, (Ibid. 21), Dieu manquerait-Il d'en demander compte, Lui
qui connaît le secret des coeurs ?» (Ibid., 22). C'est le propre des bons
serviteurs de persévérer dans l'attachement à leurs maîtres, lors même qu'ils
éprouvent de mauvais traitements, et ils suivent en cela les leçons de la
sagesse. Les Israélites fidèles enseignent aussi à ceux qui les écoutent à fuir
l'hypocrisie et à servir Dieu dans toute la sincérité de leur coeur. «Car Il
connaît, disent-ils, les secrets des coeurs.» Par ce langage, ils nous
apprennent encore à éviter avec crainte toute pensée qui serait indigne de Dieu.
Mais voyez ici comme leur vertu s'accroît et se perfectionne : «C'est pour
Toi, Seigneur, disent-ils, que nous sommes immolés chaque jour, et traités comme
un troupeau destiné à la mort.» Il est beau de persévérer dans le service de
Dieu, et de ne point porter ses hommages à un autre, mais il est vraiment
héroïque de lui conserver sa fidélité et son amour lorsqu'on a sans cesse la
mort en face et qu'on vit tous les jours au milieu des dangers. Combien cette
sagesse est parfaite, puisque saint Paul lui-même en fait profession, lorsque
dans son Épître aux Romains il énumère les dangers et les orages de ses courses
apostoliques ! (Rm 8, 36). Quelles brillantes couronnes ont mérité ces héros
dont les combats sous l'Ancien Testament ont égalé ceux qui étaient réservés aux
athlètes de la loi nouvelle ! En effet, vous les entendez dire sinon en réalité
et par le fait, du moins par la disposition de leur coeur, ce que saint Paul
dira plus tard : «Je meurs tous les jours.» (1Cor 15,31). Mais pourquoi le
prophète ajoute-t-il : «C'est pour Toi ?» Nous pouvions, semble-t-il dire,
tenir une autre conduite, renoncer aux usages de nos pères pour mener une vie
sûre et tranquille. Mais nous avons mieux aimé souffrir toute espèce de maux et
rester fidèles aux lois de notre patrie, plutôt que d'acheter le repos et la
paix au prix d'une honteuse apostasie. «Nous sommes comme des brebis destinées à
la boucherie.» C'est-à-dire : ils nous mettent aussi facilement à mort que
des brebis. Le Roi-prophète nous donne ici une preuve de leur douceur.
Cependant, bien que nous soyons comme des victimes, attendant toujours la mort,
nous restons fermes et inébranlables. Admirons aussi la Puissance de Dieu, qui a
su conserver ceux qui étaient comme des brebis destinées à la boucherie, sauver
de la mort ceux qui s'y trouvaient tous les jours exposés : «Lève-Toi,
pourquoi sommeilles-Toi, Seigneur ?.» (Ibid. 23). Suivant une autre
version : «Pourquoi es-Tu comme un homme endormi ?» Suivant une
autre : «Réveille-Toi.» Suivant une autre encore : «Sors de ton
Sommeil; lève-Toi, et ne nous rejette pas pour toujours.» «Pourquoi
détournes-Toi ton Visage? Un autre interprète traduit : «Pourquoi caches-Tu
ton visage ? Pourquoi oublies-Tu notre misère et notre oppression ? (Ibid. 24).
Suivant une autre
version : «L'état où nous ont réduits nos crimes.» C'est-à-dire :
Tu peux nous délivrer de nos maux, car ce n'est point par impuissance de ta
part, mais par une permission expresse de ta Volonté que nous en avons été
victimes. Le sommeil ici, c'est le Repos de Dieu; son réveil, c'est la Vengeance
qu'Il exerce sur les ennemis de son peuple; sa Face, c'est sa Protection, sa
Providence, sa Sollicitude et le Secours qu'Il accorde aux siens.
9. «Pourquoi oublies-Tu notre pauvreté ?» Admirez de nouveau la sagesse
du prophète. Il ne dit pas : «Pourquoi oublies-Tu nos bonnes actions, notre
inviolable fidélité, notre âme inébranlable au milieu des épreuves ?» Tel
est le langage de ceux qui veulent se justifier. Mais quand ceux qui demandent
du secours apportent à l'appui de leur prière les raisons dont se servent les
coupables, ils ont, dit le Psalmiste, suffisamment expié leurs crimes, par
l'extrémité où ils se trouvent réduits. Saint Paul et d'autres prophètes ont
souvent tenu le même langage. Et ces pieux Israélites s'exprimaient de la sorte
lorsqu'ils n'avaient encore aucune idée bien claire ni de l'enfer, ni du royaume
des cieux, ni de la haute sagesse de la loi nouvelle, et ils supportaient
néanmoins avec courage toutes ces épreuves.
«Notre âme est abaissée dans la poussière, nous sommes abattus, la face
collée contre terre.» (Ibid. 25). Il vient de dire : «Pourquoi oublies-Tu notre
pauvreté ?» c'est-à-dire notre affliction, et il en fait connaître toute
l'étendue. Voici le sens de ces paroles : C'en est fait de nous, nous
sommes comme ensevelis dans la terre, et notre condition ne diffère en rien de
ceux qui sont dans le tombeau. Ceux dont l'âme est comme attachée aux biens de
la terre, pourraient dire avec non moins de raison que leur âme est humiliée
dans la poussière, et les esclaves de l'intempérance, que leur ventre est collé
à la terre. Car tel est le juste supplice de celui qui se laisse dominer par une
violente passion, qui soupire ardemment après la boue, et qui abaisse jusque
dans la poussière cette nature incorporelle que Dieu lui a donnée. Qu'est-ce, en
effet, que la beauté du corps, si ce n'est de la poussière et de la boue, et
quelque chose de plus hideux encore ? Si vous en doutez, ouvrez un tombeau, et
vous n'y trouverez que de la boue et de la poussière. Lorsque la vie a cessé
d'animer le corps, on voit alors ce qu'il est en réalité, et souvent même avant
la mort. Lorsqu'en effet la vieillesse arrive, lorsque la maladie s'appesantit
sur ce corps, il apparaît ce qu'il est en vérité, c'est-à-dire de la boue. Et si
Dieu, comme un sage artisan, a fait sortir de cette matière vile et grossière
une éclatante beauté, ce n'est point pour satisfaire vos passions, mais pour
donner une preuve de sa Sagesse. Gardez-vous donc d'outrager ce divin artisan,
en faisant de cette divine oeuvre un objet de fornication et d'impureté.
Admirez, si vous le voulez, la beauté du corps, pour glorifier celui qui en est
l'auteur, mais n'allez pas plus loin, et n'en faites pas un aliment à votre
passion. L'ouvrage est admirable, adorez donc Celui qui en est l'auteur, mais ne
l'outragez pas. Un homme qui souillerait de boue et d'ordures une statue d'or
représentant la personne du souverain, ne serait-il pas puni avec la dernière
rigueur ? Si donc celui qui se rend coupable de tels outrages à l'égard des
hommes, mérite un si grand châtiment, quel sera le supplice de celui qui
déshonore indignement l'oeuvre de Dieu ? D'autant plus coupable en cela que des
liens légitimes l'attachent à son épouse. Ne m'alléguez pas la convoitise
naturelle, car Dieu vous a permis le mariage pour vous empêcher de franchir les
limites qui vous ont été assignées.
Considérez en effet, de quel supplice vous vous rendez digne. Dieu a pourvu
tout à la fois à votre repos et à votre honneur en vous permettant d'apaiser la
violence de la concupiscence par l'union légitime et innocente avec votre
épouse, et en vous mettant ainsi à couvert de toute ignominie. Et vous vous
faites un plaisir d'outrager celui qui a porté si loin la bonté pour vous ?
Dites-moi, si Dieu n'avait pas établi la loi sacrée du mariage, quelle violence,
quel supplice n'auriez-vous pas eu à endurer ? Au lieu donc de lui témoigner
votre reconnaissance et de glorifier sa Bonté qui vous a déchargé de la plus
grande partie du travail, en vous ménageant un adoucissement aussi considérable,
vous, par un excès inouï d'ingratitude, vous outragez Dieu, vous dépouillez
toute pudeur, vous franchissez les bornes qu'Il a posées et vous changez votre
gloire en ignominie. N'entendez-vous donc pas saint Paul vous dire et vous crier
ainsi qu'à tous les fidèles : «Fuyez la fornication !» (1 Cor 6,18). Mais
écoutez plutôt Jésus Christ qui lui inspire ces paroles. Pourquoi donc vouloir
connaître la beauté d'une personne qui vous est étrangère ? Pourquoi ce regard
curieux et avide sur un visage qui ne vous appartient pas ? Pourquoi vous jeter
dans de tels précipices ? Pourquoi vous enlacer dans ces filets ? Placez un mur
devant vos yeux, entourez-les comme d'un rempart, imposez-leur une loi sévère.
Écoutez le langage menaçant de Jésus Christ qui condamne un regard impudique à
l'égal du crime d'adultère. (Mt 5,28). À quoi vous servira la volupté qui
engendre le ver rongeur, une crainte éternelle, et lègue à celui qui cède à ses
désirs un supplice qui ne doit point finir ? Ne vaut-il pas mille fois mieux
acheter le calme et la tranquillité de notre âme en résistant tant soit peu à la
violence de nos désirs, que d'encourir un supplice éternel en cédant pour un
temps si court à l'attrait de pensées coupables ? «Cessez, mes enfants, d'agir
de la sorte, car il n'est pas bien qu'on dise de vous ce que j'entends.» (1 R
2,24). Je sais à qui s'adressent ces paroles, ce n'est pas à tous, mais l'Esprit
saint applique le remède là où Il trouve une blessure. Pourquoi profaner les
saintes lois du mariage ? Pourquoi déshonorer le lit nuptial ? Pourquoi cet
outrage fait à vos propres membres ? Pourquoi flétrir ainsi votre réputation ?
Réprimez cette passion qui vous trouble, retranchez cette vie molle et
sensuelle; car l'intempérance et l'ivresse sont les deux sources de la
fornication. Si vous ne faites pas un bon usage du repos, il sera pour vous la
cause de chagrins amers. Rappelez-vous le châtiment des Juifs qui s'étaient
livrés à la fornication et qui n'avaient point comme nous, participé au Corps de
Jésus Christ, qui n'avaient point recueilli le fruit du banquet spirituel. «Ne
commettons point de fornication, nous dit saint Paul, comme le firent
quelques-uns d'entre eux, et vingt-trois mille périrent dans un seul jour.» (1
Cor 10,8). «Lève-Toi, Seigneur, secours-nous, et rachète-nous à cause de ton
Nom.» (Ibid. 26). Un autre interprète traduit : «Sois là pour nous
défendre, et délivre-nous à cause de ta Miséricorde.» Vous voyez comme ils
terminent leur prière. Après tant d'actions vertueuses dont ils pouvaient
invoquer le souvenir, quel est le motif de leur espérance en Dieu ? La
Miséricorde, la Bonté, le Nom même de Dieu. Pourquoi donc ajoutent-ils : «À
cause de ton Nom» ? Afin que ce Nom divin ne soit point profané. C'est ce que
Dieu déclare souvent Lui-même : «Je le fais à cause de mon Nom.» Vous voyez
à la fois leur humilité et le repentir de leur âme. En vertu de quel droit
demandent-ils à être sauvés ? En vertu de la bonté de la Miséricorde de Dieu. Il
semble qu'ils n'aient aucunes bonnes oeuvres à faire valoir, et qu'ils ne
puissent apporter aucun motif personnel de salut; et bien qu'ils aient passé par
tant d'épreuves et affronté tant de dangers, ils en renvoient toute la gloire à
Dieu. Nous donc aussi qui vivons sous la loi de grâce, imitons un si bel
exemple, rendons gloire à Dieu à qui cette gloire appartient dans les siècles
des siècles. Amen.