«Au "niveau supérieur", le mot "Dieu" ne correspond à rien de
réel. Tout ce qu'ils ont à offrir, c'est une réponse
fondée sur le sentiment que ce mot éveille.
La théologie radicale
doit désormais se contenter de cet "autre" dont parle la philosophie, cet
infini, ce grand tout parfaitement impersonnel. Cette démarche rapproche
l'Occident de l'Orient. La théologie nouvelle a perdu le Dieu unique, à la fois
infini et personnel, celui de la Révélation biblique et de la Réforme. Il ne lui reste plus, bien souvent, que des mots vides de sens.
T. H. Huxley (1825 – 1895) a fait oeuvre de prophète en
ce domaine. En 1890, il a déclaré que le temps viendrait où les hommes
videraient la foi de tout contenu et, en particulier, le récit biblique de
l'époque pré-abrahamique. Il a ajouté: "N'ayant plus aucune base
factuelle, la foi se dresse, désormais, fière et inaccessible aux attaques des
infidèles."
La théologie moderne,
après avoir fait sienne la dichotomie entre les "deux niveaux" et soustrait tout
ce qui relève de la foi au monde du vérifiable, se trouve maintenant dans la
position décrite par T. H. Huxley. Dans les années 80, elle diffère très peu de l'agnosticisme ou même de l'athéisme de la
fin du XIXe siècle.
Ainsi de nos jours, il y a antagonisme entre la foi
et la raison, entre la foi et la logique, entre le vérifiable et l'invérifiable.
Les théologiens préfèrent les connotations aux termes clairement définis
et les mots ne sont que de vagues symboles fort différents des symboles
scientifiques qui, eux, sont définis avec précision. La foi est, par
conséquent, inattaquable : elle peut être n'importe quoi; elle échappe à toute
discussion rationnelle.
Jésus, la bannière sans
contenu
La théologie de "la mort de Dieu" utilise encore le nom de
Jésus. Paul van Buren, par exemple, dans un ouvrage intitulé La
signification séculaire de l'Evangile, a écrit que le problème,
aujourd'hui, est que le mot "dieu" n'a plus de sens. Mais, à son avis, ce n'est
pas une grande perte, car nous avons tout ce qu'il nous faut dans l'homme Jésus-
Christ. Mais, ici, Jésus n'est plus qu'un symbole sans contenu. Le mot n'est
employé par les théologiens que pour ce qu'il évoque dans la mémoire de la race
humaine. Leurs théologies ne sont plus qu'un humanisme auquel le nom de Jésus
sert de bannière, dont la signification est celle qui leur plaît. Le mot
"Jésus", ou plutôt sa connotation, a glissé du "niveau inférieur" au "niveau
supérieur". Encore une fois, les termes employés au "niveau supérieur", même
s'il s'agit de termes bibliques, n'ont aucune importance, puisque le système est
fondé sur le "saut", la rupture entre les deux "niveaux" de la connaissance. En
voici le schéma:
l'irrationnel Jésus
------------------------
le rationnel – Dieu est mort
Les chrétiens ont donc à faire preuve d'une très grande
prudence. Dans le Weekend Telegraph, en date du 16 décembre 1966, Marghanita
Laski décrit les nouveaux mysticismes et se demande s'il est possible d'en
démontrer la fausseté ou la véracité. En fait, elle explique que les hommes sont
en train d'extraire la religion du domaine des choses sujettes à discussion et
de la placer dans celui où rien ne l'est parce qu'aucune preuve, positive ou
négative, n'y est à apporter.
Les "évangéliques" doivent se montrer prudents en face
de certains d'entre eux qui affirment que l'important n'est pas de prouver la
véracité ou la fausseté d'une doctrine, mais de rencontrer Jésus. Une telle
déclaration, qu'elle ait été ou non l'objet d'une analyse, relève du "niveau
supérieur".
l'irrationnel – rencontrer Jésus
------------------------------------
le rationnel – on ne se soucie pas
de
prouver ou non les affirmations
Si nous pensons échapper à la grande contestation de
notre temps en minimisant les déclarations de l'Ecriture et en plaçant les mots
"Jésus" ou "expérience" au "niveau supérieur", nous devons nous demander s'il y
a vraiment une différence entre cette façon de procéder et celle de la théologie
nouvelle ou le mysticisme du monde séculier. La réponse est claire : il n'y en a
pas.
Si les affirmations placées au "niveau supérieur" n'ont plus
rien de rationnel et si l'on admet que l'Ecriture, spécialement lorsqu'elle
traite des questions relatives à l'histoire et à l'univers, échappe à toute
vérification, pourquoi préférer les conceptions des "évangéliques" à celles de
la théologie moderne ? Sur quelle base un tel choix serait-il fait ? Une
rencontre avec Vishnu ne serait-elle pas tout aussi valable ? Et pourquoi ne pas
chercher une telle "expérience", sans référence à quelque nom que ce soit, dans
la drogue ?
Il importe de bien comprendre que le système moderne forme un
tout et de discerner le sens des mots : dualité, dichotomie et "saut".
L'irrationnel – le "niveau supérieur" – peut revêtir toutes sortes d'expressions
: religieuses, séculières, morales ou non. Quoi qu'il en soit, ce qui
caractérise ce système, c'est que les termes employés au "niveau supérieur"
n'ont aucune importance, y compris le mot bien-aimé, Jésus.
J'en suis arrivé au point de craindre l'énoncé du mot "Jésus" –
ce mot si rempli de sens, pour moi, à cause de la personne du Jésus de
l'histoire et de son oeuvre –, car ce mot est devenu une bannière sans
signification sous laquelle nos contemporains sont invités à se ranger. N'étant
plus soumis aux critères de la Parole de Dieu et de la raison, le mot sert à
communiquer un enseignement contraire à celui de Jésus. C'est avec ferveur et
élan que l'on est invité, par la nouvelle morale, elle-même fondée sur la
théologie nouvelle, à suivre cette bannière. C'est suivre Jésus que de coucher
avec une personne de l'autre sexe, si cette personne a besoin de vous. Tant que
vous avez le souci d'être humain, vous "suivez" Jésus, même si – mais cela
vaut-il la peine de s'y arrêter ? – c'est en contrevenant à l'enseignement moral
de Jésus. Cela n'a aucune importance, car ce contenu rationnel de l'Ecriture se
situe au "niveau inférieur".
Nous vivons un moment effrayant où le mot
"Jésus" évoque trop souvent une réalité ennemie de sa personne et de son
enseignement. Aussi importe-t-il de se méfier d'une bannière vide de
sens, non parce que nous n'aimerions pas Jésus, mais justement à cause de notre
amour pour lui. Il faut donc combattre cette bannière qui évoque quelque chose
de très fort dans la mémoire collective et qui devient, de ce fait, un moyen de manipulation sociologique. Nous devons
également mettre en garde nos enfants spirituels.
Face à cette situation en rapide évolution, je me demande si
Jésus ne pensait pas à cela lorsqu'il annonçait qu'à la fin des temps il y
aurait d'autres Jésus. N'oublions jamais que l'ennemi, c'est l'Anti-Christ,
c'est-à-dire celui qui cherche à prendre la place du vrai Christ, et non une
apparence illusoire. Au cours des dernières années, ce "Jésus"-ci,
déconnecté de l'Ecriture, est devenu l'ennemi du Jésus de l'histoire, le Jésus
qui est mort et ressuscité, et qui va revenir, le Fils éternel de Dieu.
Soyons sur nos gardes. Si les "évangéliques" se mettent, à leur tour, à
accepter la dichotomie entre les deux "niveaux" de la connaissance et s'ils
considèrent possible une rencontre personnelle avec Jésus en dehors de
l'enseignement de l'Ecriture (même des parties vérifiables de celle-ci), ils se
retrouveront, sans l'avoir voulu, prisonniers, avec la génération montante, du
système moderne, système monolithique consensuel et englobant.»