- Pauvre novice ! J'ai mille moyens de réussir. Dès le matin, par exemple, je m'arrange
pour qu'il arrive un imprévu, oh ! pas grand chose : des invités
qui s'annoncent pour midi, un petit rhume qu'on décidera de tuer
en restant bien au chaud... je me suis aperçu que c'était
plus facile encore : un lacet qui casse juste au moment de partir, un bouton
qui manque, le lait qui se renverse, le chat qui est malade, la panne de
gaz, la voiture qui ne démarre pas, les enfants qui traînent,
et ça y est, on n'ira pas au culte. Et même si l'on y va dans
ces conditions, je suis tranquille, on est de telle humeur qu'on n'en profite
pas du tout.
Dans l'église,
je fais en sorte que le moment de recueillement qui précède
le culte soit impossible : c'est très facile ! Il suffit de deux
ou trois personnes qui bavardent dans le hall, ou dans le fond de l'église,
ou dans l'auditoire pour que l'ensemble n'arrive pas à se recueillir
et prier ! Je m'arrange à faire arriver le plus de monde possible
en retard et j'en tire double profit : ces gens-là ont manqué
le début du culte et ils ont dérangé les autres pendant
les quinze premières minutes, c'est toujours ça de gagné !
Il y a ceux qui me prennent au dépourvu et qui entrent dans ce lieu pour la première
fois. Comme je désire qu'ils ne reviennent pas, j’ai mis au point
un dispositif de contre attaques : personne ne leur donne un recueil de
cantiques, personne ne les salue, ni à l'entrée, ni à
la sortie, j'ai remarqué que cela suffisait pour qu'on ne les revoie
plus. Un enfant qui ferme la porte bruyamment, un parapluie qui tombe,
ou tout autre bruit de chaise suffisent d'ordinaire à faire tourner
la tête à une bonne partie de l'auditoire.
Je fais aussi de suite
occuper les dernières places aux premiers arrivés, afin que
les retardataires soient forcés de rester debout au fond, ou de
traverser tout le temple, c'est pour moi double profit, car l'assistance
est distraite et eux-mêmes pour éviter cet inconvénient
de déranger, ne reviennent pas les fois où je puis les faire
arriver en retard, par un imprévu de dernière minute.
Je leur escamote ainsi deux ou trois réunions par mois. Et puis, j'ai mille tours dans
mon sac; il suffit d'avoir un peu de patience et j'en ai plus qu'ils n'en
ont eux-mêmes !
Un jeune plein d'enthousiasme...
ça me fait mal sur le moment, mais qu'il se marie et on ne le verra
pratiquement plus. Je l'engage dans des projets de construction de maison,
et son enthousiasme se ralentit.
Et puis si tu pouvais
lire dans tous les coeurs pendant les chants, la prière et le sermon.
Un pense à son commerce, l'autre à sa promenade, l'autre
à son repas de midi, un autre à sa maison. J'en ai des pensées
à leur glisser dans l'esprit et ils les accueillent facilement,
au point que certains sont présents de corps, mais complètement
ailleurs par la pensée.
Puis, je n'en finirais
pas s'il fallait tout dire, je m'arrange pour que certains ne se pardonnent
pas, ne s'entendent pas entre eux et qu'ils s'assoient loin les uns des
autres, en pensant à leur rancune ! Belle dévotion !
Ainsi, tu vois que
j'ai raison d'aller au culte et que j'y fais de brillantes affaires. Dans
les lieux de plaisir, mes affaires se font toutes seules. J'ai moins besoin
d'y concentrer mon attention. Mais au temple, c'est autre chose, Il faut
que je m'y rende et si possible avant eux tous !
Ainsi raisonnait le diable tout en cheminant.
- auteur inconnu