Les écrits des Pères orthodoxes Ephrem - sur la vanité
I. Tout est vanité et affliction d'esprit
Le prophète s'écrie : "L'homme est semblable à
une vapeur et les jours de sa vie s'échappent
et disparaissent comme une ombre." Et vous, "fils des hommes, pourquoi
aimez-vous la
vanité et recherchez-vous le mensonge ?" Et l'apôtre nous
dit : "La figure de ce monde
passe".
Une saison chasse l'autre, un âge succède à un autre
âge et s'efface sans retour. Les années,
les mois et les jours proclament que la vie de ce monde n'est qu'un
passage. Le premier pas
dans la carrière est un pas vers la fin. Conçu dans le
sein de la femme, l'homme s'avance
vers le tombeau d'où il ne sortira plus. L'un entre dans la
vie quand l'autre l'a déjà quittée.
Celui-ci entasse les trésors pour les enfouir quand celui-là
part sans rien emporter avec lui.
Regarde comme les richesses passent d'une famille à l'autre,
et comme la pauvreté frappe
tour à tour à la porte de chaque maison. "Vanité
des vanités et tout est vanité", comme il a
été écrit.
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Le monde est une roue qui, dans ses mouvements rapides, entraîne
avec elle les saisons et
les années. Le mal n'y est qu'un chimère, le bien n'est
rien; les maux et les biens n'ont ni
réalité ni consistance. L'abondance vient-elle vous sourire
un moment, l'indigence la remplace
soudain; le plaisir entre, et cet hôte d'un jour fuit devant
la douleur qui marche sur ses pas.
Tel est aujourd'hui dans les rires, qui demain sera dans les pleurs.
Assis au banquet nuptial,
l'époux se réjouit dans son coeur en contemplant sa jeune
femme; mais la mort vient et
frappe, brise ces doux liens, et, plus amère que n'a été
vive la joie qui l'a précédée, elle
étend son crêpe sur un jour de fête. Les somptueux
habits dont il se pare, la pourpre où son
orgueil éclate, cet homme va bientôt les quitter, et,
couché dans le cercueil avec les insectes
qui lui filent un autre vêtement, il apprendra qu'il n'a fait
qu'un vain songe. Il l'apprendra
aussi, cet autre qui bâtit un palais magnifique, se plaît
à en parcourir les vastes
appartements, quand à son oreille sonnera la dernière
heure, et que, jeté sur un lit étroit, il
s'étendra dans l'agonie de la souffrance. Soudain, accourus
au dernier cri qu'il a poussé, les
ministres de la mort lui lient les pieds et les mains, ferment sa bouche,
couvrent ses yeux
d'un voile, et l'arrachent à sa brillante demeure. Il n'obtient
même pas un demi-jour de grâce
dans ce palais où il commandait en maître; on l'emporte
à la hâte pour le descendre dans la
tombe, son dernier et solitaire asile. Voilà le dénouement
de sa vie : "Oui, tout est vanité et
affliction d'esprit." Ce haut personnage à qui vient d'être
confiée l'administration d'une
province, s'enivre de la coupe du pouvoir; insolent et fier, il écrase
du poids de son autorité,
attaque par la ruse et la violence ceux qui sont placés sous
ses ordres, s'enrichit des
dépouilles que leur ravit sa main avare; mais, au jour de la
mort, tout cela ne sera qu'un peu
de cendre, car ses richesses n'étaient que "vanité et
affliction d'esprit."
Le monde est l'image de la nuit; ses oeuvres sont des rêves dont
les illusions égarent notre
esprit. La nuit, pendant le sommeil, nous nous élançons
à la poursuite de misérables
chimères; le jour, quand nos sens sont éveillés,
le monde nous séduit par ses promesses
fallacieuses. Est-il endormi, l'homme est le jouet de visions fantastiques
et mensongères, de
même que le monde amuse sa crédulité par des songes
pleins de charmes, par cet appât qu'il
lui jette des plaisirs et de la richesse. Ainsi fortune, puissance,
honneurs, éclatante parure,
esclaves rampants à vos pieds, il semble tout vous donner, mais
ce n'est qu'un piège où vous
vous laissez prendre. La nuit vient-elle de plier ses voiles, vos yeux
se sont-ils ouverts, vous
vous réveillez enfin, et le tableau qui s'efface, vous dit que
tout cela n'était qu'une
déception. Dupes des séductions qui vous entourent, vous
les verrez s'envoler sur les ailes
des songes, et il n'en restera pas le moindre vestige. Quand l'esprit
de vie s'est éteint,
quand le corps s'est endormi dans la tombe, l'âme s'éveille,
et, au souvenir des
enchantements qui l'ont fascinée, elle gémit de ses erreurs,
déplore son infortune, s'étonne,
s'effraie en voyant se dérouler devant elle ce que les ténèbres
lui cachaient dans leurs replis
épais. Il lui arrive alors ce qu'éprouvent tous les jours
ceux qui, à leur réveil, comparent les
ravissantes images qui les ont agités dans leurs songes avec
l'indigence et le malheur qui les
presse dans sa hideuse réalité. Le passé n'a été
qu'un rêve, et à l'aspect de leur situation
présente, ils se troublent, ils hésitent; puis, jetant
un regard sur leur vie toute souillée de
crimes qui l'obscurcissent comme un sombre nuage, ils ne savent où
adresser leurs pas.
Quelque part qu'ils aillent, en effet, dans quelque endroit qu'ils
se cachent, leurs iniquités se
dressent contre eux de toute leur hauteur. C'est alors que viendra
le démon; exacteur
impitoyable, il s'acharnera à tourmenter leur âme; il
rappellera ces songes brillants du
monde, pour les mettre continuellement sous leurs yeux, ces trésors
amoncelés qui les
arrachaient au service de Dieu, et son sourire infernal, ses amères
railleries insulteront à leur
nudité. Il leur reprochera avec aigreur ces désordres
abominables qui ne peuvent être expiés
que dans les flammes, ces rapines, ces actes de méchanceté
et de perfidie qu'il faut enfin
payer dans l'horreur des ténèbres, par des grincements
de dents, et qui trop longtemps ont
défié le châtiment en irritant le courroux du ciel.
Leurs crimes, il les étalera à leurs yeux;
leurs fautes seront mises à nu; tous les voiles tomberont. C'est
ainsi que cet esprit impur
leur jettera à la face le tableau des cruelles illusions où
s'est perdue leur imagination. Ces
rêves qui souriaient à leur âme en seront le supplice.
Ah ! prenons garde que ce monde d'un
jour ne nous entraîne; défions-nous de ses charmes, car
ils s'effaceront comme de vains
songes.
Réfléchis à la rapidité avec laquelle les
jours s'envolent et l'heure s'enfuit; ils se hâtent, rien
ne peut les arrêter; le monde se précipite de même
vers sa fin. Que fait le jour présent au
jour de demain ? l'heure n'attend pas l'heure qui doit la suivre; votre
bras ne suspendra point
le cours du fleuve qui se rit de l'obstacle : ainsi fait la vie. À
tout homme qui naît, son temps
est mesuré; l'espace qu'il doit parcourir est renfermé
dans des limites invariables; il n'a ni le
moyen, ni le pouvoir de les déplacer ou de les franchir. C'est
Dieu qui les a établies
Lui-même pour marquer la succession des instants dont se compose
la vie de l'homme.
Chaque jour a sa part qu'il te dérobe à ton insu; les
heures à leur tour emportent la faible
portion qui leur est assignée; ainsi ta vie se morcèle,
ainsi la trame s'use jusqu'à ce qu'il
n'en reste plus un fil, et, comme s'il y avait en toi autre chose que
vanité, tes jours sont
livrés en proie aux larrons et aux malfaiteurs. Les saisons
les entraînent dans leur course
rapide, jusqu'au moment où, altéré insensiblement,
leur chaîne venant à se rompre, tous les
anneaux en sont dispersés. Les jours étendront un linceul
sur ta vie, les heures emporteront
un cadavre, parce que les heures et les jours le poussent aux enfers.
Cette vie dont tu jouis
aujourd'hui s'éteindra avec les derniers feux du jour, elle
passera vite, parce que chaque
heure en prend sa part qu'elle engloutit à jamais à l'instant
même où elle sonne. Dans cette
fuite rapide du temps, la vie s'use et s'anéantit. Les jours
et les heures viennent en
revendiquer la portion qui leur appartient, puis ils disparaissent,
et ces vols successifs se
renouvellent jusqu'à ce qu'enfin tu n'aies plus rien à
donner. C'est Dieu qui a fixé le terme de
ta vie, Dieu qui en a divisé l'espace; chacun de tes instants
réclame la part qui lui a été
dévolue; c'est comme une source où il puise jusqu'à
ce qu'elle tarisse. La vie et le temps
marchent ensemble et du même pas; tous deux se hâtent,
tous deux ne sont bientôt plus. En
vain tu tenterais de les retenir. Quand le soleil s'arrêtera
dans les cieux, quand la lune ne
présentera plus à sa lumière ses différents
aspects, c'est alors que les flots qui t'emportaient
cesseront de couler. L'ombre va t'apprendre encore combien la vie fuit
rapidement. Mets-toi
en opposition avec le soleil, trace une ligne; vois l'ombre que ton
corps projette, sans cesse
elle se déplace, elle décroît ou s'allonge, elle
ne reste jamais au même point. Eh bien ! le
même mouvement t'entraîne, ta vie court à la mort
avec la même rapidité. De l'aurore au
coucher du soleil, l'ombre de ton corps glisse avec la même vitesse
que du sein de ta mère tu
te précipites vers le tombeau. Ouvre la main, développe-la
tout entière, c'est la mesure de ta
vie; quelque longue qu'elle soit, elle ne dépassera point cette
étroite limite; sur tes cinq
doigts sont marqués tes cinq âges. Du petit au pouce tu
vois tracés le commencement et la
fin de ta vie. Avec le petit doigt, elle commence, c'est la petite
enfance; de ce point au
quatrième doigt, c'est l'enfance privée d'intelligence
et de jugement; du quatrième au doigt
du milieu, voici venir la jeunesse superbe, cet âge des illusions
et de l'espérance. Du doigt
du milieu au second, tu es homme enfin; mais alors le progrès
s'arrête, le déclin commence;
il n'y a plus qu'un espace à parcourir, c'est l'intervalle qui
sépare le second doigt du pouce;
alors c'est la vieillesse, alors la vie est finie. Voilà tout
ce qui est donné à l'homme, si
toutefois il arrive au terme ordinaire; trop souvent la mort accourt
avant le temps; ces
divisions que j'ai indiquées, Dieu les rapproche, sa Volonté
les resserre, car Il craint qu'en se
prolongeant, ta vie ne se charge de nouveaux crimes. Ainsi, sa main
qu'il développe est pour
l'homme la mesure de sa vie, les cinq doigts sont les cinq degrés
qu'il doit parcourir. Examine
donc à quelle section du temps tu es déjà parvenu,
car tu ne sais à quel point précis la mort
doit s'emparer de toi. "Le jour du Seigneur est comme un larron," il
te surprendra au moment
inattendu.
Vis dans la paix, fais provision de bonnes oeuvres pour le voyage, car
chacun désire que sa
vie retourne à Dieu, chacun est jaloux de la retrouver. C'est
un bonheur dont tu jouiras sans
doute, si tu en règles sagement l'emploi; autrement ta vie te
sera enlevée sans retour, tu ne
la retrouveras plus. Perdue au milieu des déserts, une onde
fraîche ne viendra pas mouiller
tes lèvres; si tu as eu la précaution d'en conserver
dans un vase, elle éteindra ta soif. Eh
bien ! Ne perds pas ta vie dans les plaisirs; ne la livre point en
proie à la haine, à la colère;
ne l'use pas dans le vol ou dans l'affliction des pauvres. Si elle
s'égare dans ces sentiers
honteux, tu la chercheras en vain. Garde-toi aussi de toute impudicité,
de tout gain illicite,
ou sinon ce ruisseau où tu t'abreuvais se perdra sous la terre
comme une eau croupie. Ne
souffre pas que le mensonge, l'envie, les querelles, la discorde, ou
tout autre fléau
l'entraînent et la tuent. Dépouillé de la vie réelle,
ne va pas tomber entre les bras d'une mort
qui ne sera pas imaginaire. Travaille donc à de bonnes oeuvres;
ouvre-toi ainsi des canaux,
qui, après la mort, reçoivent les eaux où flotta
ta vie, et les portent jusqu'aux Pieds de Dieu.
Qu'est-ce, en effet, que la vie ? un faible ruisseau; tâche d'en
diriger le courant de manière
qu'un heureux détour l'amène jusqu'à ton Créateur,
et qu'il se change alors pour toi en une
vaste mer. La vie encore n'est qu'une goutte d'eau qui du toit tombe
aussi vite que passe le
monde; mais qu'elle tombe du moins dans le Sein de Dieu, et tu auras
échappé à l'abîme. Ta
vie s'altère et de jour en jour se raccourcit; renouvelle-la
dans le Seigneur afin qu'elle
participe à l'éternité. Veille sur toi; ne laisse
pas la colère ou quelque autre passion dévorer
tes jours, dans la crainte de mourir tout entier, sans espoir d'une
autre vie. Si tu livres ton
âme aux emportements de la colère, tu perdras le jour
présent; sois assez sage pour
empêcher qu'ils ne se prolongent jusqu'au lendemain et ne te
dépouillent tout à fait. "À
chaque jour suffit son mal" - dit notre Sauveur. C'est assez d'avoir
sacrifié un seul jour à la
colère; qu'elle ne prenne pas place dans ton âme, que
ses feux ne te brûlent pas du soir au
matin, et que le soleil ne se couche pas avant qu'ils soient éteints.
C'est un hôte perfide que
tu as reçu; hâte-toi de le congédier; s'il résiste,
parle en maître et qu'il sorte à l'instant. Que
ton courroux s'efface avec les derniers rayons de l'astre qui éclaire
la terre; ne lui accorde
aucun délai; rien n'enchaîne le vol des heures, laisse-le
donc s'envoler sur leurs ailes légères.
Il en est de la colère comme d'un ferment qui aigrit la matière
à laquelle on le mêle; qu'elle
pénètre ton coeur, et soudain elle l'infectera de son
fiel amer. L'aspic et le basilic sont cruels,
mais ils le sont moins encore que la colère qui tue l'âme
et l'arrache à son Dieu. Si tu
apprends qu'un serpent s'est caché dans ta chambre, tu te mets
à sa poursuite et tu le tues
quand tu l'as pris. Eh bien ! La colère habite ton coeur, elle
y aiguise contre toi ses armes, tu
le vois et cependant tu ne t'empresses pas de l'en chasser. À
l'aspect d'un serpent endormi,
tu recules d'horreur; tu redoutes son dard; toutefois tu laisses la
colère résider en toi,
quoique tu saches bien que son poison est mortel. Un serpent se glisse-t-il
sous ton
vêtement, tu es glacé d'effroi; ton coeur est devenu un
repaire de serpents et tu ne trembles
pas. L'haleine du basilic corrompt la chair qu'elle effleure; il en
est de même de la colère
dans ton âme dès qu'elle y entre. La morsure du serpent,
la dent du scorpion t'effraient; la
morsure de la colère ne t'inspire ni crainte ni inquiétude;
la haine déchire ton coeur et tu es
tranquille. Quel homme fut jamais assez insensé pour appeler
un serpent dans sa demeure,
ou pour le laisser dans son sein, s'il vient de s'y introduire
? Tu ne le veux pas sans doute;
cependant tu y donnes accès à des fléaux plus
dangereux, à la colère plus funeste que le
basilic, à la haine plus horrible que le serpent. Une parole
indiscrète a frappé tes oreilles; ce
n'est qu'une suggestion de l'esprit infernal; néanmoins tu ouvres
aussitôt la porte de ton
âme à la colère, elle s'y précipite et s'y
attache. Une cause futile met la division entre toi et
ton prochain; tu appelles la haine, elle accourt, et rien ne peut plus
l'arracher de la place
qu'elle a une fois occupée. écoute les cris que pousse
la colère; comme un chien furieux, à la
gueule écumante, elle s'irrite; combats-la, fais taire ses hurlements;
oppose-lui un visage
calme et riant, qu'elle n'y voie point éclater le ressentiment,
et tu l'enchaîneras pour qu'elle
ne perde pas deux âmes à la fois.
Mon Dieu, Toi qui as donné la paix aux grands et aux petits au
prix de ce Sang précieux qui a
coulé de ton Côté, fais qu'elle descende dans les
coeurs que la colère enflamme; Toi qui as
su rétablir l'harmonie entre des êtres toujours ennemis,
unis dans les mêmes sentiments
d'amour ceux que divise la haine. Seigneur, Toi qui es "notre Paix",
comme l'a dit Ton
disciple, puisse ta Paix garder les âmes qui T'en supplient.
"Je vous donne ma Paix, Je vous
laisse ma Paix," as-Tu dit, Seigneur, à tes apôtres et
Tu es remonté vers ton Père; mais
quand Tu reviendras dans toute la majesté de ta Gloire, l'effroi
se répandra sur la terre; alors
les sons éclatants de la trompette retentiront dans le ciel,
et la terre sera agitée dans ses
fondements, la pierre des tombeaux se brisera, les sépulcres
s'ouvriront; d'un regard, Tu en
feras sortir les cadavres, le limon dont Tu as formé Adam, la
poussière, reprendront un corps,
et, tremblants d'effroi, les grands et les petits s'élèveront
du fond du cercueil. Que ta Paix,
Seigneur, que ta Grâce viennent à nous, qu'elles daignent
nous être en aide ! Seigneur, gloire
à Toi et que ta Miséricorde s'étende jusqu'à
tes serviteurs, Dieu clément et plein de bonté.
Amen.
Malheur à nous
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