AVANT-PROPOS
DE LA SEPTIÈME ÉDITION
L'intérêt pour la biographie
du Sâdhou Sundar Singh n'a pas faibli au cours des ans. L'exemple de ce chrétien
indien, ses souffrances, sa consécration au Christ, sa vie de prière, ses
images toujours nouvelles, son jugement sur notre chrétienté occidentale,
son obéissance jusqu'à la mort, tout cela garde pour nous une valeur permanente
et glorifie le Dieu que Sundar Singh a servi.
PRÉFACE
DE LA PREMIÈRE ÉDITION
L'impression profonde laissée par
le passage du Sâdhou Sundar Singh en Suisse ne s'est pas effacée de la
mémoire de ceux qui ont eu le privilège de l'entendre. L'harmonie de cette
physionomie dans la robe de Sâdhou, le rayonnement d'une personnalité tout
illuminée de paix et d'amour, imposaient l'admiration et beaucoup d'auditeurs
pensaient ou disaient: «Comme il est semblable au Christ! »
Le récit de sa conversion, les merveilleuses
expériences qu'il lui a été donné de faire à travers de
dures souffrances, les interventions miraculeuses de Dieu dans maintes circonstances
tragiques de sa vie, semblent tirés du livre des Actes des apôtres.
Sundar Singh, ce mystique des temps modernes,
unique dans l'histoire chrétienne du XX, siècle, fut en même temps
un grand homme d'action.
L'exemple de sa vie, son enseignement,
ses expériences, ont une valeur durable qui ne doit pas tomber dans l'oubli.
Que ceux qui approfondiront ces pages,
trouvent à leur tour cette paix de l'âme « qui surpasse toute intelligence
», cette joie parfaite, cette vie de prière dans la communion avec Christ,
dont le Sâdhou nous a révélé le secret.
Il nous dirait: « Écouter ma
voix vous serait inutile si vous n'écoutiez pas la voix du Christ. Dans le silence
vous l'entendrez vous parler, et vous comprendrez ce qu'un homme venu des Indes jusqu'à
vous, a trouvé en lui. Christ seul est le salut. Celui qui vit en lui est mort
au péché et entre dans la vie éternelle. »
Alice van Berchem.
- CHAPITRE PREMIER -
LA FOI DES ANCÊTRES DE SUNDAR
SINGH:
LA RELIGION SIKH
En 1469 naquit dans le Punjab, au nord
de l'Inde, un Hindou nommé Nânak. Jeune encore, il quitta le monde et devint
fakir (ou Sâdhou), cherchant en vain le salut dans toutes les formes de la religion
hindoue. Il consacra sa vie à Dieu et à ses semblables, fit de longs voyages
missionnaires, visita les Indes, le Cachemire, Ceylan et même La Mecque, cherchant
à purifier le bouddhisme et l'islamisme et à en unir les adeptes dans une
foi commune. Il proclama qu'il n'y a qu'un seul Dieu, présent partout, dans
le ciel et sur la terre ; que les rites et les sacrifices sont inutiles ; que les
idoles doivent être détruites, la vraie adoration consistant à louer
Dieu chaque matin et à se consacrer corps et âme au Créateur. Il déclara
les hommes égaux devant Dieu et les castes une erreur. Il prêcha l'amour
et la fraternité entre tous les hommes. Bien qu'humble, il demanda à ses
adeptes une obéissance absolue et sa religion devint une religion d'autorité,
autorité impliquée dans le nom même de Sikh qui signifie « disciple
», disciple du Gourou.
Le Gourou est, sur la terre, le représentant
du Dieu invisible ; il est le Maître saint. - Le Gourou est Dieu et Dieu est
le Gourou. - Il n'y a point de différence entre eux. - Le Gourou est le Créateur.
- Sans lui, nul homme ne peut atteindre à la perfection. - Le Gourou est le
guide. - Nânak dit même : - Un homme est venu, par lequel le monde entier
doit être sauvé. (Cette parole ne rappelle-t-elle pas singulièrement
le prologue de l'évangile de jean ?)
Le Gourou, comme représentant de Dieu,
réclamait les honneurs divins : l'adoration des hommes, une entière soumission,
une inconditionnelle obéissance.
Pourtant la glorification d'un être
humain est en opposition, semble-t-il, avec la spiritualité de la religion sikh,
de même que le pouvoir magique attribué au nom sacré de Dieu: - Celui
qui prononce le nom de « Hari » (un des nombreux noms de la divinité),
atteint la plénitude de la sagesse, du salut, de la bénédiction. -
Murmurer le nom de Hari apporte le réconfort et délivre du péché
et de la crainte.
Les enseignements de Nânak et de
ses successeurs, sont écrits en vers dans le « Granth » ou livre par
excellence, canon des écrits saints, dont la lecture était obligatoire.
La religion sikh, parfois contradictoire, est un mélange d'hindouisme
et d'islamisme. Comme les bouddhistes, les saints sikhs cherchent la rédemption
finale du péché et de la souffrance, dans le cycle sans fin des réincarnations,
dans la transmigration des âmes qui meurent et doivent renaître une multitude
de fois pour atteindre le Nirvâna où l'âme purifiée trouve le
repos dans l'extinction de tout désir. Toute conscience de soi-même, toute
individualité cessent d'exister, englouties qu'elles sont dans l'océan
infini de l'union avec l'être suprême. Dans les sphères les plus élevées,
il n'y a plus ni joie, ni peine, ni espérance, ni désir, ni parole ; seule
existe la vision du divin : le disciple de Nânak est absorbé en Dieu.
Cette austère doctrine du Nirvâna
est contrebalancée dans les écrits sikhs par la vivante représentation
du ciel des mahométans, sorte de paradis où les Sikhs fidèles recevront
la récompense éternelle de leur foi et de leur amour pour Dieu.
La conception de Dieu et du salut prêchés
par Nânak et ses successeurs se distinguent de l'hindouisme et de l'islamisme
par une plus grande spiritualité. Nânak condamne l'adoration des idoles,
la récitation machinale des Védas. qui contrastent avec l'adoration en
esprit enseignée par le Granth. Il réprouve le rigide ascétisme des
Brahmanes : exposer un de ses membres au feu, demeurer perpétuellement dans
l'eau, jeûner, endurer un grand froid ou une grande chaleur, se coucher sur
un lit garni de pointes, tenir un bras en l'air jusqu'à ce qu'il s'ankylose,
rester sur une seule jambe, toutes ces oeuvres de pénitence sont l'oeuvre des
ténèbres, dit Nânak. Il va même jusqu'à mettre en garde
ses fidèles contre les moines mendiants, - Ne révérez pas tous ceux
qui s'appellent Sâdhous eux-mêmes et qui demandent l'aumône. Ceux-là
seulement qui vivent du fruit de leur travail font oeuvre utile et sont dans le chemin
de la vérité.
Quelques citations des livres saints des
Sikhs nous révéleront la pureté et la grandeur de leur religion où
la notion du péché et du pardon. ce thème central de la Bible et de
l'expérience chrétienne se retrouve constamment :
- Je suis un pécheur, Toi
tu es pur... accorde-moi ta grâce... aie pitié, afin que je ne sois pas
englouti comme une pierre dans la profondeur de la mer.
Ainsi s'exprime Amar Das. dans son expérience
du salut:
- Nous commettons des péchés
sans fin, ô Hari ! sois miséricordieux et pardonne-les. - Mon âme
est réconciliée avec Dieu et je suis submergé par son merveilleux
amour.
Le Granth, comme la Bible, proclame que sans
humilité il n'y a point de salut ni de grâce ; que la porte du salut est
étroite et que l'orgueil empêche l'homme de trouver Dieu.
Certaines maximes sont bien proches du
sermon sur la montagne Si un homme te bat, ne lui rends pas le coup en retour, mais
arrête-toi et embrasse ses pieds. - Si ton âme a soif de Dieu, deviens
comme l'herbe foulée aux pieds par les hommes. - Si un homme te renverse et
qu'un autre te piétine, alors tu entreras dans le temple de Dieu.
Quelques prières sont si personnelles
qu'elles ressemblent étrangement à celles des Psaumes : - Tu es mon père,
tu es ma mère... en toutes choses tu es mon protecteur, que craindrai-je ;...
Tu es mon appui... Tu es mon refuge... par Toi toutes choses ont été créées...
tout est à Toi, rien n'est à nous, ô Dieu !
- Nous soupirons après
Toi, nous avons soif de Toi, ce n'est qu'en Toi que notre coeur trouve le repos,
ô Hari ! - Comme un enfant est satisfait quand il boit du lait, comme un pauvre
homme est réconforté quand les choses vont bien pour lui, comme un homme
altéré est rafraîchi par l'eau, ainsi mon coeur est heureux en Toi,
ô Hari! - Comme une lampe brille dans l'obscurité, comme celle qui veille
en attendant son époux est heureuse quand il parait, ainsi exulte mon coeur
en amour pour Toi, ô Hari!
Et cette prière qui révèle
un désir si intense je ne peux pas vivre un moment sans Toi... je suis misérable
sans mon bien-aimé... je n'ai point d'ami... quand je te possède, j'ai
toutes choses... Toi, ô Seigneur! Tu es mon trésor... j'ai faim et soif
de Toi.
Cependant dans ces prières qui débordent
d'amour et de confiance en un Dieu personnel, l'ami et le sauveur de l'âme,
se retrouve un universel panthéisme caractéristique de la religion sikh.
Même sur les lèvres de Nânak on perçoit la phrase des Védas
: je suis Lui, moi-même je suis Dieu.
Après la mort de Nânak, quatre
« leaders » lui succédèrent. L'un des plus fameux fut tué
par les Musulmans qui, en persécutant les Sikhs, firent d'eux un peuple militaire
déterminé à se venger. Il sortit ainsi de la ligne de non-résistance
prêchée par Nânak. Les Sikhs eurent leurs saints et leurs martyrs.
Un de leurs chefs donna à la tribu le nom de Singh ou lion, comme un témoignage
de sa valeur guerrière et de son intrépide courage.
Les Sikhs, de souche aryenne, sont une race
fort belle, de grande taille, au teint relativement clair. Ils portent de longs cheveux
noirs qu'il ne leur est pas permis de couper.
Leur livre sacré, le Granth, se lit
à haute voix dans le service divin, comme la Bible dans nos cultes. Les devoirs
religieux personnels des Sikhs sont : le bain rituel deux fois par jour, la lecture
quotidienne des écrits sacrés en sanscrit, la prière matinale et celle
du soir tirées du Granth. Les Sikhs doivent se séparer de tout ce qu'il
y a d'impur et de mauvais dans l'hindouisme et être prêts à souffrir,
s'il le faut, pour défendre la vérité.
Leur idéal moral est très élevé
; loyauté et droiture, humilité et obéissance, générosité
et hospitalité, promptitude à pardonner et à supporter patiemment
l'injustice.
La grande importance attachée aux
vertus domestiques : fidélité conjugale, soin des parents pour leurs enfants,
amour filial et piété, mettent la religion sikh bien au-dessus des sectes
de l'hindouisme.
Pourtant, malgré ses enseignements qui
semblent parfois si près de l'Évangile, tels que la foi au pardon, l'amour
de Dieu, le renoncement à soi-même, l'humilité et la fraternité.
l'incarnation de Dieu dans un être humain. ces reflets de la révélation
biblique sont ternis par l'influence du panthéisme hindou et du fatalisme musulman
qui nie tout libre arbitre.
La croyance à la réincarnation
sans fin, la doctrine du Nirvâna, l'adoration du Gourou, ce mélange de
croyances souvent contradictoires ôte à l'enseignement du Granth toute
puissance créatrice et ne peut répondre aux aspirations profondes de l'âme
hindoue assoiffée de trouver la. paix, cette paix de l'âme si ardemment
désirée et poursuivie souvent dans une vie de souffrances volontaires qui
va jusqu'au martyre. *
« Il n'y a sous le ciel aucun autre nom - que le nom de Jésus-Christ
- par lequel nous puissions être sauvés. » Actes des Apôtres.
* Ce chapitre est en grande partie extrait de The Gospel of Sâdhu Sundar Singh (traduction anglaise
du livre allemand de Friedrich Heiler).
À LA RECHERCHE DE LA PAIX
Mon âme a soif de Dieu, du Dieu vivant.
Ps. 42. 3.
C'est au sein de cette tribu religieuse
et guerrière que naquit, le 3 septembre 1889, le Sadhou Sundar Singh.
Sa famille habitait une demeure ancestrale
à Rampour, village sikh dans l'État de Patiala, au nord du Punjab. Son
père, Sardar Sher Singh, était un Sikh de la classe dirigeante et instruite
; il possédait une grande fortune et était considéré par les
villageois des environs comme leur chef. Sundar, le cadet de la famille, fut élevé,
comme ses deux frères et sa soeur, au milieu du luxe et de tout le confort possibles.
Durant la saison chaude, la famille passait en général l'été
à Simla, dans l'Himalaya. La vie domestique n'était point encore atteinte
par la civilisation moderne, et les anciennes traditions religieuses étaient
strictement observées. Une noble dignité régnait dans ce milieu.
La mère de Sundar était une
femme remarquable par la pureté de son caractère et sa grande piété.
Remplissant fidèlement ses devoirs religieux, certains jours elle jeûnait
afin que ses prières fussent plus dignes de son Dieu ; toute son âme se
répandait en dévotions. Jamais agitée ou surmenée, ses occupations
de maîtresse de maison étaient tout imprégnées de son attitude
spirituelle.
Elle avait une affection toute spéciale
pour son fils cadet et lui apprit tout ce qu'un jeune garçon doit apprendre
de sa mère : être pur et véridique, brave et généreux, serviable,
courtois envers chacun, et persévérant dans sa piété. Elle lui
transmit très tôt son grand désir de faire de lui un « Sadhou
», un être mis à part pour Dieu. Les Sadhous sont des hommes saints
qui, abandonnant toute possession terrestre, vont de lieu en lieu, vêtus d'une
longue robe jaune safran, méditant, prêchant, enseignant, respectés
de tous et vivant de la charité qui leur est offerte.
Sundar était constamment auprès
de sa mère ; elle lui disait souvent :- il ne faut pas que tu sois insouciant
et mondain comme tes frères, il faut que tu aimes la religion et que tu cherches
la paix de l'âme et un jour tu deviendras un Sadhou.
C'est elle qui lui apprit qu'il y a une paix
du coeur « Shanti » qui est le plus précieux trésor du monde,
et qu'on ne peut l'acquérir qu'en la recherchant avec persévérance.
C'est elle qui a éveillé en lui ce désir intense de trouver la perle
de grand prix. Il en vint très tôt à considérer cette vie de
Sadhou comme la seule digne d'être vécue.
Voici ce qu'il dit lui-même sur son
enfance et au sujet de sa mère pour laquelle il a toujours gardé une grande
vénération et une profonde affection :
- je suis né dans une famille sikh où
l'hindouisme était la base de l'éducation. Ma mère était pour
moi une vivante image de cet enseignement. Elle se levait avant la lumière du
jour et, son bain pris, avant de faire quoi que ce soit d'autre, lisait les livres
sacrés hindous. J'ai été influencé plus que le reste de la famille
par sa vie pure et son exemple. De bonne heure elle a imprimé en moi la notion
que mon premier devoir en me levant, avant de prendre aucun aliment, était de
prier Dieu afin d'obtenir sa bénédiction et la nourriture spirituelle de
mon âme. J'insistais parfois pour avoir d'abord mon déjeuner, mais ma mère,
avec amour ou sévérité a fermement fixé dans mon esprit cette
nécessité de chercher Dieu en tout premier lieu. Bien que je fusse trop
jeune alors pour apprécier la valeur de cette habitude, j'en compris l'importance
dans la suite et je remercie Dieu pour l'éducation et l'exemple que j'ai reçus
dans ce domaine.
Ce témoignage rendu par son fils
à une mère hindoue est bien fait pour remplir de confusion plus d'une mère
chrétienne, qui n'a pas compris l'importance qu'il y a à inculquer à
ses enfants l'habitude de lire la parole de Dieu et de consacrer quelques instants
à la prière avant de commencer la journée. Sundar Singh est un exemple
frappant de l'influence profonde que peut exercer cette sainte obligation pour l'orientation
de toute la vie.
- je ne pourrai jamais être assez reconnaissant
à Dieu, dit-il, de m'avoir donné une telle mère, qui dans mon enfance
a imprimé en moi l'amour et la crainte de Dieu. Elle a été pour moi
la meilleure école de théologie et elle me prépara, autant que ce
fut en son pouvoir, à consacrer ma vie a Dieu.
Il déclarait avec une profonde émotion
que sa mère seule, par ses prières quand il était enfant, l'a gardé
près de Dieu. Elle a été inconsciemment l'instrument pour le conduire
à Jésus. Si elle avait vécu plus longtemps, il était convaincu
qu'elle serait arrivée à la pleine connaissance du Christ comme lui-même.
Il ne pouvait, dans sa pensée, séparer sa mère bien-aimée de
l'amour du Sauveur. Comme pour la plupart des hommes et des femmes de profonde conviction,
le fondement de la foi de Sundar a été posé dans l'enfance. Aucune
base de vie religieuse n'est aussi solide que celle-là.
- je crois, dira-t-il plus tard, que tout
homme religieux a eu une mère religieuse. (Cette vaste généralisation,
provenant de sa propre expérience, n'est pas loin de la vérité.)
Elle instruisit son fils pendant sa petite
enfance, puis le remit à un maître, un « Pundit » et a un Sadhou
sikh. L'un et l'autre venaient deux ou trois heures par jour l'initier à la
connaissance des écrits sacrés.
Fort jeune il apprit à lire, et sut par coeur
une grande partie du Granth, non pas en ourdou, sa langue maternelle, mais en sanscrit.
Celui-ci était pour les Sikhs ce qu'est le latin pour nos pays d'Europe.
À mesure que Sundar grandissait, s'éveillait
en lui une soif de plus en plus intense de trouver cette paix « Shanti »
dont sa mère lui avait tant parlé, et qui est à la fois la paix du
coeur et la pleine satisfaction de l'âme. Il ne se souciait guère des jeux
des garçons de son âge et cherchait à apaiser le désir ardent
de son coeur en étudiant les livres saints.- Souvent tard dans la nuit, dit-il,
je lisais, non seulement les livres sacrés des Sikhs, mais encore ceux de la
religion hindoue et aussi le Coran des musulmans, dans l'espoir de trouver la paix.
Mon père m'en blâmait.- C'est nuisible pour ta santé, me disait-il.
Les garçons de ton âge ne pensent qu'à jouer. Pourquoi cette manie
te possède-t-elle si jeune ? Tu auras bien le temps de songer à ces choses
plus tard dans la vie. C'est sans doute ta mère et le Sadhou qui t'ont inculqué
ces idées
- Mes maîtres, dira Sundar, m'enseignèrent
avec beaucoup de sympathie et me mirent au bénéfice de leurs expériences,
mais il n'y avait pas en eux-mêmes la véritable bénédiction à
laquelle mon âme aspirait. Comment auraient-ils pu m'aider à la recevoir
? J'exposais fréquemment au « pundit » mes difficultés spirituelles,
mais il me répondait qu'en grandissant j'acquerrais plus d'expérience et
que ces difficultés s'évanouiraient d'elles-mêmes.- Ne vous tourmentez
pas au sujet de ces choses, suivez le conseil de votre père.- Mais, lui dis-je,
supposez que je ne vive pas jusqu'à l'âge adulte, alors qu'arrivera-t-il
? Si un garçon affamé demande du pain, vous ne lui direz pas : Va, amuse-toi
et lorsque tu seras grand et que tu pourras comprendre le sens réel de la faim,
alors tu recevras du pain ! Sera-t-il satisfait en jouant, s'il a faim, et pourra-t-il
attendre d'être grand pour recevoir la nourriture dont il a besoin ? Il veut
manger maintenant : je suis affamé du pain spirituel, je le veux maintenant.
Si vous ne l'avez pas reçu vous-mêmes, je vous en prie, dites-moi où
et comment je peux le recevoir.- Le « pundit » répondait
:- Vous ne pouvez encore comprendre ces choses profondes et spirituelles, un temps
prolongé est essentiel. Pourquoi avezvous tant de hâte ? Si cette soif
de votre âme n'est pas
satisfaite dans cette vie, elle le sera dans votre prochaine réincarnation.-
Il s'évadait ainsi et mon problème n'était pas résolu.
Le Sadhou, lui aussi, ne me donnait qu'une
réponse évasive.- Ne vous tourmentez pas, il est inutile de perdre votre
temps à résoudre ces questions ; le temps viendra où toutes vos difficultés
s'évanouiront.
- J'étais désappointé et ne
trouvais nulle part cette nourriture spirituelle dont j'étais affamé.
Dès mes plus jeunes années, ma
mère m'enseigna à m'abstenir de toutes les formes du péché et
à venir en aide à tous ceux qui étaient dans le malheur.
Un jour mon père me donna quelque argent
de poche. je courus au bazar pour le dépenser. En chemin, je rencontrai une
très vieille femme pauvre, qui avait froid et faim ; elle me demanda l'aumône
et je ressentis une telle pitié pour elle que je lui donnai tout mon argent.
En rentrant à la maison, je dis à mon père qu'il devait procurer à
cette pauvre femme une bonne couverture, sinon elle mourrait de froid. Il me renvoya,
expliquant qu'il l'avait déjà secourue et que c'était le tour des
voisins de faire leur part.
Quand je vis qu'il refusait de lui venir
en aide, Je pris cinq roupies dans son porte-monnaie dans l'intention d'acheter la
couverture. J'eus d'abord une grande satisfaction en pensant que je pourrais secourir
cette femme, mais bientôt la pensée que j'étais un voleur me tourmenta.
Le reproche de ma conscience augmenta encore lorsque le soir mon père, découvrant
qu'il lui manquait cinq roupies, me demanda si je les avais prises et que je le niai.
J'échappai au châtiment, mais ma conscience me tourmenta toute la nuit,
m'empêchant de dormir. Le matin de bonne heure, j'allai vers mon père et
lui confessai mon vol et mon mensonge en lui rendant l'argent. Le fardeau qui pesait
sur mon coeur tomba aussitôt et mon père, au lieu de me punir, me prit
dans ses bras et me dit avec des larmes dans les yeux :- Mon fils, j'ai toujours
eu confiance en toi et maintenant j'ai la preuve que je ne me suis pas trompé.-
Non seulement il me pardonna et me donna les cinq roupies pour la pauvre femme, mais
il en ajouta une pour moi.
Dans la suite il ne refusa jamais ce que
je lui demandai et, de mon côté, je résolus de ne plus faire quelque
chose contre ma conscience ou contre la volonté de mes parents.
Le moment vint où Sundar fut envoyé pour
son éducation dans l'école de la Mission presbytérienne américaine.
Là, il subit une nouvelle influence, car chaque jour il entendait la lecture
de la Bible des chrétiens. Son sang sikh se réveilla et la colère
bouillonnait en lui. Pourquoi devait-il écouter pareille chose ?- je suis Sikh
et c'est le Granth qui est notre livre saint !- Tout son être se rebella. Il
acheta un Nouveau Testament, mais tout ce qu'il y trouva ne fit qu'augmenter sa haine
du christianisme.
Il avait quatorze ans lorsqu'il eut la grande
douleur de perdre sa mère si tendrement aimée. Peu après son frère
aîné mourut aussi. Ce fut un grand chagrin dans sa vie.- La pensée
que je ne les reverrais jamais, dit-il, me jeta dans le désespoir, car je ne
pouvais savoir sous quelle forme ils renaîtraient, ni deviner ce que je serais
moi-même dans une existence future. Dans la religion hindoue la seule consolation
pour un coeur brisé comme le mien, était de me soumettre et de m'incliner
devant l'inexorable loi du Karma *.
Après la mort de sa mère, le désir
de trouver la vérité qui repose derrière le voile de l'existence humaine
devint de plus en plus impérieux.- Les choses de ce monde ne peuvent me satisfaire,
disait-il, je dois trouver Dieu à tout prix.
À côté de ses études,
il apprit à pratiquer le « Yoga » il réussit à entrer dans
un état de transe qui lui procurait un soulagement passager, mais après
lequel il était plus désemparé qu'auparavant. D'une part il constatait
la totale impuissance de sa religion ; d'autre part il estimait le christianisme
faux et s'y opposait de toutes ses forces. Son père voyant sa haine devenir
de plus en plus violente, décida de l'envoyer dans une école du gouvernement
plus éloignée de Rampour, mais la longue marche, par une chaleur suffocante,
fut plus qu'il ne put supporter et il dut revenir à sa première école
et réentendre lire la Bible jour après jour. Son fanatisme le mit bientôt
à la tête des adversaires du christianisme.- Je haïssais le Christ,
je pensais que les missionnaires avaient une religion fausse et qu'ils étaient
venus pour corrompre notre peuple. Je me rappelle le jour où je leur jetai des
pierres et demandai aux serviteurs de mon père d'en faire autant.
Malgré la haine féroce de Sundar,
le levain de l'Évangile pénétrait peu à peu en lui sans qu'il
s'en doutât. L'enseignement sur l'amour de Dieu l'attirait malgré lui.
Le récit de la Croix l'impressionna vivement. Certains le mettaient en garde
contre la Bible :- Ne lisez pas ce livre, lui disait-on, car il y a en lui un pouvoir
magique qui ferait de vous un chrétien.- Il sentait une mystérieuse puissance
se dégager, comme une attraction divine, de la Parole de Dieu, mais il ne voulait
pas s'y abandonner.- Nous sommes Sikhs, c'est le Granth qui est notre livre sacré
; il peut y avoir de bonnes choses dans la Bible, mais elle est contre notre religion.
Cependant dans les profondeurs de son
âme tourmentée sonnait l'appel du Christ : « Venez à moi, vous
tous qui êtes fatigués et chargés, et vous trouverez le repos de vos
âmes. » Ce repos de l'âme, n'était-ce pas là ce qu'il désirait
si ardemment ? Une autre parole du Christ avait pénétré profondément
en lui : « Dieu a tant aimé le monde qu'Il a donné son Fils unique,
afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle.
»
Ces affirmations revenaient constamment à
son esprit, sans qu'il en pût saisir toute la signification. Personne, dans
la religion hindoue, n'avait pu dire : « Je vous donnerai le repos » et
moins encore : « je vous donnerai la vie éternelle ». Comment Jésus,
un simple homme pourrait-il le faire ? Lui qui n'avait pu se sauver lui-même,
pouvait-il sauver les autres ? L'hindouisme est la plus belle religion du monde,
pensait Sundar ; puisqu'il ne peut me donner ce repos, comment une autre religion
pourrait-elle le faire ?
- J'étais si fermement ancré
dans mon opinion, et mon trouble intérieur était si grand qu'un jour- c'était
le 16 décembre 1904- je déchirai la Bible et la jetai au feu. Mon père
qui était présent me dit- Pourquoi, mon fils, fais-tu une chose aussi stupide
?- Parce que cette religion de l'Occident est fausse et que nous devons la détruire.
Je pensais avoir fait une bonne action en
brûlant la Bible ; cependant le trouble de mon coeur ne fit qu'augmenter et
j'étais tourmenté par le doute et l'inquiétude. Où était
la vérité ? Y a-t-il un Dieu ? Jésus-Christ n'était qu'un homme,
mort il y a dix-neuf cents ans ! Pendant deux jours je fus très malheureux.
je ne pus supporter cette angoisse de mon âme et pris la résolution de
mettre fin à mes jours : si je ne pouvais trouver la vérité dans cette
vie, je l'obtiendrais dans la vie future.
Sundar n'avait alors que quinze ans, mais
un jeune Hindou de quinze ans est beaucoup plus développé qu'un Européen
du même âge, et le suicide n'est pas condamné aux Indes comme il l'est
chez nous. Sundar alla vers son père :- je viens vous dire adieu, je serais
mort demain matin.- Pourquoi veux-tu te tuer ?- Parce que la religion hindoue ne
peut me satisfaire, ni la richesse, ni le confort, ni aucune possession, ni votre
argent. Tout cela peut satisfaire les besoins de mon corps, mais pas les aspirations
de mon âme. J'en ai assez de cette misérable vie, je veux y mettre fin.
Sundar fit soigneusement ses plans. La
ligne du chemin de fer traversait l'extrémité de leur propriété
et chaque matin à 5 heures l'express y passait. S'il ne trouvait pas la réponse
qu'il attendait, il se jetterait sous le train.
Sundar s'éveilla à 3 heures du
matin. C'était le 18 décembre. Il prit un bain froid, puis il se mit à
prier :- S'il y a un Dieu, qu'il veuille se révéler à moi et me montrer
le chemin du salut, afin que le trouble de mon coeur se dissipe et je le servirai
toute ma vie.- J'étais fermement résolu, si ma prière n'obtenait pas
de réponse, à aller, avant que le jour fût levé, mettre ma tête
sur la ligne du chemin de fer au passage du train. je restai en prière une heure
et demie environ, attendant et espérant voir apparaître Krishna ou Bouddha,
ou quelque autre saint de la religion hindoue, mais ils n'apparurent pas. je n'avais
plus qu'une demi-heure devant moi. je priai plus instamment encore :- 0 Dieu ! si
tu existes, révèle-toi à moi!- Soudain une grande lueur illumina ma
chambre, je crus que la maison était en feu, j'ouvris ma porte, mais au dehors
tout était sombre.
Alors il se passa quelque chose que je
n'avais jamais attendu : la chambre fut remplie d'une merveilleuse lumière qui
prit la forme d'un globe et je vis un homme glorieux debout au centre de cette lumière.
Ce n'était pas Bouddha, ni Krishna, c'était le Christ. Durant toute l'éternité,
je n'oublierai pas sa face glorieuse, si pleine d'amour, ni les quelques mots qu'il
prononça : « Pourquoi me persécutes-tu ? je mourus pour toi, pour
toi j'ai donné ma vie, je suis le Sauveur du monde. »
Ces mots furent inscrits comme en lettres
de feu sur mon coeur. Le Christ que je croyais mort était vivant devant moi.
je vis la marque des clous ; j'avais été son ennemi, mais je tombai à
genoux devant lui et l'adorai. Là, mon coeur fut rempli d'une inexprimable joie
et d'une paix merveilleuse ; ma vie fut entièrement transformée ; le vieux
Sundar mourut et un nouveau Sundar Singh naquit, pour servir le Christ.
Lorsque je me relevai, rempli de joie,
tout avait disparu. Après quelques instants, j'allai vers mon père encore
endormi ; je lui racontai la vision que je venais d'avoir et lui déclarai que
j'étais chrétien.
– Comment, me dit-il, il y a deux jours seulement tu brûlais
la Bible et tu dis que tu es un chrétien ? Tu haïssais le Christ et maintenant
tu veux le servir, comment cela se peut-il ?- Parce que j'ai vu le Christ vivant
et j'ai entendu sa voix. je veux et je dois lui consacrer ma vie.
Cette apparition du Christ a été le point tournant de la
vie de Sundar Singh. Ce qu'aucune religion n'avait pu lui apporter, malgré des
années d'attentes et persévérantes recherches, le Christ, en un instant,
le lui donna. Il répondit à ses ferventes prières en emplissant son
âme de cette paix merveilleuse si profondément désirée, que nulle
épreuve ou persécution ne pourra désormais lui ravir.
L'obscurité a fait place à l'aube
d'un jour nouveau et glorieux.
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*Loi tyrannique à la base de la doctrine
de la réincarnation : toutes nos actions, bonnes ou mauvaises, sont des germes
qui nous obligent sans cesse à renaître et à recommencer cette vie
d'illusion
EPREUVES ET PERSECUTIONS
Il m'a été fait la
grâce, par rapport à Christ, non seulement de croire en lui,
mais encore de souffrir pour lui. Saint
Paul.
Sundar Singh regarde sa conversion comme
une chose absolument surnaturelle, un miracle dans toute l'étendue du terme,
un pur don de la grâce de Dieu.
- La religion hindoue, dit-il, m'enseigna
qu'il y a un ciel, et je fis tous mes efforts pour m'affranchir du péché
et faire en chaque chose, la volonté de Dieu. Combien j'ai étudié
nos livres sacrés, combien j'ai lutté, prié, cherché la paix
dans mon âme ! J'essayais de me sauver moi-même par mes bonnes oeuvres,
ce qui est impossible. J'étais fier de la religion et de la philosophie hindoues,
mais la philosophie n'a jamais sauvé personne. En désespoir de cause, je
suppliai Dieu de me montrer le chemin du salut. En réponse à ma prière,
je vis le Seigneur et il me révéla ce que J'étais moi-même.
Sundar n'a Jamais douté un instant de la réalité de
la vision divine : ce n'était pas une imagination ni un rêve. On ne rêve
pas lorsqu'on vient de prendre un bain froid ! D'autres ont pu la mettre en doute,
la tenir pour une hallucination. Pour lui ce fut une inébranlable certitude.
De ses yeux il a vu le Christ vivant ; de ses oreilles il l'a entendu lui parler
dans sa propre langue, l'hindoustani. A ce moment-là il est devenu un homme
nouveau, une nouvelle créature en Jésus-Christ. Auparavant il haïssait
le Christ, maintenant il est prêt à souffrir et même à donner
sa vie pour lui. Un ennemi de Jésus a été changé en un apôtre
de l'Évangile. « Les choses anciennes sont passées, voici toutes choses
sont devenues nouvelles. »
Le trouble de son coeur s'est évanoui
comme un songe.
- Là, dira-t-il, Christ m'a donné
sa paix, cette paix « qui surpasse toute intelligence », non pour quelques
instants seulement, mais pour toujours. Il n'y a pas de mots dans le langage humain
pour décrire la joie incomparable qui a rempli mon coeur, mais je puis témoigner
de sa réalité : c'est le ciel sur la terre.
Sundar séparait nettement, des fréquentes
visions qui venaient à lui dans la méditation et la contemplation intérieure,
cette apparition du Christ, tout à fait inattendue. Il déclare absolue
la différence entre une vision de l'esprit et cette apparition.- J'ai eu de
nombreuses visions pendant mes extases, mais Jésus, je ne l'ai vu qu'une fois.
Sundar ne s'est jamais prévalu de cette
manifestation du Christ comme d'un sujet de gloire personnelle ; il s'humiliait du
fond du coeur dans le sentiment de sa propre indignité et de sa rébellion
passée. Il avait haï le Christ, combattu la foi chrétienne, brûlé
la Bible devant tous et cependant, tandis qu'il était animé de cet esprit
de haine, il avait été conquis par l'amour qui pardonne.- Quand Christ
se révéla à moi, alors je vis que j'étais un pécheur et
qu'il était le Sauveur.
Il fit l'expérience fondamentale
de l'entière grâce de Dieu révélée par la mort de Christ
sur la Croix, et de l'inutilité des efforts propres. Par là, il appartient
à la lignée des saint Paul et des Luther, et de toute âme pour laquelle
la question du péché et de la grâce est le problème central de
la vie.
- Il y a des heureux, disait-il, qui n'ont
jamais péché comme moi et ne sont pas ouvertement opposés a Jésus-Christ
; il y en a d'autres qui ont vécu avec Christ depuis leur enfance et n'ont pas
besoin d'une preuve extérieure de ce qu'ils ont reçu intérieurement.
En toute humilité Sundar se plaçait
aux pieds du dernier des disciples du Christ ; il se considérait comme indigne
de l'amour que Dieu avait manifesté envers lui.
- Une révélation extérieure
n'est pas essentielle, dit-il ; l'expérience de la grâce de Dieu est tout
aussi réelle sans être accompagnée de miracles. « Heureux ceux
qui n'ont pas vu et qui ont cru. »- Mais Sundar était convaincu que, dans
ses circonstances personnelles, il n'aurait jamais trouve le salut sans cette révélation
directe. Comme Thomas, il a été incrédule et très lent à
croire,- c'est pourquoi, dit-il, je serai à la dernière place dans le royaume
de Dieu.
La pensée de son péché
le rendait profondément repentant.- Ces mains, dira-t-il avec humiliation, ont
brûlé la Parole de Dieu et l'ont réduite en cendres. Ce sont les mains
d'un pécheur que seul l'amour de Dieu a racheté ; l'unique fondement de
mon pardon est la croix de Jésus-Christ, mon Seigneur. Cela reste comme une
écharde dans ma chair d'avoir été un ennemi de Jésus ; cette
pensée m'humilie jusque dans la poussière.- Et parce qu'il était si
certain de l'amour de Christ et de son pardon, il trouvait difficile de se pardonner
à lui-même.
Il nous semble l'entendre dire avec saint
Paul : « je ne suis pas digne d'être appelé apôtre, parce que
j'ai persécuté l'Église de Dieu », ou encore : « Jésus-Christ
est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, dont je suis le premier. »
Désormais Sundar Singh était
uni à Christ pour toujours, par un lien indissoluble. « Loin de moi la
pensée de me glorifier d'autre chose que de la Croix de notre Seigneur Jésus-Christ,
par qui le monde est crucifié pour moi, comme je le suis pour le monde. »
- Après ma conversion, dit-il, je passai
trois jours en prière dans un endroit solitaire. pour demander pardon et confesser
mon péché. je disais à Dieu : Pardonne-moi, car J'étais aveugle
spirituellement, je ne comprenais pas ta Parole. Là, j'ai reçu l'assurance
du pardon.- « Tu étais aveugle, maintenant j'ai ouvert tes yeux et tu iras
pour rendre témoignage. »- Après cela j'annonçai à ma famille
ce que j'avais vu et que j'étais chrétien. Les gens pensèrent que
j'étais devenu fou ; d'autres que j'avais rêvé ; mais lorsqu'ils virent
qu'ils ne pouvaient m'ébranler, ils commencèrent à me persécuter
; cependant ce n'était rien comparé au misérable état dans lequel
J'étais auparavant.
Dans ce même temps trois jeunes garçons
voulurent devenir chrétiens ; mais deux d'entre eux y renoncèrent a cause
des punitions que leurs parents leur infligèrent. Le troisième fut baptisé
; puis son père, prétextant une grave maladie de sa mère, le fit revenir
chez lui où il mourut peu après, sans doute empoisonné.
Pendant neuf mois, Sundar ne quitta pas la
maison paternelle. Il dut subir l'incompréhension, l'opposition et même
la persécution.
Tout d'abord son père lui parla avec
tendresse, le suppliant de ne pas déshonorer sa famille. Comment lui, un Sikh,
d'une branche fière et influente, pouvait-il faire partie de cette secte de
chrétiens et renoncer à l'avenir qui s'ouvrait devant lui : honneurs, richesses
et brillante situation ? Ce fut pour Sundar une grande tentation, car l'idée
qu'il attirait le blâme sur ceux qu'il aimait le bouleversait. Mais il entendait
la voix de Jésus : « Celui qui aime son père ou sa mère plus
que moi n'est pas digne de moi. » Son coeur se déchira en voyant les larmes
de son père ; pourtant il ne pouvait se soustraire à la vision d'En haut
et à l'appel du Christ.
Un oncle, haut placé et très
riche, tenta à son tour de le détourner de sa foi. Il le conduisit un jour
dans sa splendide demeure et le fit entrer avec lui dans un caveau dont il referma
la porte. Ouvrant un grand coffre-fort, il montra à son neveu ébloui, des
richesses inouïes, des bijoux de grand prix, des pierres précieuses, des
billets de banque, de l'or et de l'argent en quantité.- Tout cela est à
toi si tu renonces à devenir chrétien et si tu ne déshonores pas notre
nom !
Devant tant de splendeurs, Sundar se sentit
un instant ébranlé, ému aussi des humbles supplications de son oncle
vénéré, mais à ce moment même son coeur fut rempli d'un
tel amour pour le Christ et d'un sentiment si vif de son approbation, qu'il ne lui
fut pas difficile de repousser la tentation.
Il n'avait alors que quinze ans ; il savait
bien que pour un garçon de son âge, se déclarer chrétien représentait
une impardonnable offense envers les siens et que cet acte sapait la très grande
autorité de son père comme chef de famille. Il était seul ; personne
pour le comprendre ou lui donner un conseil ; aucune sympathie autour de lui, mais
une farouche hostilité. Son propre frère devint son pire ennemi, ses anciens
amis le tourmentèrent et la population du village s'éleva contre lui avec
indignation.
Le directeur de la mission presbytérienne
fut accusé d'exercer une pression sur ses élèves pour en faire des
chrétiens ; mais Sundar et un ami sikh- qui se convertit lui aussi à cette
époque- certifièrent devant les magistrats de l'innocence de leur maître.
Cependant, à la suite de toute cette effervescence, plusieurs chrétiens
durent quitter le village et bientôt la mission elle-même ne fut plus tolérée
et dut fermer ses portes. Sundar, dont la vie était en danger, comprit qu'il
ne lui était plus possible de rester davantage dans la maison paternelle. Il
quitta Rampour et alla se réfugier dans l'école de la mission presbytérienne
américaine à Loudhiana. Là, les missionnaires le reçurent avec
une grande bonté mais, dit-il,- je fus surpris et scandalisé de la manière
de vivre de certains garçons ; car j'avais l'idée que ceux qui suivaient
le Christ devaient tous être des saints ; en ceci je me trompais tristement.
Si je n'avais pas eu cette apparition du Christ, et reçu de lui une vie nouvelle,
je serais peut-être revenu en arrière et resté un ennemi du christianisme.
Sundar décida de quitter cette école
et ces chrétiens de nom pour retourner chez lui. Sa famille, le voyant revenir,
pensa qu'il avait abandonné ses idées étranges, mais quand ils virent
qu'il était plus résolu que jamais, l'oppression devint plus violente encore.
Tout d'abord on chercha à le persuader
d'être chrétien en secret, sans confesser ouvertement sa foi. Ce fut une
vraie tentation et bien des raisons plausibles pouvaient être invoquées
: il n'avait pas encore l'âge légal pour agir de son propre chef ; ne pouvait-il
pas attendre d'être plus âgé ? Mais la voix intérieure était
péremptoire. « Celui qui me confessera devant les hommes, je le confesserai
aussi devant mon père qui est dans les cieux. »
Il fut conduit au maharaja qui avait eu connaissance
de son histoire. Il le fit comparaître devant le « Durbar », assemblée
de l'État, et le somma d'expliquer sa conduite. On lui offrit de nouveau richesses,
pouvoir, belle situation ; le maharaja fit appel à son orgueil de race ; n'était-il
pas un sikh, un lion, et voulait-il tomber si bas, jusqu'à devenir un chrétien,
un chien ?
Rien ne put l'ébranler. Il fit un
pas de plus et rompit les derniers liens qui pouvaient encore le rattacher à
la religion de son peuple : il coupa ses longs cheveux, ce signe visible des vrais
disciples de Nânak, et dont les Sikhs sont si fiers.
Alors ce courageux témoin de Jésus
fut en proie aux plus cruelles persécutions, traité comme le dernier de
tous, un hors caste, un intouchable. Il dut prendre sa nourriture et dormir hors
de la maison, comme un lépreux.
- je me souviens, écrira-t-il plus tard,
du soir où je fus chassé de chez moi ; je n'oublierai pas cette première
nuit passée sous un arbre, par un temps froid. je n'avais jamais été
soumis à pareille épreuve. je songeais : hier encore je vivais entouré
de tout le luxe de ma maison, maintenant je tremble de froid, j'ai faim et j'ai soif,
je suis sans abri, privé de vêtements chauds et de nourriture. je restai
toute la nuit sous cet arbre et une joie merveilleuse et la paix inondaient mon âme
; je sentais la présence de mon Sauveur. je tenais mon Nouveau Testament dans
ma main et ce fut pour moi comme ma première nuit passée au ciel. je comparais
avec bonheur mon état présent à ma vie luxueuse d'autrefois. Au milieu
des richesses et du confort, je n'avais pu trouver la paix ; maintenant la présence
de mon Sauveur changeait la souffrance en joie. Depuis lors j'ai toujours senti sa
présence.
Maudit par son père, il dut définitivement
quitter la maison. Il n'emportait que les minces vêtements qu'il avait sur lui
et juste assez d'argent pour prendre le train jusqu'à une station voisine.
Dans sa détresse il se souvint qu'il y avait à Rampour des chrétiens
ayant dû fuir les persécutions et quitter Rampour; il s'y rendit et se
dirigea vers la maison d'un pasteur hindou et de sa femme. A peine arrivé le
pauvre garçon tomba violemment malade; un docteur appelé déclara que
Sundar avait été empoisonné. Il était clair que du poison avait
été mêlé à la nourriture préparée avant son départ
dans l'espoir qu'il mourrait avant d'atteindre le but de son voyage. N'était-il
pas préférable qu'il mourût plutôt que de déshonorer sa
famille ?
La femme du pasteur ne quitta pas son
chevet. Le docteur ayant déclaré l'état désespéré,
promit de revenir le lendemain matin pour les funérailles. Sundar souffrait
cruellement, mais malgré son extrême faiblesse, il était convaincu
que Dieu ne le laisserait pas mourir avant qu'il ait pu faire quelque chose pour
son Sauveur. Il demanda au docteur de lire le récit de la résurrection
de Jésus dans l'Évangile de Marc. Le docteur, qui n'était pas chrétien,
se moqua de l'absurdité de cette histoire.
Mais le matin venu, Sundar se sentait si
bien qu'il se leva et sortit au soleil devant la maison. Le docteur, stupéfait
de le retrouver vivant malgré son pronostic, s'en retourna sans même lui
adresser la parole. (Quelques années plus tard, alors que Sundar travaillait
à Burma, quelqu'un vint à lui :- Me reconnaissez-vous ?- Oui, dit Sundar,
la dernière fois que je vous ai vu, J'étais aux portes de la mort.- Alors
le docteur lui conta que sa miraculeuse guérison avait fait sur lui une telle
impression, qu'il avait acheté une Bible et commencé à la lire. Il
devint chrétien, fut baptisé, et entreprit un travail missionnaire à
Burma.)
Lorsque Sundar fut rétabli, il se
rendit à Loudhiana auprès de ses amis de la mission américaine.
Ses parents firent plusieurs essais pour l'enlever de vive force. La tentative la
plus douloureuse pour Sundar fut celle de son père venu lui adresser un suprême
appel. Il ne put retenir ses larmes en voyant la douleur de celui-ci qui, ravagé
par le chagrin, lui parlait avec émotion de l'amour de sa mère, du bonheur
de la vie de famille, le suppliant de revenir à eux. Il fallut soutenir ce combat
plus rude encore que la persécution.
Le dernier sacrifice était fait et Sundar
se retrouva seul, dépouillé de tout, renié des siens, mais uni par
un amour indissoluble à son Sauveur. « Pour son amour il voulut tout perdre.
»
Afin de le soustraire aux attaques perfides
de ses ennemis, on l'envoya à Sabathou, petite localité non loin de Simla
où vivait le Révérend Redman, un chrétien âgé qui fut
pour lui comme un père et dont la maison lui était ouverte chaque fois
qu'il passait à Simla.
Le Rév. Redman était directeur
de la Church Missionnary Society. Il l'examina avec soin et fut frappé de son
extraordinaire connaissance de la vie et de l'enseignement de Jésus et de son
expérience personnelle. Sundar lui dit qu'il était certain que Christ l'avait
appelé à être son témoin, et que baptisé ou non, il devait
aller prêcher l'Évangile.
Ce fut le dimanche 3 septembre 1905, à
l'âge de seize ans, que Sundar Singh fut baptisé à Simla par M. Redman,
selon le rite de l'Église anglicane. Le premier verset du Psaume 23, lu pendant
le service divin, fut comme le mot d'ordre de la vie qu'il allait entreprendre :
« L'Éternel est mon Berger, je ne manquerai de rien. » Ce Psaume du
bon Berger, ainsi que le chapitre 53 d'Esaïe, furent les passages favoris de
Sundar. Ils façonnèrent sa vie.
Dès le lendemain de son baptême,
il retourna à Sabathou, le coeur débordant de joie. Toutes les luttes et
les souffrances passées s'évanouirent comme une fumée devant le grand
bonheur de porter le nom de Christ et de lui appartenir pour toujours.
SADHOU
Je regarde toutes choses comme une perte à cause
de l'excellence
de la connaissance de Jésus-Christ mon Sauveur,
pour lequel j'ai renoncé à tout.
Saint Paul.
- Un jour vous serez un Sadhou, lui
avait dit sa mère, à maintes reprises. Il n'avait jamais perdu de vue le
désir prophétique de celle qui lui avait appris à donner à Dieu
la première place dans sa vie.
Après sa conversion il avait clairement entendu l'ordre divin
: « Tu me serviras de témoin ». Le moment était venu d'obéir
à cet appel. Ne trouvera-t-il pas une porte ouverte s'il vient prêcher
l'Évangile du Christ dans une robe de Sadhou tenue pour sacrée aux Indes
depuis un temps immémorial ? Cette robe, symbole d'une vie ascétique de
renoncement au monde et de pauvreté lui ouvrira sans doute l'entrée de
toutes les castes et même les portes des zénanas.
Sa décision fut prise ; trente-trois
jours après son baptême, le 3 octobre 1905, ce jeune chrétien de seize
ans revêtit le vêtement jaune safran des saints Sadhous. Il allait faire
de lui un homme voué à une existence errante de religieux, sans un lieu
où reposer sa tête.- J'ai fait le voeu de, consacrer ma vie entière
à Christ mon Sauveur, et, par sa grâce, je ne le romprai jamais ; le jour
où je devins un Sadhou, j'ai revêtu cette robe pour la vie, et aussi longtemps
que cela dépendra de moi, je ne m'en séparerai pas.
Sundar Singh voulait apporter l'histoire
de Jésus à son peuple de la manière qui lui serait le plus accessible,
d'une façon toute hindoue. Car une difficulté résidait pour les Hindous
dans le comportement des chrétiens. En effet, leur costume, leur nourriture,
leurs habitudes de vie, tout était différent et contraire à la mentalité
hindoue. Sundar lui-même avait considéré autrefois les chrétiens
comme des étrangers, introduisant des coutumes étrangères. Même
après sa conversion il trouva parfois difficile de dominer ses sentiments vis-à-vis
de ceux qu'il avait si longtemps méprisés ; son sang sikh semblait protester,
mais sa vivante communion avec Christ lui donna la victoire. La discipline intérieure
qu'il sut pratiquer triompha de cet orgueil de race, si marqué chez les Sikhs,
et produisit en lui cette extraordinaire humilité envers tous les hommes.
- L'eau de la vie, disait-il, a été
offerte aux âmes assoiffées de l'Inde dans des coupes européennes
et non dans des vases hindous.- Il illustrait ce fait par le récit suivant :-
J'ai rencontré, lorsque je voyageais dans le Radjpoutana, un brahmane d'une
caste élevée. Il se hâtait pour atteindre la station ; éprouvé
par la chaleur il tomba épuisé sur le quai. Le chef de gare, désireux
de lui venir en aide, lui apporta de l'eau dans une coupe occidentale, en porcelaine
; le brahmane ne voulut pas y toucher, bien qu'il eût une soif intense.- je
ne puis boire cette eau, dit-il, je préfère périr de soif ; je ne
veux pas perdre ma caste et suis prêt à mourir.- Mais lorsque l'eau lui
fut offerte dans sa propre coupe de bronze, il ne fit plus aucune objection et la
but avidement. C'était la même eau, mais versée dans un vase hindou.
Pieds nus, sans argent, se conformant
à la lettre aux instructions données par Jésus-Christ à ses disciples,
Sundar Singh ne prit avec lui qu'une couverture et son Nouveau Testament en ourdou.
Il partit de Sabathou pour aller de village en village, et de ville en ville, annoncer
à son peuple l'amour de Jésus-Christ. N'était-il pas un témoin
vivant de sa grâce ?
Il ne mendiait jamais. Lui, le fils d'un riche et fier
Sikh, dépendait pour sa subsistance de l'aumône qui lui était librement
accordée. S'il avait été un Sadhou prêchant l'hindouisme, on
l'eût traité avec les plus grands honneurs, rien ne lui eût manqué
; mais lorsqu'on découvrait qu'il était chrétien et qu'il annonçait
Jésus, les portes se fermaient devant lui ; on lui refusait logement et nourriture.
Il devait se contenter, pour vivre, de quelques fruits sauvages, de racines ou de
feuilles, et trouver un abri dans de sordides caravansérails, dans des grottes
ou encore sous un arbre. Parfois maudit, injurié, il était chassé
et devait chercher un refuge dans la jungle, malgré le danger des cobras et
des léopards.
Pendant les premiers temps il trouva peu
de réponses à son persévérant effort ; il répandait la bonne
semence dans des terrains durs et pierreux, au milieu de grandes difficultés
et d'épreuves de tous genres, mais il savait que Christ était avec lui,
et il ne se décourageait jamais.
Il choisit comme premier champ de travail son propre
village. Il parcourut les rues familières de Rampour, rendant témoignage
à la puissance du Sauveur et parlant à tous du bonheur qu'il avait trouvé
en lui. Les uns l'écoutaient, d'autres se détournaient avec mépris.
Il put cependant pénétrer dans les zénanas et, dans un village voisin,
une dame hindoue réunit chez elle 60 à 70 femmes des meilleures familles.
Celles-ci, après l'avoir entendu, dirent entre elles :- Ce qu'il annonce est
vrai, nous croyons chacune de ses paroles, Jésus est vraiment le Sauveur.
Quittant Rampour, Sundar alla d'un lieu à l'autre,
traversant ainsi une grande partie du Béloutchistan, de l'Afghanistan, et des
merveilleuses montagnes du Cachemire. Il eut beaucoup à endurer dans ce premier
voyage missionnaire ; il affronta le froid, les pluies torrentielles, la faim, la
soif, la fatigue.
Dans la vallée de jalalabad, en Afghanistan,
il fut informé par un homme un peu moins méchant que ses compagnons, d'un
complot ourdi contre lui pour l'assassiner. Il écouta l'avertissement et se
réfugia pour la nuit dans le seul endroit possible, un caravansérail plein
de moustiques et de vermine.
Vers le matin, il alluma un feu pour sécher ses
vêtements trempés par la pluie. A ce moment arriva une troupe de Pathans,
tribu musulmane fanatique et cruelle. Au grand étonnement de Sundar, le chef
de la bande tomba à ses pieds ; il lui expliqua que lui et ses compagnons avaient
eu en effet l'intention de le tuer, mais ils furent si remplis d'étonnement
et de crainte en voyant que le froid intense de la nuit ne lui avait fait aucun mal,
qu'ils pensèrent qu'Allah l'avait protégé. Ils lui demandèrent
de venir les instruire. Sundar passa une semaine au milieu de ces hommes farouches,
leur parlant de Jésus-Christ, son protecteur et son ami.
Il quitta Jalalabad, certain que Dieu lui-même lui
avait permis de répandre la bonne semence dans ces coeurs sauvages, et qu'il
saurait la faire germer en son temps.
Sundar revint à Kotgarh, petite localité
près de Simla dans l'Himalaya, à six mille pieds d'altitude, qui devint
son port d'attache au retour de ses voyages.
C'est là qu'à la fin de 1906, il rencontra
M. Stokes. C'était un riche Américain, ayant abandonné fortune et
bien-être pour apporter l'Évangile aux Indes en prenant le chemin du renoncement
et de la pauvreté, cherchant à suivre l'exemple de saint François
d'Assise dont il était un fervent disciple.
Revêtant à son tour la robe de Sadhou, il se
joignit à Sundar, et ils unirent leurs forces pour entreprendre un périlleux
voyage à travers les montagnes et dans des contrées malsaines. Ils supportèrent
de grandes souffrances. Sundar, épuisé par de fréquents accès
de fièvre et de violents maux d'estomac, tomba un jour presque inconscient au
bord du chemin.- J'étais anxieux à son sujet, écrit M. Stokes, car
nous étions seuls et le temps était très froid ; la douleur se lisait
sur les traits de Sundar, je savais qu'il ne se plaignait jamais, et me penchant
à son oreille, je lui demandai comment il se sentait.- je suis très heureux
! Comme il est doux de souffrir pour l'amour de Christ ! murmura-t-il d'une voix
presque imperceptible, avec un léger sourire sur son visage émacié.-
Cette joie dans la souffrance s'est manifestée à maintes reprises au travers
de ses épreuves ; elle a été un trait distinctif de son expérience
chrétienne et un des secrets de son influence.
M. Stokes parvint à conduire Sundar,
non sans peine, jusqu'à la demeure d'un Européen qui les reçut avec
la plus grande bonté. Cet homme qui n'avait jamais beaucoup pensé à
Dieu et au salut de son âme, fut si frappé par la sérénité,
la foi, l'amour, la patience de Sundar, qu'il se mit à réfléchir et,
peu après, se tourna vers le Sauveur de son hôte.
En 1907, les deux amis travaillèrent ensemble dans
l'asile des lépreux à Sabathou, puis à Lahore dans un camp de pestiférés
où, sans crainte de la contagion, ils se consacrèrent jour et nuit aux
soins des malades et des mourants. Ils rassemblèrent aussi, selon les instructions
de l'Évangile, les enfants infirmes, boiteux, estropiés, aveugles, ou ceux
de parents lépreux, et organisèrent pour eux des camps dans l'air salubre
des montagnes. Ils voyaient Christ au travers d'eux. « ... J'étais étranger
et vous m'avez recueilli... J'étais malade et vous m'avez visité. »
On peut s'imaginer la joie de ces enfants déshérités d'être au
bénéfice de tant de soins et d'amour.
Lorsqu'en 1908, M. Stokes partit en vacances
en Amérique, le Sadhou se retrouva seul ; il décida alors de donner suite
à un projet qu'il avait depuis longtemps dans l'esprit : un voyage à travers
le Népal et le Tibet dont les portes étaient entièrement fermées
à tout travail missionnaire. (*)
De 1909 à 1910, cédant aux sollicitations de
ses amis chrétiens, le Sadhou consentit à faire des études de théologie.
Il semblait utile qu'il acquît des connaissances plus vastes en vue d'élargir
le cercle de son influence, limitée à l'évangélisation des païens,
et de l'étendre aux communautés chrétiennes. Il subit l'examen de
première année et entra d'emblée en seconde année au collège
théologique de Lahore. Pendant les vacances il continuait ses campagnes d'évangélisation.
Les études apportèrent peu de chose à
sa piété simple et directe. Il semble au contraire qu'elles éveillèrent
en lui une certaine aversion pour l'intellectualisme théologique dont il parlera
si souvent dans ses discours.
Là, comme à Loudhiana, il se
sentit étranger parmi les étudiants qui se préparaient au saint ministère.
Comme Sadhou, le niveau de sa vie spirituelle était bien supérieur à
la leur et ses habitudes religieuses d'une autre essence que celle de la vie du séminaire
; aussi passait-il seul dans sa chambre la plus grande partie de son temps, à
part les repas, les cours et les heures fixées pour la prière. Les étudiants
se sentaient silencieusement condamnés par sa présence, bien que Sundar
fit son possible pour éviter tout ce qui pouvait être considéré
comme un blâme de sa part ; il attendait humblement de gagner leur confiance
et leur affection, mais il ne semblait point y parvenir.
Un jour, un des étudiants, particulièrement
hostile au Sadhou, le vit assis seul sous son arbre ; il s'approcha de lui sans être
aperçu. A sa grande surprise il trouva Sundar en larmes, répandant à
haute voix son coeur devant Dieu dans une ardente supplication en faveur de cet étudiant
venu là sans qu'il s'en doutât. Il priait que, s'il y avait eu un tort
de sa part, Dieu veuille le lui pardonner, et qu'un véritable amour puisse s'établir
entre eux. En entendant cette fervente prière, le jeune homme fut repris dans
sa conscience ; il demanda aussitôt pardon à Sundar et, dès ce jour,
ils devinrent d'intimes amis. C'est cet étudiant lui-même qui donne ce
récit.
Le Sadhou fut profondément malheureux dans cette
école de théologie. Il semblait être comme un oiseau de la forêt
battant des ailes aux barreaux de sa cage. Il soupirait après la liberté
de Kotgarh, sous le ciel bleu et dans la solitude des montagnes.
En 1910 il reçut sa licence de prédicateur
dans l'Église anglicane ; mais lorsqu'il comprit que, ministre consacré,
il ne pourrait pas prêcher dans d'autres églises, ni annoncer librement
l'Évangile partout où Dieu le conduirait, il considéra que ces restrictions
ne s'accordaient pas avec sa mission de Sadhou. Aussi après beaucoup de prières,
vit-il clairement qu'il ne devait se rattacher à aucune organisation extérieure.
Il pria respectueusement l'évêque, qui avait été spécialement
bon pour lui au cours de ses études, de bien vouloir lui reprendre sa licence
de bachelier en théologie. L'évêque, comprenant la vocation du Sadhou,
accepta sa démission, mais elle ne l'excluait pas de l'Église anglicane,
à laquelle il appartenait par le baptême. Ses relations avec ses amis anglicans
restèrent aussi cordiales qu'auparavant.
Dès lors, le Sadhou ne se joignit
jamais à aucune association humaine, si ce n'est l'Église chrétienne
universelle.
Il disait :- Les rivières prennent leur source dans
les hautes montagnes de l'Himalaya, et se fraient leur propre chemin en descendant
vers la plaine apporter l'eau fraîche et pure des sommets. C'est l'image d'une
vie chrétienne qui dépend directement du Christ lui-même, source des
eaux vives. Lorsque cette eau atteint la plaine, elle se divise
en canaux et, par des moyens artificiels, irrigue les terres desséchées,
entraînant avec elle beaucoup de boue qui en ternit la pureté. Ces canaux
ont leur utilité, mais pour être constamment alimentés, ils ont besoin
de l'eau pure qui jaillit des hauts sommets.
Sundar reconnaissait qu'une organisation
pouvait être utile pour répandre l'Évangile parmi les masses, mais
pensait que sa consécration à son Maître le conduisait dans un chemin
dépendant uniquement de Dieu, individuel et solitaire. Il avait besoin d'une
entière liberté. Il était un jour ici et les jours suivants ailleurs.
Très tôt le matin, avant le lever du soleil, il partait sans aviser personne,
pour un nouveau voyage, laissant un simple mot disant qu'il avait entendu l'appel
de Dieu, puis il réapparaissait soudainement, on ne savait d'où.
Libéré de tout lien ecclésiastique, il
continua à rendre son témoignage comme Sadhou, annonçant l'Évangile
partout où il allait ; nul ne le rencontrait sans apprendre que Jésus était
venu dans le monde pour sauver les pécheurs.
Le Sadhou redoutait par-dessus tout une
vie absorbée par une trop grande activité, ne laissant point de temps pour
la prière. Il aimait la solitude de toute son âme, mais contrairement à
l'idéal hindou qui, pour trouver Dieu, prêchait le détachement de
toute société humaine, il avait compris que le service des hommes était
un facteur primordial dans le service de Dieu. Son ardent désir d'être
entièrement à la disposition de Christ le faisait sortir de ses plus profondes
méditations par amour pour ceux qui souffraient et avaient besoin de lui. Une
vie livrée à Dieu est toujours une vie consacrée aux autres.
Le Rév. Redman qui revit Sundar deux ans après
son baptême, fut profondément impressionné par la maturité de
son caractère chrétien ; il n'était plus le garçon d'alors, mais
un jeune homme affermi dans la foi, bien qu'il eût à peine 19 ans.
L'influence silencieuse de sa vie faisait
une grande impression. Chrétiens et non-chrétiens venaient à lui pour
trouver aide et conseil, et sa réputation s'étendait de plus en plus loin.
Il fut appelé à participer à des conventions chrétiennes à
travers tout le nord de l'Inde.
A la fin de 1912, après un travail assidu, il résolut
de réaliser enfin le projet qu'il caressait depuis longtemps de jeûner
pendant quarante jours en un endroit solitaire. Il pensait par là devenir plus
conforme à Jésus-Christ dans sa vie intérieure. Peut-être était-il
influencé, sans s'en rendre compte, par l'ascétisme des Hindous.
Malgré l'avis négatif d'un médecin
franciscain qui travaillait avec lui et auquel il avait confié son intention,
Sundar mit son plan à exécution et, le 25 janvier 1913, il se retira dans
la jungle pour se livrer à la méditation et à la prière. Afin
de garder quelque notion du temps écoulé, il avait placé près
de lui un tas de quarante pierres. Chaque jour il en jetait une de côté,
mais ses forces déclinèrent rapidement, et il devint si faible qu'il fut
incapable de continuer ce geste. Sa vie spirituelle, au contraire, grandit en clarté
et en liberté. Il vivait dans une sorte d'extase dans le monde surnaturel ;
tandis que sa vie physique s'affaiblissait, au point de ne pouvoir plus distinguer
les objets qui l'entouraient, par sa vision spirituelle il contemplait le Christ
crucifié, ses mains et ses pieds percés et son visage empreint d'un ineffable
amour. Alors que son corps était inerte et insensible, son âme goûtait
la plus profonde paix et la plus merveilleuse joie.
Avant qu'il eût atteint les quarante
jours, des bûcherons, coupeurs de bambous, le trouvèrent par hasard dans
la jungle et le portèrent à Dehra-Dun. Là, quelques paysans chrétiens
l'identifièrent grâce à son nom inscrit dans son Nouveau Testament.
Ils le transportèrent en char dans le village chrétien de Annfield où
il fut soigné avec amour et se rétablit rapidement.
(Le bruit de sa mort s'était répandu partout,
sans doute par l'entremise du médecin catholique à qui Sundar avait donné
l'adresse de ses amis. Par télégramme il leur avait annoncé son décès
qui sembla confirmé par sa longue absence. Un service funèbre fut organisé
par le Rév. Redman à Simla, et sa mort fut publiée dans les journaux
missionnaires, accompagnée d'une notice nécrologique.)
Sundar revint à Simla, où son
ami le Rév. Redman, le rendit attentif au danger d'une pareille expérience.
Mais le Sadhou resta convaincu des heureux résultats de ce jeûne. Avant,
il lui était arrivé de se plaindre intérieurement de ce que le Seigneur
n'intervenait pas lorsqu'il souffrait de la faim et de la soif, puisqu'il lui avait
donné l'ordre de ne pas prendre d'argent avec lui. Après son jeûne
il pensait : C'est la volonté de mon Père, peut-être ai-je fait quelque
chose qui lui déplaît.
- J'étais parfois tenté d'abandonner
la vie de Sadhou et de retourner dans la maison de mon père, de me marier, et
de vivre dans l'aisance. Ne pouvais-je pas être un bon chrétien et mener,
là aussi, une vie de communion avec Dieu ? Mais, bien qu'il n'y ait pas de péché
pour d'autres à vivre dans le confort, à avoir de l'argent et une famille,
je compris que Dieu m'appelait à suivre une autre voie. Mon réel mariage
était avec Christ.
Toutes ces tentations momentanées, et certains doutes
qui l'avaient parfois troublé, disparurent à tout jamais : il savait qu'il
avait été renouvelé et fortifié dans sa vie intérieure.
Il arrivait à la certitude que l'âme est indépendante du corps, question
qui l'avait souvent rendu perplexe. Par-dessus tout, il était maintenant persuadé
que la paix dont il jouissait n'était pas une expérience subjective de
quelque force secrète, mais le résultat objectif de la présence de
Dieu en lui.
Sundar Singh entra en contact avec les
membres de la mission secrète des Sannyasis, chrétiens qui se considéraient
comme les disciples du Christ asiatique. Dispersés dans l'Inde entière,
au nombre de plusieurs centaines de mille, les Sannyasis appartiennent en général
à la classe cultivée ; ils ont l'habitude de se rencontrer très tôt
le matin dans des maisons de prière qui ressemblent aux temples hindous. Bien
souvent, en temps de danger, le Sadhou avait été secouru par eux ; à
maintes reprises il les enjoignit de sortir de leur christianisme secret et de proclamer
Christ ouvertement, mais ils répondaient :- Christ nous a appelés à
être pêcheurs d'hommes ; un pêcheur ne doit point faire de bruit,
sinon les poissons s'échappent de son filet. C'est pourquoi nous travaillons
dans le silence, et quand notre filet sera plein, le monde verra ce que nous avons
fait.
Dans les années suivantes, Sundar
fit la connaissance du directeur de l'Université chrétienne de St-Stephen
Collège à Delhi, le Principal Susil Rudra. Ils se lièrent par une
même consécration au service du Christ, et Sundar l'aima comme son père.
Ce fut une grande joie pour Susil Rudra, dont le coeur était souvent attristé
par la vie de beaucoup de chrétiens hindous, de trouver ce disciple du Christ
si entièrement consacré à son Maître. Si seulement le témoignage
chrétien aux Indes pouvait suivre la voie tracée par ce jeune Sadhou, tout
irait bien !
De nombreux problèmes se posaient dans l'Église
chrétienne du Punjab, et certaines difficultés avaient surgi parmi les
jeunes étudiants venus de toutes parts à St-Stephen Collège pour leur
éducation universitaire. Certains d'entre eux étaient destinés à
devenir des « leaders » dans l'État ou dans l'Église.
Alors que les Européens cherchaient
à faciliter la vie matérielle des jeunes Hindous et vivaient eux-mêmes
assez confortablement, le message de la Croix était voilé à leurs
yeux et n'avait guère de prise dans une telle atmosphère.- Nous faisions
notre travail, dit le principal Rudra, entourés de trop de confort extérieur,
et il ne semblait pas possible de sortir de ce cercle vicieux et de changer notre
genre de vie. C'est alors que le Sadhou vint inconsciemment à notre aide en
apportant son témoignage aux étudiants qui se réunissaient autour
de lui pendant de longues heures et l'écoutaient jusque tard dans la nuit. Le
simple récit de ses voyages et de ses souffrances au Tibet, fait par lui-même,
enflamma leur coeur. Ils furent saisis par l'esprit d'abnégation du Sadhou et
désirèrent monter à Kotgarh pour y vivre, à son contact, une
vie de sacrifice et de renoncement. Ce que nul autre n'avait pu faire au collège,
Sundar, un jeune comme eux, l'accomplit plus encore par son exemple que par beaucoup
de paroles.
Le changement qui se produisit chez de nombreux
étudiants fut remarquable, et plusieurs entrèrent dans une vie entièrement
consacrée au service de Dieu et de leurs frères. Comment expliquer ce miracle
? Sundar avait perdu sa propre vie. Ainsi la Croix fut non seulement prêchée,
mais vécue, et là réside toute la différence.
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(*) Nous relaterons plus
loin, aux ch. 5 et 6, divers épisodes de ce voyage.
AU TIBET
Je lui montrerai tout ce qu'il doit
souffrir pour mon nom. Actes 9. 16.
Dès le début de son activité
missionnaire, le Sadhou envisagea la grande et périlleuse entreprise de porter
l'Évangile au Tibet, cette forteresse du bouddhisme, ce pays inaccessible, éloigné
des contrées environnantes par sa situation géographique, fermé à
l'Évangile et à toute influence étrangère.
L'impressionnante beauté de ses montagnes aux neiges
éternelles, la richesse de ses monastères avec leurs trésors et leurs
écrits sacrés, l'ignorance qui plane encore sur les moeurs et la mentalité
de ce peuple que la civilisation européenne n'a pas encore atteint, font du
Tibet un pays mystérieux et étrange, isolé du reste du monde par ses
frontières closes.
Sundar ne connaissait ni le pays, ni le peuple, ni la
langue ; il savait seulement qu'il aurait à surmonter de grandes difficultés,
mais dans son zèle et son amour pour le Christ, il ne reculait devant aucun
danger ni aucune souffrance. N'était-il pas un Sikh, un soldat aux ordres de
son Maître ? N'est-ce pas parce que le Christ avait besoin d'un témoin
sans peur qu'il l'avait choisi pour cette mission dangereuse ? N'y avait-il pas un
grand nombre de serviteurs de Dieu pour proclamer la bonne nouvelle du salut à
travers l'Inde, tandis que personne n'était disposé à affronter les
dangers de ce pays négligé et hostile ?
Élevé non loin des hautes montagnes
de l'Himalaya, Sundar avait souvent laissé s'envoler sa pensée de l'autre
côté de la frontière, vers ces peuplades plongées dans les ténèbres
du paganisme et qui n'avaient jamais entendu parler de l'amour de Dieu.
Les Tibétains sont extrêmement religieux, mais
beaucoup sont fort ignorants et superstitieux. Les lamas gouvernent le pays, et gardent
le peuple dans l'ignorance afin de conserver leur influence sur lui. Ils vivent ensemble
dans des monastères ou lamaseries, et passent une grande partie de leur temps
à étudier leurs livres sacrés. Beaucoup d'entre eux cherchent sincèrement
la vérité et aspirent à vivre saintement. Mais d'autres, détenant
la richesse et l'autorité, sont cruels, fanatiques, corrompus. Le peuple vit
dans la crainte et attribue aux prières des lamas le pouvoir de le protéger
contre des dieux et des démons sans nombre dont il se croit entouré et
qu'il imagine être jaloux, puissants et vindicatifs. Pour apaiser leur colère
et échapper à leurs maléfices, il apporte des offrandes aux lamas
afin d'obtenir leur intercession.
A la tête de tous les lamas, gouvernant le pays
avec une souveraineté absolue, se trouve le Dalaï-lama ou grand prêtre.
Il réside dans un magnifique palais construit au sommet d'un rocher, le Potala,
dominant la cité sacrée de Lhassa. Le temple est consacré à Bouddha
; ses murs massifs, ses terrasses et ses bastions s'élèvent verticalement
de la plaine ; il est couronné d'un dôme étincelant d'or et de turquoises.
Au pied du monastère, la cité de Lhassa croupit dans la saleté.
Le Tibet est le pays des moulins à
prières que l'on fait mouvoir machinalement; des drapeaux de prières flottent
au vent ; dans certaines lamaseries, des cylindres contenant des millions de copies
de prières tournent continuellement. Les Tibétains croient que par ces
répétitions constantes, ils obtiennent le pardon des péchés et
la bénédiction de leurs dieux.
Le Sadhou ne fut pas le premier missionnaire qui tenta
d'entrer dans ce pays inhospitalier. Les missions chrétiennes ont une remarquable
histoire dont il serait trop long de parler ici. La mission la plus récente
est celle des Frères moraves qui travailla à la frontière du Tibet
et a pu parfois pénétrer jusqu'à l'intérieur du pays ; mais à
la suite de difficultés insurmontables, les portes furent fermées non seulement
par ordre des Tibétains, mais aussi par le gouvernement anglais. Celui-ci autorisa
la mission morave à continuer son travail à condition de limiter son activité
au territoire sous mandat britannique.
On dit que les chrétiens hindous, qui sont entrés
au Tibet comme marchands ou comme ascètes, sont morts en martyrs ; ce fut aussi
le cas de Tibétains qui avaient accepté le Christ comme Sauveur,
Sundar Singh a plus d'une fois raconté
le martyre d'un de ses concitoyens sikhs - Kartar Singh - dont l'histoire ressemble
beaucoup à la sienne. Élevé comme lui dans le luxe, il trouva dans
le christianisme la réponse aux profondes aspirations de son âme. Persécuté
par sa famille, qui avait concentré sur lui toutes ses espérances comme
unique héritier du nom, il eut beaucoup à souffrir.
Chassé de chez lui, il se mit à prêcher
dans son pays d'abord, puis il se dirigea vers les montagnes du Tibet et arriva jusqu'au
coeur du pays. On essaya de le chasser du territoire, mais il ne cessa de proclamer
son message jusqu'au jour où il dut comparaître devant le lama de Tsinghan.
Inculpé de pénétration illicite dans le Tibet et d'y enseigner une
religion étrangère, il fut condamné à mort. Il écouta silencieusement
la sentence et s'en alla d'un pied ferme au lieu du supplice, pressant encore la
foule qui l'entourait de chercher sans retard le salut qui est en Jésus-Christ.
Sur la place d'exécution, Kartar fut dépouillé de ses vêtements
et cousu dans une peau de yack humide qui, en se rétrécissant au soleil,
cause à celui qu'elle enveloppe les plus cruelles souffrances. Pendant trois
jours que dura ce supplice, il ne laissa pas échapper une plainte. Vers le soir,
avant de mourir, il rendit à haute voix grâces à Dieu pour toutes
ses consolations et expira avec ces mots sur les lèvres : « Seigneur Jésus,
reçois mon esprit ».
Le premier secrétaire du lama, vivement
impressionne par ce qu'il venait de voir, emporta le Nouveau Testament de Kartar
pour l'étudier, et bientôt une nouvelle clarté pénétra son
âme. Un jour il déclara au lama qu'il avait donné son coeur à
Jésus-Christ. Pour lui aussi c'était la mort certaine, et il dut subir
le même supplice que Kartar, aggravé encore par d'autres cruautés
: on enfonça des éclats de bois sous ses ongles ; on le retira de sa peau
de yack pour le traîner dans les rues de la ville, puis le croyant mort, on
jeta son pauvre corps inanimé sur un tas d'immondices. Par miracle le malheureux
revint à la vie et put ramper plus loin. Ses bourreaux furent terrifiés
en le revoyant debout et guéri de ses blessures. Persuadés qu'il avait
en lui un pouvoir surnaturel, ils n'osèrent plus lui faire de mal et il put
continuer à prêcher Christ aux Tibétains. Il a raconté lui-même
son histoire à Sundar Singh lorsque celui-ci le rencontra au cours de ses pérégrinations.
Un chrétien anglais, qui connaît
mieux que personne les
indescriptibles difficultés de travail au Tibet, écrivait : - Un miracle
sera nécessaire pour vaincre cette colossale idolâtrie soutenue par toutes
sortes de diaboliques inventions. Comment pourrons-nous lutter contre ces essaims
de lamas, fous de rage envers ceux qui n'appartiennent pas à leur religion ?
Il faudra de grands saints pour ouvrir le chemin dans ce pays de superstition. je
tremble quand je pense à toutes les souffrances qu'il faudra endurer, mais la
puissance de Dieu est sans limite.
Ce fut ce champ de mission, le plus difficile de tous,
que le jeune chrétien hindou de 19 ans choisit pour sa sphère d'activité.
Sans soutien, sans ressources, sans préparation spéciale, se confiant uniquement
dans la grâce de Dieu, et prêt à donner sa vie pour la cause de Christ,
Sundar se disposa à affronter cette tâche surhumaine.
Lorsqu'en 1908 il atteignit la station de la mission
morave à Poo, il y trouva l'appui le plus empressé ; il put se familiariser
avec les rudiments du langage tibétain, et un jeune évangéliste, Thanyat-Ali,
fut mis à sa disposition pour l'accompagner. Chaque année, au printemps,
lorsque s'ouvraient les routes bloquées par la neige et la glace, le Sadhou
quittait Kotgarh (petit village entouré de forêts et possédant une
église, un modeste hôpital et une école de la Mission) pour atteindre
la frontière du Tibet. De là, le chemin traverse au début une terre
cultivée, puis descend en zigzags à travers d'épaisses forêts
d'où surgissent de magnifiques échappées sur la plaine où coule,
quatre mille pieds plus bas, le Sutlej. La chaleur de cette contrée enfermée
entre de hautes montagnes, est suffocante. C'est l'une des dernières vallées
de l'Inde hindoue ; au-delà commence l'Asie centrale bouddhiste. Peu a peu le
type mongol prédomine ; la culture hindoue disparaît et une nouvelle civilisation
commence. La route du Tibet s'élève abrupte. Souvent dangereuse, elle devient
difficile à gravir.
Pour pouvoir endurer, par tous les temps,
les fatigues et les dangers de ces voyages, il fallait une vitalité, une endurance,
un courage peu communs. Souvent le Sadhou, arrêté par le gouvernement anglais,
ne put même franchir la frontière; mais d'autres fois il pénétrait
jusqu'au centre du pays. La réception qui lui était faite n'était
pas toujours hostile, et sa robe de Sadhou lui ouvrait bien des portes. Il fut heureux
de trouver parfois, dans ces terres inhospitalières, des amis prêts à
l'aider, entre autres un jeune Tibétain nommé Thapa qui lui servit d'interprète
et qu'il baptisa. Mais bien souvent il se trouvait continuellement seul en face de
grands dangers. Il n'a tenu aucun journal de ses voyages, en sorte qu'il n'est pas
possible de fixer les dates et de placer les divers événements survenus
au cours de ses pérégrinations dans un ordre chronologique. Dans ses récits,
souvent fragmentaires, de ses voyages au nord de l'Inde, au Népal ou au Tibet,
il énumère les nombreux périls auxquels il fut exposé : le froid
intense qui règne dans ces montagnes dont il eut à franchir des cols dépassant
5000 mètres d'altitude ; les vents furieux qui balayent les hauts plateaux du
Tibet, les rivières ou les torrents qu'il fallait traverser à pied ou à
la nage dans l'eau glacée, au risque d'être entraîné par le courant
; la faim et la soif auxquelles il était en proie dans des contrées arides
ou par le refus des habitants de lui donner la moindre nourriture ; la fatigue des
longues marches dans ce pays rocailleux et désertique, sans un abri pour y passer
la nuit ; ou, s'il était reçu par les habitants du pays, l'inimaginable
malpropreté de leurs logis et de leurs habitudes.
Les bêtes féroces, les serpents venimeux étaient
un danger constant, ainsi que les brigands qui infestent la contrée et dépouillent
ou tuent les infortunés voyageurs.
D'autre part le Sadhou eut à subir la violente hostilité
des lamas, et les terribles persécutions qu'ils infligent aux chrétiens.
Tous ces dangers et toutes ces souffrances
ont été l'occasion de magnifiques délivrances d'une mort qui paraissait
parfois certaine : - Lorsque je me dirige vers le Tibet, je n'ose jamais espérer
en revenir ; chaque fois je pense que c'est mon dernier voyage ; mais c'est sans
doute la volonté de Dieu que je sois préservé. - Comme Paul, il pouvait
dire : « je ne fais pour moi aucun cas de ma vie, comme si elle m'était
précieuse, pourvu que j'accomplisse ma course avec joie, et le ministère
que j'ai reçu du Seigneur Jésus d'annoncer la bonne nouvelle de la grâce
de Dieu. »
- Au commencement de juillet, raconte le Sadhou, je partis
pour le Tibet, prenant avec moi le jeune chrétien Thanyat. Nous annonçâmes
l'Évangile dans les villages sur notre route avant d'atteindre la frontière
du Tibet. De là, pendant des kilomètres, nous ne vîmes que des bergers,
mais aucune habitation, en sorte que nous fûmes obligés de coucher à
la belle étoile. Le froid devint intense pendant la nuit, et il nous fallut
franchir un passage de montagne très élevé, traversant des glaciers
avec de nombreuses crevasses. Bien des gens meurent de froid dans ces régions
et nous vîmes trois cadavres au travers du chemin. La respiration devient difficile
à cette altitude, mais par la bonté de Dieu, nous parvînmes de l'autre
côté de ce dangereux passage. - Lorsqu'ils atteignirent le village de Mudh,
ils furent reçus avec bonté par le chef de la localité qui invita
le lama à partager leur repas ; comme ce dernier comprenait un peu l'hindoustani,
il entendit le message du salut avec joie ; d'autres encore furent tout disposés
à écouter l'Évangile. De là les deux voyageurs parvinrent au
monastère tibétain de quatre cents lamas, Kee-Gunpa. Ils y passèrent
deux jours auprès du chef lama qui ne leur fit point de mal, mais qui entra
avec le Sadhou dans de vives controverses. Par contre, dans les villages qu'ils traversèrent
ensuite, ils rencontrèrent la plus violente opposition.
Au cours de l'un de ses voyages, non loin
du village de Garhwal, le Sadhou vit deux hommes dont l'un disparut soudainement.
Sundar rejoignit le voyageur solitaire qui l'arrêta en lui montrant un corps
enveloppé d'un drap. - C'est mon ami qui vient de mourir, dit-il, je suis un
étranger ici, je vous demande de m'aider pour payer l'enterrement. - Sundar
n'avait que deux pièces de monnaie qui lui avaient été données
pour acquitter le droit de passage d'un pont ; il les lui tendit et poursuivit sa
route. Peu après il fut rejoint par l'homme qui arrivait en courant, la figure
bouleversée, annonçant dans les larmes, que son ami était vraiment
trépassé. Le Sadhou lui demanda ce qu'il voulait dire, et finit par comprendre
l'histoire suivante : depuis des années ces deux imposteurs faisaient à
tour de rôle le prétendu mort pour exploiter les passants. Mais cette fois-ci,
le mendiant revenu vers son ami, l'appela en vain et, soulevant le drap, vit qu'il
était réellement mort. Il supplia le Sadhou de lui pardonner car il était
certain d'être en présence d'un très saint homme qu'il avait dépouillé
et que les dieux, dans leur courroux, le châtiaient. Sundar lui parla du seul
vrai Dieu et de son pardon pour ceux qui se repentent de leurs mauvaises actions.
Plein d'une sincère contrition, le coupable accepta le message du salut. Le
Sadhou laissa cet homme l'accompagner pendant un certain temps, puis l'envoya dans
la station missionnaire de Garhwal où plus tard il fut baptisé.
Le Sadhou traversait un jour les montagnes,
avec un compagnon tibétain, par un froid intense et une abondante neige. Tous
deux souffraient violemment et désespéraient d'atteindre le but de leur
voyage. Arrivés près d'un précipice, ils trouvèrent un homme
gisant au bas d'une pente glacée, inanimé. Sundar proposa de le transporter
jusqu'à un abri, mais le Tibétain s'y refusa ; voulant avant tout sauver
sa propre vie, il passa outre. Le Sadhou, à grand-peine, souleva le moribond,
le chargea sur son dos puis avança à pas lents avec son lourd fardeau.
Cependant, l'effort ne tarda pas à le réchauffer, et il communiqua sa chaleur
au pauvre homme qui se ranima à son tour. Peu après il trouva son malheureux
compagnon tibétain étendu au bord de la route. Il était mort de froid,
tandis que Sundar parvenait au but de son voyage avec l'homme dont il venait de préserver
la vie. « Celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui la perdra
à cause de moi la retrouvera. »
A Narcanda, dans les montagnes entre Simla
et Kotgarh, le Sadhou passa auprès de quelques hommes moissonnant un champ ;
il s'approcha pour s'entretenir avec eux. Ils firent peu attention à lui, mais
bientôt se fâchèrent d'entendre parler d'une religion étrangère.
L'un d'eux le maudit et, prenant une pierre, la lui jeta à la tête et le
blessa. Tôt après, cet ouvrier fut saisi d'un violent mal de tête
et dut abandonner son travail. Le Sadhou, relevant la faux, reprit la tâche
inachevée. Voyant cela, les autres moissonneurs changèrent d'attitude envers
lui, et lorsque le travail fut terminé, ils l'invitèrent à venir chez
eux. Il accepta, heureux de pouvoir délivrer son message avant de quitter le
village. Après son départ, lorsque ces hommes mesurèrent la moisson
rentrée ce jour-là, ils constatèrent avec étonnement qu'elle
était beaucoup plus considérable que d'habitude. Une grande crainte s'empara
d'eux : l'étranger devait être un saint, cette superbe moisson en était
un signe certain. Ils se mirent à sa recherche, mais en vain. L'homme qui avait
lancé la pierre, envoya ce récit à un journal du nord de l'Inde, priant
le Sadhou, si ces lignes tombaient sous ses yeux, de revenir auprès d'eux.
Le Sadhou a parfois rencontré, dans
ses pérégrinations à travers les montagnes de l'Himalaya, quelques-uns
de ces célèbres ermites tibétains qui s'enferment, solitaires, dans
des cavernes naturelles. Séparés du reste des humains, privés de la
lumière du soleil, plongés dans l'obscurité, ils se nourrissent des
aliments déposés par les passants dans un trou pratiqué à cet
effet. Absorbés dans de profondes méditations et tournant sans relâche
un moulin a prières, ces ascètes espèrent par là atteindre le
Nirvâna, l'extinction de tout désir. Le Sadhou a pu parfois introduire
dans leurs maisons quelques portions des Évangiles, espérant qu'ils les
liraient lorsqu'ils sortiraient de leurs tombeaux. Un jour, en escaladant une montagne
rocheuse, Sundar découvrit dans une grotte un homme en prière ; pour lutter
contre le sommeil, il avait attaché ses longs cheveux au rocher de la voûte
et, heure après heure, il implorait le pardon de ses péchés, et cherchait
la paix de son âme. - Avez-vous trouvé cette paix ? lui demanda Sundar.
- Le pauvre Tibétain lui répondit que jusqu'à présent il ne l'avait
pas reçue.
Alors le Sadhou lui raconta l'histoire de Jésus
qui a dit : « Venez à moi et je vous donnerai le repos ». L'homme
écoutait attentivement, son âme s'ouvrait à la lumière et il
s'écria : - Maintenant j'ai trouvé cette paix ; conduis-moi à lui,
je veux être son disciple ! - Sundar l'invita à venir jusqu'à une
station missionnaire, afin d'être instruit dans la foi chrétienne et de
recevoir la grâce du baptême.
- J'ai appris une grande leçon de
ces ermites, dit Sundar, car ces gens se livrent volontairement à toutes ces
souffrances pour atteindre le Nirvâna qui n'offre aucune joie pour la vie future
et ne conduit qu'à l'extinction de la vie. Combien plus devons-nous être
prêts à servir le Christ et porter joyeusement sa Croix, lui qui s'est
donné pour nous et qui nous a apporté la vie éternelle !
Un des récits les plus remarquables du Sadhou, en
relation avec ses voyages à la recherche de ces ermites, fut sa rencontre avec
le Maharishi de Kailash. Dans l'été 1912, le Sadhou voyageait seul dans
les hauts parages d'un chaînon de l'Himalaya appelé le Kailash. C'est là,
à près de 2800 mètres d'altitude, que le puissant Indus prend sa source,
dans un paysage d'une sublime grandeur. Le célèbre lac sacré de Mansarowar
se trouve à deux ou trois jours de marche, et Sundar en parle comme de l'un
des endroits les plus merveilleux qu'il ait jamais vus. Mais les tribus nomades des
environs sont des plus cruelles.
Sur une des sommités du Kailash, à 4300 mètres
environ, s'élèvent les ruines d'un ancien temple bouddhiste abandonné.
Le paysage est d'une impressionnante beauté ; des sources d'eau bouillante jaillissent
du sol gelé, au milieu des neiges éternelles. C'est à quelques kilomètres
de là que vit le Maharishi.
Au cours d'une de ses excursions de l'été
1921, Sundar, épuisé par ses vains efforts à la recherche de ces saints
solitaires, perdit tout à coup l'équilibre et tomba d'un rocher à
l'entrée d'une large caverne. Quand il fut remis de son étourdissement,
il fut saisi de surprise à la vue d'un homme étrange et sans âge qui,
sortant de sa profonde méditation, jeta sur lui un regard perçant. A son
grand étonnement il se trouvait en face non pas d'un ermite tibétain, mais
d'un chrétien, qui l'invita à s'agenouiller et à prier avec lui, terminant
sa vivante intercession par le nom de Jésus. Il déploya un volumineux exemplaire
des Évangiles en grec, et lut à haute voix quelques versets du Sermon sur
la montagne, après quoi il raconta à Sundar son histoire.
Il était né à Alexandrie
de parents musulmans ; à trente ans il entra dans l'ordre des Dervishs, mais
ni l'étude du Coran, ni ses prières ne lui donnèrent la paix. Dans
sa détresse intérieure il alla vers un chrétien venu des Indes en
Égypte pour y annoncer l'Évangile. Ce saint lui lut cet appel du Christ
: « Venez à moi, vous tous qui êtes travaillés et chargés,
et vous trouverez le repos de vos âmes. » Ces paroles, les mêmes qui,
plus tard, devaient frapper Sundar, l'amenèrent à Christ. Il quitta son
monastère, fut baptisé, et partit pour annoncer l'Évangile. Après
une longue période de travail missionnaire, arrivé à l'âge de
cent ans environ, il se retira du monde, et le Seigneur lui fit connaître qu'il
le laisserait encore de nombreuses années en vie afin qu'il intercédât
pour les saints de Dieu répandus sur la terre.
C'est dans les montagnes du Kailash qu'il
passa sa vie solitaire en méditation et en prière. Dieu lui accorda de
grandes révélations et de glorieuses visions apocalyptiques sur l'au-delà.
Il acquit une solide connaissance des plantes et de leurs vertus curatives et donna
à Sundar, transi de froid, quelques feuilles qui, dès qu'il les eut mangées,
le réchauffèrent et le ranimèrent délicieusement. Le Sadhou visita
trois fois le vieil ermite et reçut de lui une inspiration nouvelle pour sa
vie intérieure et pour son ministère ; mais il évita toujours d'en
parler en public. Il désapprouvait la curiosité provoquée par cette
histoire extraordinaire, déplorant plusieurs inexactitudes qui s'étaient
répandues. - je ne suis pas appelé à prêcher le Maharishi, dit-il,
mais à proclamer Jésus-Christ.
La preuve de l'existence de cet ermite
a été confirmée par les membres de la mission des Sannyasis et par
un ingénieur américain voyageant dans ces contrées jamais parcourues
par les Blancs, et qui, avant de mourir, parla d'un mystérieux ermite chrétien,
très âgé, demeurant dans ces montagnes. Des marchands tibétains,
eux aussi, racontèrent qu'ils avaient vu un vénérable Rishi vivant
non loin des neiges éternelles. Et lorsque nous-mêmes avons entendu le
Sadhou, pendant son séjour en Suisse, nous parler de ses visites au Maharishi,
nous ne pouvions douter de la véracité de ses récits.
ENCORE LE TIBET
je suis prêt non seulement à être lié
mais encore à mourir pour le nom du Seigneur Jésus.
Saint Paul.
Pendant les premières années
de son travail, Sundar Singh arriva un jour dans un village nommé Doniwala ;
épuisé à l'extrême par une longue marche, il avait grand besoin
de nourriture et surtout de repos et cherchait un abri pour la nuit ; mais dès
qu'on apprit qu'il était chrétien, tout secours lui fut refusé. Il
pleuvait et le temps était froid. Il trouva une pauvre hutte abandonnée,
sans porte ni fenêtre, et trop fatigué pour aller plus loin, il étendit
sa couverture dans le coin qui lui parut le moins humide et, remerciant Dieu pour
cet abri, s'endormit affamé. Quand il se réveilla à l'aube, il remarqua
soudain, dans la pénombre, une large tache sombre et ronde sur sa couverture
; il regarda plus attentivement ; c'était un énorme cobra enroulé
tout près de lui. Il se leva promptement, sortit, puis rentra sans faire de
bruit ; prenant la couverture par un bout, il secoua le gros serpent venimeux qui,
brusquement réveillé, alla paresseusement s'enrouler dans un autre coin
de la hutte, sans se soucier de celui qui venait de le troubler. Sundar bénit
Dieu qui l'avait protégé durant son sommeil.
Une fois, raconte un élève du
collège théologique de Delhi, alors que j'étais en séjour avec
le Sadhou à Béréri, près de Kotgarh, nous vîmes, avant de
nous coucher, des lumières se mouvant dans la vallée ; ce devait être
sans doute des hommes à la poursuite d'un léopard.
Au milieu de la nuit, Sundar se leva et descendit, à
l'extérieur de la maison, l'escalier de bois dont j'entendis les craquements.
Sachant que souvent le Sadhou passait des heures de la nuit en prière, je ne
fus pas surpris, mais voyant le temps passer et me souvenant du léopard rôdant
dans les environs, je devins anxieux. je me levai et regardai par la fenêtre
du côté de la forêt. A peu de distance de la maison, le Sadhou était
assis, le regard tourné vers la profonde vallée.
La nuit était splendide, les étoiles étincelaient
dans un ciel sans nuage, une légère brise agitait les feuilles des arbres.
je fixai la paisible silhouette du Sadhou, lorsque mes regards furent attirés
par quelque chose se mouvant à sa droite. Un animal s'avançait vers lui
: je reconnus un léopard. Saisi de frayeur, je demeurai immobile, incapable
d'appeler. Alors le Sadhou se tourna vers l'animal, puis étendit sa main en
un geste silencieux. Comme un chien fidèle, le léopard se coucha non loin
de lui et baissa la tête, subjugué par une puissance invisible.
Ce fut une scène étrange que je ne pourrai
jamais oublier. Peu après le Sadhou rentra et s'endormit bientôt ; mais
je restai éveillé, me demandant ce qui donnait à cet homme un tel
pouvoir sur les bêtes féroces...
Au matin, le jeune homme demanda au Sadhou
si, en face de ce fauve, il n'avait pas été effrayé ?- Pourquoi ce
léopard m'aurait-il fait du mal, répondit-il, je n'étais pas son ennemi,-
et il ajouta :- Aussi longtemps que je me confie en Jésus-Christ je n'ai aucune
raison d'avoir peur.
Cependant le Sadhou lui-même confessa qu'en une
autre occasion, il fut un moment terrifié, lorsque, s'éveillant subitement
dans une grotte où il s'abritait, il vit un énorme léopard dormant
tout près de lui. Pourtant il reprit bien vite son sang-froid et sortit doucement,
remerciant Dieu d'avoir préservé sa vie.
Chassé d'une localité, il s'en fut s'asseoir
sur un rocher et là, perdu dans ses réflexions, il n'aperçut pas une
grande panthère noire s'approchant en rampant, prête à sauter sur
lui. Quand il la vit, le coeur battant, mais plein de confiance en Dieu, il se leva
tranquillement et s'éloigna. De retour au village, il raconta son aventure ;
elle remplit les villageois d'étonnement : cette panthère avait tué
plusieurs des leurs. Ce Sadhou, pensèrent-ils, devait être un très
saint homme et, dès ce moment, leur attitude envers lui changea totalement.
Ils s'assemblèrent autour de lui, heureux de l'entendre parler de ce Jésus
qui est toujours avec ses serviteurs et qui aime tous les hommes.
Jamais, dira le Sadhou, une bête féroce ne
m'a fait le moindre mal.
Le Tibet possède des chats sauvages,
des tigres, des léopards, des lynx, des yacks. Si le yack est un animal très
utile comme bête de somme quand il est apprivoisé, n'étant pas sujet
au mal de montagne comme le cheval ou le mulet, il est dangereux à l'état
sauvage.
Sundar fut attaqué une fois par un yack sauvage qui fonça
furieusement sur lui. Il trouva un refuge sur le sommet d'un rocher qu'il escalada
avec agilité. Lorsque son compagnon tibétain vit l'animal posté au
pied du roc, il poussa de grands cris qui firent surgir une bande de brigands. Ceux-ci
mirent le yack hors de combat en le lapidant, puis ils dépouillèrent les
deux voyageurs de tout ce qu'ils possédaient, et les emmenèrent dans leur
logis.
Là, le Sadhou saisit l'occasion de parler du Dieu
au service duquel il était. Ils furent vivement impressionnés, rendirent
tout ce qu'ils avaient dérobé, et offrirent à leurs prisonniers de
la nourriture et un gîte.
Les Tibétains boivent un thé
couleur chocolat, avec du sel et du beurre, qui n'a rien de commun avec le nôtre
; ils nettoient leurs assiettes et leurs tasses en y passant la langue. Le Sadhou,
sachant cela, leur dit :- Voulez-vous, s'il vous plaît, me permettre de nettoyer
ma tasse ?- Alors l'un d'eux, devançant son désir, tira une longue et large
langue avec laquelle il arriva sans peine jusqu'au fond du bol. Il n'y avait rien
à faire qu'à attendre que l'opération soit terminée. Quand le
thé fut versé, le Sadhou, au lieu de le boire, s'en servit pour nettoyer
sa tasse à son tour. Les Tibétains, très étonnés, se mirent
à rire pensant sans doute que leurs hôtes étaient des gens bien étranges
; le compagnon de Sundar leur expliqua qu'un Hindou ne pouvait boire dans une tasse
qui n'avait pas été purifiée ; à quoi les brigands répliquèrent
que s'il fallait laver les coupes et les plats, il faudrait en faire de même,
chaque jour, pour son estomac, ce qui n'était pas possible.
Les maisons des Tibétains, bâties
en pierre et en boue, sont très petites et sales ; les vêtements, bien
que faits avec de la laine blanche, sont complètement noirs n'étant jamais
nettoyés. Un jour que le Sadhou et son compagnon tibétain chrétien
lavaient leurs vêtements dans une rivière près du village de Kiwa,
les habitants s'assemblèrent, fort curieux de voir une chose aussi extraordinaire.
Le lama réprimanda le Sadhou, disant :- Il n'y a point de mal pour les méchants
à laver leurs vêtements, mais pour les saints hommes, c'est une chose très
mauvaise en vérité.- Ce fut un supplice que l'on peut facilement imaginer,
pour un homme habitué à une propreté raffinée de vivre au milieu
de ce peuple d'une saleté indescriptible.
Les brigands étaient constamment
à redouter.- Vous devriez avoir une arme avec vous, disait-on au Sadhou, une
épée ou un fusil, car bien des gens ont été tués dans ces
contrées.- J'ai ma Bible et une couverture, répondait-il ; la Parole de
Dieu est mon épée ; le Seigneur de la vie est avec moi et il me délivrera.
- En vérité, ces mêmes brigands qui avaient
commis tant de meurtres, vinrent à nous et ne nous firent pas de mal, grâce
à Dieu.- Car, en dépit de leur violence et de leur manière de vivre
si répugnante, les Tibétains ont bon coeur et sont naturellement religieux
: dans chaque famille le fils aîné est destiné à devenir lama.
Un jour, alors qu'il enseignait dans une ville tibétaine
appelée Rasar, Sundar fut fait prisonnier et conduit devant le chef des lamas.
Accusé d'avoir enseigné le christianisme, il fut déclaré coupable
et condamné à mort.
Une des manières de mettre un criminel
à mort sans le tuer soi-même, ce qui est contraire à la loi bouddhique,
consiste à le jeter dans un puits et à le laisser périr lentement
au milieu des ossements et des cadavres putréfiés. Sundar, suivi d'une
foule véhémente et avide d'un pareil spectacle, fut conduit au bord d'un
puits profond de quarante pieds et entouré d'un mur d'enceinte. Avec une grosse
clef, on ouvrit la lourde porte recouvrant l'orifice de la citerne, puis, afin d'ôter
au prisonnier toute possibilité de ressortir, on lui cassa brutalement le bras
gauche avant de le jeter dans la fosse. Les deux portes, celle du mur d'enceinte
et celle du puits, furent soigneusement refermées et le Sadhou fut abandonné
dans les ténèbres de cet horrible charnier dont l'odeur nauséabonde
était écoeurante. Les heures s'écoulaient lentement.
- Pendant trois jours je fus sans manger et sans boire,
mon bras me faisait cruellement souffrir, mais au fond de cette prison, je fis l'expérience
d'une paix et d'une joie ineffables, et la présence de mon Sauveur changea pour
moi cet enfer en le ciel même. je pensais que Dieu allait me reprendre à
lui.- Mais le troisième jour Sundar entendit une clef tourner dans la serrure,
et une bouffée d'air frais pénétra jusqu'à lui. Une voix lui
enjoignait de saisir la corde qui lui était lancée. Puis il se sentit doucement,
mais fermement, soulevé et déposé hors du puits. Il faisait nuit,
il ne put reconnaître son Sauveur, qu'il prit pour un soldat tibétain venu
pour le conduire à un nouveau supplice. Le lourd couvert fut remis en place
et refermé avec la grosse clé. Lorsque le Sadhou eut franchi le mur d'enceinte,
il ne vit plus personne ; il attendit vainement et réalisa qu'une vie nouvelle
l'envahissait, et que la douleur de son bras avait entièrement disparu. Tout
ce qu'il put faire fut de rendre grâces à Dieu pour sa miraculeuse délivrance.
N'avait-il pas envoyé son ange selon les anciennes promesses de sa Parole ?
Le Sadhou retourna à Rasar et, le
jour suivant, recommença à prêcher dans les rues de la ville. Quand
les gens virent celui qu'ils croyaient mort, vivant devant eux, ils furent stupéfaits.
L'extraordinaire nouvelle fut rapidement rapportée au lama qui pensa qu'un traître
avait délivré le condamné. Il fit comparaître Sundar qui raconta
ce qui était arrivé. Quelqu'un fut envoyé pour vérifier si le
puits était fermé : tout était en parfait état. La clef, la seule
qui existât, se trouva comme à l'ordinaire suspendue à la ceinture
du lama.
Celui-ci commença à se sentir fort mal à
l'aise et demanda à Sundar de lui montrer son bras. Il l'étendit sans difficulté
et se souvint qu'au sortir du puits son sauveur avait posé sa main sur lui et
qu'il avait été guéri. Le laina lui dit :- Ton Dieu est un Dieu puissant,
Il t'a protégé et nous ne voulons pas te faire de mal, mais va-t-en de
notre province, de peur que la malédiction ne nous frappe.
Ne croyons-nous pas lire le livre des
Actes des Apôtres et entendre le Sadhou dire, comme Pierre délivré
de sa prison : « je vois maintenant d'une manière certaine, que le Seigneur
a envoyé son ange et qu'Il m'a délivré de la main d'Hérode, et
de ce que tout le peuple attendait. »
- Le temps des miracles n'est pas passé, disait le
Sadhou, mais bien le temps de la foi.- Aucun de ceux qui ont eu le privilège
de l'entendre lui-même, ne peuvent mettre en doute que Dieu fasse encore des
miracles de nos jours.
Dans bien d'autres occasions, Dieu vint
en aide, d'une manière surnaturelle, à son fidèle serviteur.
Dans la localité de Kamyan, nul ne semblait désirer
l'écouter, et il ne lui fut pas donné le moindre morceau de pain. Quand
vint la nuit, fatigué et affamé, il ne trouva ni asile pour dormir, ni
fruits sauvages pour apaiser sa faim. Il se coucha sous un arbre et s'assoupit. Au
milieu de la nuit il fut réveillé par un attouchement et vit deux hommes
debout à ses côtés, lui offrant de la nourriture et de l'eau. Pensant
que c'étaient deux villageois plus compatissants que les autres, il prit avec
reconnaissance ce qui lui était offert mais lorsqu'il voulut remercier ses bienfaiteurs,
ils avaient mystérieusement disparu sans laisser de traces.
Une autre fois, prêchant à Khantzi
dans le Népal, les gens furent si furieux contre lui qu'ils le saisirent, l'attachèrent
fermement dans sa couverture et le jetèrent hors du village. Un étranger
passant par là, eut pitié de lui et l'aida à se libérer. Le jour
suivant le Sadhou était de retour dans le même lieu, prêchant Christ
comme auparavant. Cette fois, les villageois exaspérés lui lièrent
les pieds et les mains et le fixèrent solidement à un arbre. Les heures
passaient et Sundar défaillait, épuisé par la tension de ses membres
et par la faim. Des fruits pendaient au-dessus de lui, mais il lui était impossible
de les atteindre. La nuit vint ; anéanti de fatigue, il finit par s'endormir.
A son réveil il se trouva, à son grand étonnement, couché au
pied de l'arbre et libéré de ses liens. Quelqu'un avait dû couper
les cordes qui le retenaient ; à sa portée, sur le sol, quelques fruits
étaient posés.
Un jour, averti que des gens désiraient
entendre son message, il partit à leur recherche. Mais ayant pris une mauvaise
direction, il se perdit dans la jungle. Arrivé au bord d'une rivière, il
ne put la traverser à cause de la force du courant. La nuit tombait, et dans
la forêt toute proche on entendait déjà le réveil des fauves
cherchant leur proie. Que pouvait-il faire, seul et désarmé, sinon élever
son coeur à Dieu en une ardente prière ? Alors, à travers les dernières
lueurs du jour, il distingua de l'autre côté de l'eau, un homme qui lui
criait :- je viens à ton secours.- Et plongeant dans la rivière, l'homme
nagea rapidement jusqu'à lui, prit Sundar sur son dos et regagna l'autre rive.
Là un bon feu était allumé et le Sadhou put y sécher ses vêtements.
Soudain son étrange ami disparut, et il se retrouva seul, à l'abri des
bêtes sauvages, émerveillé une fois de plus de l'amour et des soins
de son Dieu.
Chassé d'un endroit où il avait
en vain essayé de prêcher l'Évangile, il trouva un refuge dans une
caverne ; torturé par la faim et la soif, il demandait à Dieu son secours,
lorsqu'il trouva près de là quelques feuilles qui lui parurent la plus
délicieuse nourriture qu'il eût jamais goûtée, et qui lui rendirent
ses forces. Peu après il vit une troupe, armée de pierres et de bâtons,
s'approcher de sa retraite.
Se recueillant, il pria :- Que ta volonté se fasse,
je remets mon esprit entre tes mains.- Bientôt le silence se fit autour de lui,
il rouvrit les yeux et vit la foule s'éloigner. Qu'était-il arrivé
?... Il se coucha et s'endormit. Le lendemain, la même foule de 50 à 60
personnes réapparut, mais cette fois-ci sans bâtons ni pierres il était
cependant certain qu'on voulait le tuer.- je suis heureux de donner ma vie pour mon
Sauveur, me voici, faites de moi ce que vous voulez.- Un homme s'avança et prit
la parole :- Nous venions pour te tuer hier soir, mais aujourd'hui nous sommes là
pour te poser une question. Nous avons déjà vu des hommes de bien des pays,
Chinois, Hindous, Européens ; nous les distinguons tous, mais nous ne connaissons
pas d'hommes pareils à ceux qui entouraient ta retraite. Nous voudrions savoir
de quel pays ils sont. Jamais nous n'avons vu des gens aussi merveilleux ! Ils encerclaient
ta caverne et ne touchaient pas le sol, aussi n'avons-nous plus eu le courage de
t'abattre.- Alors le Sadhou comprit que Dieu avait envoyé ses anges pour le
protéger. Lui ne les avait pas vus, mais ils avaient été visibles
aux yeux de cette foule. Ces hommes invitèrent Sundar à revenir chez eux
et le prièrent de les instruire de ce qui concernait son Dieu, et plusieurs
furent amenés à la connaissance de Christ.
La haine du christianisme, et en général
de tous les étrangers, se retrouve aussi bien dans les États limitrophes
de l'Inde qu'au Tibet. Au risque de sa vie, le Sadhou pénétra au Népal,
sachant bien qu'il n'en ressortirait peut-être pas.
Le Népal est une longue vallée s'étendant
entre deux montagnes très élevées de la chaîne de l'Himalaya.
Elle est habitée entre autres par la fière tribu des Gourkas. Partout le
Sadhou y rencontra une vive hostilité. Arrivé depuis peu dans la ville
de Ilom, il lui fut enjoint de se taire ; il n'obéit pas et fut pris à
partie par un indigène fort irrité auquel il donna un évangile de
Marc. Celui-ci le déchira aussitôt, et alla dénoncer Sundar à
la police qui l'arrêta et le condamna à six mois d'incarcération.
Jeté dans la prison commune, avec des voleurs et
des meurtriers, Sundar trouva ces hommes tout prêts à écouter l'histoire
de Celui qui s'est appelé l'ami des pécheurs. La paix de Dieu descendit
dans ce lieu de misère, et la semence répandue au travers de la douleur
produisit une riche moisson. Beaucoup acceptèrent Christ comme leur Sauveur.
Le geôlier, voyant le changement qui s'opérait à la prédication
du Sadhou, lui ordonna de garder le silence.- je ne le puis, je dois obéir à
mon Maître et annoncer la bonne nouvelle, quelles que soient les souffrances
qui m'attendent. - Le geôlier, se tournant alors vers les prisonniers, leur
défendit d'écouter Sundar, mais ils répliquèrent qu'ils avaient
été emprisonnés dans le but d'être rendus meilleurs : le Sadhou,
par son enseignement, avait éveillé en eux une vraie repentance de leurs
mauvaises actions. Comment cela pourrait-il être une offense contre qui que
ce soit ?
Le geôlier devint perplexe ; ne sachant que répondre,
il alla vers le gouverneur. Celui-ci donna l'ordre de transférer Sundar dans
une prison où il serait solitaire.
On ne trouva qu'une écurie avec une
seule porte et sans fenêtre. Dans ce lieu sordide et malodorant, le Sadhou fut
dépouillé de ses vêtements et attaché, pieds et mains liés,
à un poteau. Pour ajouter encore à son supplice, quelqu'un rapporta des
sangsues de la jungle, et en couvrit le corps nu de Sundar. Ces bêtes voraces
sucèrent son sang. Dans ses tortures il éleva son coeur à Dieu, et
une grande paix l'inonda. A pleine voix il entonna un cantique de louanges. Le peuple
se massa devant la porte de l'écurie, et il put annoncer Jésus. Dans cette
foule se trouvait celui qui l'avait dénoncé et avait attiré sur lui
tous ces maux. Rempli d'étonnement de ce qu'il entendait, il dit aux geôlier
:- Que pensez-vous de cet homme qui est si joyeux malgré ses tourments ?- Il
doit être fou, répondit le geôlier.- Si en étant fou on peut
avoir une paix si profonde, je voudrais l'être aussi et non seulement moi, mais
tous les habitants de la terre devraient le devenir, car cette sorte de folie transformerait
le monde en un entier paradis !
Le geôlier, de plus en plus troublé
et déconcerté, retourna auprès du gouverneur :- Notre but n'a pas
été atteint, nous espérions faire souffrir cet homme et l'empêcher
de prêcher, mais nous avons seulement contribué a augmenter sa joie.- Il
est fou, dit le gouverneur, laissez-le aller.
Le Sadhou fut libéré ; il était très
faible, ayant perdu beaucoup de sang ; cependant il trouva la force de traverser
la ville, proclamant son message avec une nouvelle ardeur. Un grand encouragement
lui fut donné. L'homme qui s'était montré son pire ennemi lui demanda
s'il n'avait pas honte de prêcher l'Évangile qui lui apportait tant de
souffrances :- Quand j'étais un Hindou comme vous, je n'ai pas eu honte de déchirer
la Bible, comment serais-je honteux maintenant de dire ce que Christ a fait pour
moi ?
- Alors son interlocuteur sollicita
un autre exemplaire de l'Évangile qu'il avait déchiré, afin de chercher
lui-même le secret de cette paix et de cette joie qui se manifestent au travers
des plus grandes épreuves. Dans le Nouveau Testament de Sundar, on a retrouvé
ces quelques mots : Népal, 7 juin 1914. La présence de Christ a transformé
ma prison en un véritable ciel, alors que sera le ciel même ?
- je bénis Dieu, écrira-t-il, de ce qu'il
m'a choisi dès ma jeunesse, indigne comme j'étais, pour que je puisse mettre
à son service les jours de ma vigueur. Dès mon baptême je demandai
à Dieu de me montrer ma voie, et lui qui est le chemin, la vérité
et la vie, m'a appelé à le servir comme Sadhou et à prêcher son
saint nom. Et maintenant, bien qu'ayant souffert la faim, le froid, les chaleurs,
la prison, les malédictions, les infirmités, la persécution et des
maux sans nombre, je le bénis de ce que, par sa grâce, mon coeur est toujours
débordant de joie. Après dix ans d'expériences je répète,
sans la moindre hésitation, que la Croix porte ceux qui la portent.
MINISTÈRE
AU LOIN
Je n'ai pas honte de l'Évangile, c'est
une puissance de Dieu pour le salut de
quiconque croit. Saint Paul.
Dans les vastes solitudes de l'Himalaya,
le Sadhou passa des mois dans le silence et la communion avec Dieu. Il parcourut
seul des régions rarement visitées par les hommes, et contempla dans la
nature les oeuvres puissantes du Créateur. C'est là que Dieu scella sa
vocation divine en lui faisant réaliser de magnifiques expériences de sa
puissance, et qu'il lui accorda, dans des moments d'extase, des visions spirituelles
sur le monde invisible, qui illuminèrent sa vie.
Il reçut une puissance en vue du
ministère qui allait être le sien dans l'empire des Indes et dans ses voyages
missionnaires à travers le monde. Son nom devint bientôt célèbre,
et toutes les portes s'ouvrirent devant ce serviteur du Christ dont on parlait avec
tant d'étonnement et d'admiration. Mais rien ne le détournera de sa vocation
de Sadhou, et il manifestera la même humilité, la même douceur, la
même simplicité dans sa vie de renoncement. Son âme, toujours éprise
de silence et d'union avec Dieu, souffrira de l'adulation des hommes et aspirera
constamment à retrouver la solitude des montagnes.
En 1918, Sundar se rendit à Madras,
et de là plus au sud, pour travailler momentanément parmi les communautés
privées par la guerre, des missionnaires allemands. C'est alors qu'il rencontra
le Dr et Mme Pierre de Benoit, venus aux Indes pour secourir les missionnaires suisses
restés sans abri à la suite de l'expulsion, par le gouvernement anglais,
des missionnaires allemands. Partout le Sadhou exhortait les chrétiens hindous
à poursuivre le travail des missionnaires européens et à ne pas laisser
se perdre la tâche entreprise. Il illustrait ses exhortations par la parabole
suivante :- Un homme avait un magnifique jardin ; les plantes et les arbres en étaient
très bien soignés et chacun les admirait. Cet homme devant partir pour
un temps prolongé, se dit en lui-même :- Mon fils est ici ; il gardera
tout en bon ordre jusqu'à mon retour.- Mais le fils ne se soucia pas du jardin,
et nul n'en prit soin : la porte en resta ouverte, les vaches du voisin y entrèrent
et broutèrent les fleurs et la verdure. Personne n'arrosait les plantes, et
bientôt tout se flétrit et se dessécha. Les passants s'étonnaient
devant la négligence de ce fils indolent et paresseux.- Oh ! répondit-il,
mon père s'en est allé sans me dire ce que je devais faire !- Vous, chrétiens
hindous, vous êtes exactement comme ce fils : vos missionnaires ont dû
partir ; ils seront loin longtemps et vous ne faites rien pour continuer leur travail.
Si vous voulez être de vrais fils, vous devez faire votre devoir sans attendre
un ordre spécial de votre père.
Soir et matin le Sadhou prêchait
devant de nombreuses assemblées ; jamais personne n'avait à ce point attiré
l'attention et la sympathie des églises de l'Inde. On venait à lui de toutes
parts. Les conseils qu'il donnait étaient toujours empreints de sagesse, de
bon sens et de pondération. L'exemple de sa pieuse mère et l'éducation
qu'elle lui avait donnée, revenaient constamment dans ses entretiens avec les
femmes.- Si une mère païenne a pu faire tant pour son fils, combien plus
vous, mères chrétiennes, le pouvez-vous pour vos enfants.
Bien souvent les Hindous sont allés le voir, comme
Nicodème, pendant les heures silencieuses de la nuit, pour chercher la vérité.
On le suppliait de visiter les malades, de bénir les enfants ; le nombre de
ceux qui réclamaient ses prières était légion, et beaucoup ont
trouvé le soulagement attendu. Le bruit de ses guérisons prit une telle
extension qu'il refusa de répondre à bien des appels. Les Hindous prêtent
volontiers un pouvoir magique à un « saint homme ».
- A Ceylan, un chrétien de bonne famille avait un
fils qui se mourait. Les médecins l'avaient condamné, et si mère me
supplia de venir lui imposer les mains et de prier pour lui. je lui dis :- Ces mains
n'ont aucun pouvoir, seules les mains percées du Christ peuvent guérir.
A la fin, pourtant, je consentis à aller voir le jeune homme à l'hôpital
; je priai pour lui et posai mes mains sur sa tête. Trois jours plus tard je
l'aperçus, assis à côté de sa mère, au fond d'une salle
où je prêchais. Malgré tous mes efforts, je ne pouvais convaincre
les gens que la guérison n'était pas obtenue par un pouvoir surnaturel,
mais qu'elle était accordée par Christ seul, en réponse à la
prière. On persistait à me regarder comme un faiseur de miracles, et je
compris qu'il était préférable de ne pas encourager une superstition
qui détournait l'attention de l'Évangile.
Le Sadhou participa à une grande
convention de l'Eglise syrienne, où 20 000 chrétiens étaient présents.
Cette communauté chrétienne se réclame de l'apôtre Thomas, venu,
dit-on, prêcher l'Évangile aux Indes. Que cette tradition soit vraie ou
non, il est établi que cette Eglise remonte au troisième siècle de
l'ère chrétienne. Sundar se rendit à un autre des congrès de
la branche Mar Thomas, dans le Travancor. Chaque année, à la saison sèche,
on élève un vaste hangar sur une île de sable formée par le lit
sec d'une immense rivière. Là, durant une semaine, se tiennent des réunions
d'évangélisation. Chaque matin, avant l'aurore, un homme parcourt le campement
en criant : « Loué soit Dieu ! Loué soit le Fils de Dieu ! »
et de partout s'élèvent des prières chantées sur d'antiques mélodies
syriennes. Ainsi monte vers le ciel, dans un constant crescendo, l'invocation qui
doit faire descendre la bénédiction sur les réunions de la journée.
Grâce à la présence du
Sadhou, il y eut cette année-là plus de monde que jamais. Non moins de
32 000 auditeurs étaient assis sur le sable, tandis que sur une plateforme élevée,
deux évêques de l'Eglise syrienne, en robes de satin rouge aux ceintures
d'or, coiffés de turbans étranges, présidaient les séances. D'autres
prédicateurs et le Sadhou étaient assis sur l'estrade à la façon
indienne. Lorsque l'évêque indiquait un sujet de prière, un murmure
s'élevait et allait croissant jusqu'à devenir semblable au fracas de l'océan.
A ces vastes auditoires, Sundar parlait avec franchise, disant qu'un
grand privilège leur avait été accordé par la connaissance qu'ils
avaient de l'Évangile, depuis tant de siècles. Il les priait de considérer
sérieusement pourquoi la bonne nouvelle de Christ était restée confinée
si longtemps dans cette petite partie de l'Inde. A cause de leur négligence,
Dieu avait dû envoyer des messagers étrangers d'Europe et d'Amérique,
pour faire le travail qui leur avait été confié à eux. Le Sadhou
les pressait instamment de répondre enfin à l'appel divin et d'apporter
la lumière aux millions d'Hindous qui meurent dans les ténèbres.
Le Sadhou n'a jamais attaqué violemment
la religion dans laquelle il a été élevé. Il accueillait tous
ceux qui avaient des principes religieux et ne cherchait pas à engager des controverses
; il voulait construire et non pas démolir. Par sa douceur, son humilité,
son acceptation paisible des humiliations et des injures, par le témoignage
silencieux de sa vie plus encore que par ses paroles, il gagnait des coeurs qui voyaient
en lui l'amour même de Christ.
-Tout l'avenir de la foi chrétienne aux Indes, écrit
C. F. Andrew dans son livre sur Sundar Singh, est centré sur l'idéal que
le Sadhou a placé devant les chrétiens. Christ sera trouvé par les
Hindous seulement si ceux qui se disent chrétiens n'obscurcissent pas sa présence.-
Si tous ceux qui travaillent à étendre le royaume de Dieu sur la terre
appartenaient sans partage au Christ vivant, dit Sundar, le monde entier serait devenu
chrétien depuis longtemps ; car les non-chrétiens qui cherchent la vérité
sont prêts à souffrir pour la trouver, mais je dois confesser que l'Eglise
chrétienne, elle, a grandement manqué.
Sundar passa six semaines à Ceylan,
où son séjour avait été préparé par des missionnaires
et des laïques de toutes dénominations. Mahométans, hindous, bouddhistes,
catholiques, protestants, tous venus de loin, se pressaient aux abords des salles
dès longtemps avant l'heure fixée. Aucune enceinte n'était assez vaste
; à Colombo, des centaines de gens ne purent même pas arriver jusqu'aux
portes du local où il parlait. Son nom était sur toutes les bouches.
En le voyant si calme et paisible, au milieu de ces multitudes
qui le poursuivaient jusque dans ses moments de repos, personne ne se doutait de
la souffrance que lui causait cette popularité et combien cette activité
débordante était loin du genre de vie qu'il affectionnait.
Il parla sévèrement aux chrétiens de ce
qu'il considérait comme un des plus grands obstacles à la diffusion de
l'Évangile : le danger des richesses et du luxe, et la lèpre de l'esprit
de caste qui se retrouvait même parmi les chrétiens. jamais encore, dans
les temps modernes, les populations de l'Inde n'ont été secouées de
leur torpeur comme elles le furent par le simple message du Christ crucifié
et ressuscité.
Le Sadhou était alors au faîte
de sa popularité, et ici se place l'expérience suivante :
Un jour qu'il s'en était allé dans la jungle
pour prier, un personnage plein de dévotion s'approcha de lui :- Pardonnez-moi
de troubler votre solitude et d'interrompre vos prières, mais n'est-ce pas un
devoir de chercher le bien des autres ? Votre vie pure et votre renoncement m'ont
profondément impressionne ainsi que beaucoup de ceux qui cherchent Dieu. Bien
que vous soyez consacré corps et âme au bien des autres, vous n'avez pas
été suffisamment récompensé. je veux dire ceci : En devenant
chrétien, votre influence s'est étendue à des centaines de gens, mais
elle reste limitée. Ne serait-ce pas mieux pour vous de devenir un « leader
» du peuple hindou ou musulman ? Si vous y consentiez, vous verriez bientôt
des millions vous suivre et vous adorer comme leur Gourou.- Quand le Sadhou entendit
ces paroles, il répliqua aussitôt :- « Arrière de moi, Satan
», je sais que tu es un loup habillé en mouton ; tu désires que je
renonce a suivre l'étroit chemin de la vie, qui est celui de la Croix, pour
prendre la route large qui mène à la mort. Ma récompense est le Seigneur
lui-même qui a donné sa vie pour moi, et c'est mon bonheur et mon devoir
que de me livrer à lui avec tout ce que je possède. Retire-toi de moi,
je n'ai rien à faire avec toi !
Sundar pleura beaucoup et pria. Sa prière
terminée, il vit debout devant lui un être glorieux ; les larmes troublaient
la vision du Sadhou, mais un fleuve d'amour envahit son âme. Il repoussa la
tentation de devenir un Gourou hindou- tel que Nânak- honoré de tous et
unissant le christianisme et toutes les religions de l'Inde en un système qui
ferait de Jésus l'égal de Mahomet ou de Bouddha.- Non. Pour le Sadhou il
y avait un seul Sauveur, Jésus-Christ, un seul Evangile, la bonne nouvelle de
la grâce de Dieu qui est Christ, « le même hier, aujourd'hui et éternellement
».
Partout la remarquable personnalité
du Sadhou suscitait un intérêt extraordinaire et donnait une grande puissance
à ses paroles. Il se dégageait de lui comme une émanation d'énergie
spirituelle, qui le faisait aussitôt reconnaître pour un envoyé du
Christ, chargé d'un message spécial. Il a provoqué dans toutes les
populations, un réveil dont il est impossible d'évaluer l'importance. Il
n'y a pas de doute que sa prédication porte des fruits abondants et qu'il a
fait naître un sentiment plus vif et plus profond de ce que doit être la
vie chrétienne.
De Ceylan, Sundar se rendit à Calicut et à
Bombay il y prit la grippe qui sévissait alors aux Indes.- Dieu me donna par
là un temps de repos que je n'avais pu avoir dans le sud, dit-il.
Puis ce fut le départ pour son premier voyage missionnaire hors
des Indes. Il fut appelé à aller en Birmanie, à Rangoon, à Mandalay,
à Singapour. Il avait commencé l'étude de l'anglais afin d'éviter
l'inconvénient des traductions. Il ne prit avec lui aucun argent, restant fidèle
à la parole de Jésus : « Ne soyez pas en souci pour votre vie, de
ce que vous mangerez... et de quoi vous serez vêtu... Votre Père céleste
sait de quoi vous avez besoin. »
A Penang, un Sikh l'invita à parler
dans le temple sikh et le gouverneur donna un après-midi de congé aux fonctionnaires
de la police afin qu'ils puissent l'entendre. Quel contraste avec l'hostilité
qu'il avait rencontrée chez son peuple et dans son village natal !
De Singapour il accepta d'aller en Chine et au japon.
On vit des trains s'arrêter dans des stations intermédiaires, et des bateaux
retarder leur départ pour le prendre à bord.
Partout un accueil enthousiaste l'attendait, et son message
apportait lumière et vie. Il prêcha dans la cathédrale de Pékin,
où un pasteur méthodiste lui servit d'interprète. à Hankow, ce
fut le fils d'Hudson Taylor qui le traduisit en chinois. Au japon, il fut douloureusement
impressionné par le matérialisme, l'amour des richesses, l'immoralité
et l'indifférence religieuse. En Chine, il fut frappé de voir combien l'absence
de castes rendait l'accès de l'Eglise chrétienne plus facile aux nouveaux
convertis que cela n'était le cas aux Indes.
En été 1919, le Sadhou retourna à Sabathou,
et de là dans son pays d'élection ; son coeur était toujours attaché
au Tibet, et une fois de plus il entreprit le dangereux voyage dans les régions
neigeuses de l'Himalaya.
A son retour en octobre, après avoir traversé
le Punjab, il se rendit à son village natal de Rampour. Son père, qui ne
l'avait pas revu depuis 14 ans, l'accueillit avec bonté et lui demanda de lui
montrer le chemin qui mène à Christ. Grandes furent l'émotion et la
reconnaissance de Sundar en voyant ses persévérantes prières exaucées.
Il recommanda à son père de lire la Bible et de prier.
Celui-ci obéit et, peu après , dit à Sundar :- j'ai trouvé ton
Sauveur ; il est devenu mon Sauveur. Mes yeux spirituel ont été ouverts
par toi, c'est pourquoi je désire recevoir le baptême par tes mains.- Mais
le Sadhou, qui avait refusé de baptiser des milliers de personnes, ne put accéder
à cette émouvante prière.- Ce n'est pas pour baptiser que Christ m'a
envoyé, c'est pour annoncer l'Évangile, comme le grand apôtre. C'est
à d'autres à le faire ; je ne suis qu'un témoin de la grâce de
Dieu et de la paix qui est en Jésus-Christ.
Depuis bien des années Sundar avait
le grand désir de visiter la Palestine, le pays où Christ a vécu,
souffert et donné sa vie ; mais il ne put obtenir le passeport nécessaire
et dut y renoncer.
- Une nuit, dit-il, tandis que je priais, je reçus
un appel de Dieu pour l'Angleterre ; dans la méditation, sa volonté devint
claire pour moi ; je compris que je devais visiter les contrées appelées
chrétiennes et que là aussi j'aurais à rendre mon témoignage.-
Ce fut son père qui paya les dépenses de ce premier voyage en Europe.
En février 1920 Sundar arriva à
Liverpool, visita Manchester, Birmingham, Oxford où il prêcha dans plusieurs
collèges. A Londres, de grandes foules de diverses dénominations vinrent
l'entendre; dans l'abbaye de Westminster il s'adressa à 700 clergymen anglicans,
parmi lesquels l'archevéque de Canterbury et d'autres évêques. Il
parla aussi à Cambridge et dans diverses réunions missionnaires.
Invité par la Société des Missions de
Paris, il fit un court séjour dans cette ville, puis de retour en Grande-Bretagne,
visita l'Irlande et l'Ecosse.
En mai il s'embarqua pour l'Amérique, où il
rendit son témoignage à New York, Brooklyn, Baltimore, Philadelphie, Chicago
et San Francisco.
Il combattit l'influence de certains Hindous bouddhistes
qui gagnaient de nombreux adeptes à la religion des Indes.
L'activité incessante, bruyante et
trépidante des grandes cités américaines contrastait avec la nature
calme, orientale et contemplative de ce grand ami de la solitude. Lorsque les Américains,
fiers de leur civilisation, pensaient provoquer par leurs splendides inventions modernes
l'admiration du Sadhou, il leur fit comprendre, sans dissimuler ses impressions,
que l'oeuvre de Dieu l'intéressait davantage que l'oeuvre des hommes. Déçus,
ils déclarèrent qu'étant seulement de passage au milieu d'eux, il
ne pouvait en quelques jours apprendre à connaître et à apprécier
le génie américain. A quoi le Sadhou répondit, dans son langage imagé
:- Il faut beaucoup de temps, en botanique, pour étudier la structure d'une
fleur et ses divers organes, mais il ne faut qu'un instant pour en sentir l'odeur.-
Il ne parlait pas pour plaire aux hommes, mais selon la vérité et dans
l'amour. Il disait :- Le Christ aurait dit ici : « Venez à moi, vous tous
qui êtes chargés d'or, et je vous soulagerai. » Il avait pensé
que la connaissance du Christ aurait transformé les nations de l'Occident, mais
en voyant partout l'amour de l'argent le luxe, le confort, la recherche du plaisir
et de toutes les choses que le monde peut donner, il était profondément
déçu. Même chez ceux qui se disaient chrétiens, il trouva beaucoup
d'activité, de bruit et d'agitation, mais peu de temps donné à Dieu
dans la méditation. Les hommes de l'Occident étaient si occupés qu'ils
avaient laissé la prière de côté dans leur vie journalière.
Il trouva, comme on le lui avait dit avant son départ, que les pays soi-disant
chrétiens s'étaient corrompus et n'étaient plus chrétiens dans
leur ensemble. Il rencontra cependant bien des serviteurs fidèles de Christ
et, à son retour, il dit à ses amis hindous que s'il avait décelé
en Occident beaucoup de matérialisme, l'Inde avait encore besoin de missionnaires
venus d'Europe et d'Amérique. L'intérêt que suscitent les missions
est la force et la vie des Eglises chrétiennes de l'Occident, disait-il.
En juillet, il s'embarqua pour l'Australie.
Un orage, pendant la traversée, lui suggéra l'image suivante :- Chaque
matin nous recevions des nouvelles. Un jour, arrêt soudain, silence complet
! je demandai pourquoi:- C'est à cause de la tempête ; des perturbations
atmosphériques empêchent la T.S.F. d'envoyer les messages.- Ainsi quelquefois,
à cause du péché, l'atmosphère spirituelle est troublée
et notre contact avec Dieu est interrompu. Cette tempête doit cesser, mais Jésus
seul peut la calmer. Il peut parler avec autorité au vent et à la mer pour
les apaiser. Quand tout est calme intérieurement, nous entendons sa voix, et
nous avons la joie de sa présence dans nos coeurs.
Sydney, Melbourne, Perth, Adélaïde, Freemantle
reçurent la visite du Sadhou. Partout et toujours son influence bienfaisante
unissait entre elles les diverses communautés chrétiennes.- A quelle Eglise
appartenez-vous ? lui demandait-on souvent.- A aucune, j'appartiens à Christ,
cela me suffit, et dans un sens, je suis de toutes les Eglises où se trouvent
de vrais chrétiens. je ne crois pas aux unions obtenues par des moyens humains;
l'union extérieure n'est d'aucune utilité. Ceux-là seuls qui sont
unis en Christ, qui sont un en lui, seront unis dans le ciel. Comment les chrétiens
qui ne peuvent vivre en bonne harmonie durant les courtes années de leur vie
terrestre, pourraient-ils passer toute l'éternité ensemble dans le ciel
?
Après des mois d'une activité
incessante, Sundar se retrouva avec joie à Sabathou, et passa quelques mois
dans la tranquillité avant de reprendre, au printemps 1920, son travail au Tibet.
Il avait rendu témoignage dans de nombreux pays, proclamant l'Évangile
dans des églises bondées, entouré d'une foule enthousiaste. Maintenant
il allait reprendre ses voyages dans des contrées solitaires et proclamer ce
même Evangile dans des villes et des villages hostiles à son message.
En 1922, il accepta les nombreuses invitations venues
d'Europe et put enfin réaliser son désir passionné de visiter la Palestine.
Là, il vécut dans la présence même de Jésus ; il le sentait
avec lui partout, son âme débordait de joie et de reconnaissance en parcourant
ces contrées où son Sauveur avait travaillé et souffert.
En visitant le pays sacré, la Bible fut pour lui
comme illuminée et lui devint plus chère que jamais. Ce qui choque un esprit
sensible : la foule des touristes, les affiches, le bruit des autos, la rivalité
des sectes religieuses, tout le trafic et le vulgaire de la vie humaine, ne semble
pas avoir produit sur lui une impression pénible. Et cela, sans doute, parce
qu'il vivait en esprit si entièrement en communion avec Christ qu'il était
conscient de sa présence.
Dans le temple de Jérusalem, il lui
semblait percevoir les paroles du Christ : « je suis venu afin que vous ayez
la vie et que vous l'ayez en abondance ». Il croyait l'entendre lui dire comme
à ses disciples d'autrefois : « La paix soit avec vous ; comme mon Père
m'a envoyé, Moi aussi je vous envoie ». Il savait qu'à son tour il
avait et-' envoyé pour servir de témoin dans le monde.
Bethléem, Emmaüs, Béthanie, le mont des Oliviers, le
Saint-Sépulcre, le chemin du Calvaire, Nazareth, Capernaüm, le lac de Galilée,
tout était pour lui un commentaire vivant des évangiles, tout lui parlait
de la vie du Sauveur, du grand drame de la Croix et de la résurrection.
Le puits de Jacob, auprès duquel il s'était
arrêté, lui suggère la pensée suivante :- « Ceux qui boiront
de cette eau auront encore soif, a dit le Christ, mais celui qui boira de l'eau vive
que je lui donnerai n'aura jamais soif. » C'est vrai. J'ai bu l'eau de ce puits
fameux, pourtant le soir ma soif n'était pas étanchée ; mais voilà
plus de seize ans que Christ m'a donné son eau vive, et je puis dire en toute
humilité et reconnaissance que mon àme a été désaltérée
à jamais. Il est en vérité la source de la vie.
- Sur les rives du Jourdain, dit-il encore,
je contemplai l'eau fraîche et douce qui se déverse continuellement dans
la mer Morte qui, elle, reste morte parce qu'elle garde cette eau vive sans la répandre
au loin. De même il y a des églises mourantes, des chrétiens morts,
parce qu'ils gardent pour eux l'eau vive que donne Jésus. Ne soyez pas semblables
à la mer Morte. Faites part aux autres des bénédictions que vous avez
reçues ; employez au service de Christ vos dons, votre instruction, votre argent,
alors vous recevrez des bénédictions toujours plus grandes. J'ai fait l'expérience
que si nous faisons quelque chose pour Christ, nous recevons mille fois plus. Soyez
toujours prêts à travailler pour votre Sauveur et à aider votre prochain.
De la Palestine, le Sadhou alla au Caire
où il prêcha dans l'église copte. Une semaine après il débarquait
à Marseille et, de là, partait directement pour la Suisse. Le lundi 27
février 1922, le Sadhou arrivait à Lausanne.
EN EUROPE
SÉJOUR
EN SUISSE
Je n'ai pas eu la pensée de savoir parmi vous
autre chose que Jésus-Christ etJésus-Christ crucifié.
Saint Paul.
En gare de Lausanne, le Sadhou fut reçu
par les membres du bureau de la Mission aux Indes. Le jeune pasteur Francis Joseph
avait été à sa rencontre entre Marseille et Genève, et allait
lui servir de secrétaire durant son séjour en Suisse.
Sundar Singh portait, comme aux Indes, sa robe de Sadhou
jaune safran, descendant en longs plis jusqu'à ses pieds qu'il avait nus dans
des sandales ; sur sa tête un turban de même couleur safran et, pour tout
bagage, un grand sac de cuir jaune.
Élancé, d'une stature au-dessus de la moyenne,
d'une beauté physique remarquable, il avait un visage au teint olive, entouré
de cheveux et d'une barbe noirs, caractéristiques de sa race, dont il était
l'un des plus nobles représentants. Sa démarche harmonieuse, ses mouvements
un peu lents, son regard profond, serein et bienveillant, reflétaient la paix
de son âme. Sa personnalité si spéciale arrêtait immédiatement
l'attention et suscitait sur son passage l'admiration de tous.
Une automobile le conduisit à Chailly
sur Lausanne où la maison du Dr et de Mme Pierre de Benoit lui était ouverte.
En leur absence (ils étaient alors aux Indes pour un travail missionnaire),
nos enfants nous avaient demandé, à M. van Berchem et à moi-même,
de les remplacer pour recevoir le Sadhou à leur foyer. Ce fut pour nous un très
grand privilège, car il est impossible d'être en contact avec un homme
qui vit dans une telle communion avec Dieu sans en recevoir une bénédiction.
Lorsque je vis pour la première fois le Sadhou,
à son arrivée dans le salon de Chailly, je fus saisie par son extraordinaire
rayonnement. Sa belle physionomie, son maintien calme et digne, la paix profonde
de son regard laissant deviner la pureté de son âme, son humble simplicité,
son amour rayonnant faisaient penser au Maître qu'il servait. Les paroles de
l'apôtre s'imposèrent aussitôt à mon esprit : « Ce n'est
plus moi qui vis, c'est Christ qui vit en moi ». Il n'était pas nécessaire
de les entendre de ses lèvres, car tout en lui rappelait l'image de Celui avec
lequel il vivait dans une constante intimité.
Beaucoup, en Suisse ou ailleurs, petits
ou grands, furent frappés de la sainteté émanant de cet homme qui
ressemblait tant à son Maître ; témoin les deux faits suivants :
En Angleterre, allant rendre visite à une dame,
le Sadhou sonne à la porte et donne son nom à la servante qui vient lui
ouvrir. La jeune fille le regarde avec étonnement, puis, courant vers sa maîtresse
: « Quelqu'un désire vous voir, Madame, je n'ai pas compris son nom, mais
il est pareil à Jésus-Christ ! »
En Amérique, au cours d'une réunion, une fillette
de 4 ans, assise au premier banc, ne peut détacher ses yeux de ce mystérieux
personnage à la longue robe safran. Et quand il a fini de parler, de sa voix
claire, la petite fille demande à sa mère : « Est-ce Jésus ?
»
Pour nous cette impression du premier moment ne s'effaça
pas.
Le soir même de son arrivée, le comité
de la Mission aux Indes se réunit pour exposer au Sadhou son plan d'évangélisation
préparé avec soin : deux réunions ici ; trois là ; les dix jours
prévus étaient tous également remplis. Sundar hoche la tête.
- Non, dit-il, je ne puis accepter qu'une réunion par jour, deux peut-être
le dimanche, mais point le samedi. Il faut beaucoup de prière avant et après
chaque séance, si l'on veut en retirer un bienfait spirituel. Il me serait aussi
facile de multiplier les réunions que de jeter des lettres à la poste,
mais vous n'en auriez aucune bénédiction.
Les organisateurs se regardent, fort perplexes
: tout était déjà organisé, annoncé dans les journaux, les
temples et les salles retenues. Il était cependant impossible d'insister. Il
fallut écrire, télégraphier, bouleverser les programmes.
Dès sa venue, le Sadhou me pria de ne recevoir pour
lui aucune visite : il serait débordé et n'aurait plus un instant à
lui. Déjà il était fort occupé à dépouiller, avec son
secrétaire, le nombreux courrier qui lui arrivait journellement.
Quelle déception pour tous ceux qui auraient voulu
le voir, et qui souvent venaient de loin. Un jour une dame insista ; elle désirait
lui poser une question lui tenant fort à coeur : Que pensait-il du ministère
de la femme ? je lui offris de transmettre sa demande dès que j'en aurais l'occasion.-
Dites-lui, répondit Sundar, que le premier grand message missionnaire de la
résurrection fut confié par Jésus à une femme (*). Lorsqu'une femme a reçu une révélation
de la part du Seigneur, elle a le droit et le devoir de la proclamer.
Mais, ajouta-t-il avec malice, « il y en a
qui parlent trop... »
Une autre question lui fut posée
au sujet du retour du Seigneur. Quels seront ceux qui seront enlevés à
sa rencontre dans les airs, selon 2 Thess 4. 16-17 ? Sera-ce tous ceux ayant reçu
le pardon de leurs péchés ; ou comme quelques chrétiens le pensent,
seulement les vainqueurs, dont il est parlé dans les lettres aux sept Églises
de l'Apocalypse ; ceux qui ont réalisé la plénitude du salut que Christ
a apporté par sa mort sur la Croix, c'est-à-dire le pardon, mais aussi
la délivrance du péché ; ceux qui auront été sanctifiés
entièrement, esprit, âme et corps, et conservés irrépréhensibles,
selon 1 Thess. 5. 13 ?
Le Sadhou répondit par une image
:- Lorsque vous approchez un aimant d'une aiguille, elle est aussitôt irrésistiblement
attirée à lui par une force invisible, parce qu'elle est de même nature
que l'aimant. Ainsi lorsque Christ reviendra, il attirera à lui tous ceux qui
auront reçu la nature divine, soit la vie de Christ en eux. Ceux-là seront
enlevés dans les airs à sa rencontre par une irrésistible attraction.
Rien ne pourra les retenir sur la terre.
Durant ses longues journées solitaires dans l'Himalaya,
les facultés d'imagination du Sadhou avaient libre cours. Il se représentait
avec intensité les choses célestes et, vivant le grand drame de l'Apocalypse,
voyait la Sainte Cité descendre du ciel. Il n'est pas étonnant qu'il ait
pris « à la lettre » la Parole de Dieu en ce qui concerne le retour
du Christ. « Voici, il vient sur les nuées, et tout oeil le verra, et ceux
qui l'ont percé. »
- Quand les gens parlent du retour de Christ, dit-il,
ils déclarent que c'est une chose absurde. Ainsi, des centaines d'ouvriers travaillèrent
à la construction de l'arche sans prendre au sérieux le jugement à
venir. Quand Christ réapparaîtra, il en sera de même qu'au jour de
Noé : combien de ministres qui bâtissent l'arche, symbole de l'Église,
n'aiment pas à entendre parler de ce retour et pensent que Christ est déjà
venu « spirituellement » ! Mais la Bible dit : « Ce Jésus qui
a été enlevé au ciel du milieu de vous, viendra de la même manière
que vous l'avez vu allant au ciel. »
- Son retour est proche ; nous pouvons discerner déjà
les signes des temps. Auparavant l'humanité passera encore par de grandes souffrances.
La guerre (1914-1918) n'a été qu'un faible châtiment ; une profonde
détresse régnera sur le monde entier, et plus spécialement sur l'Europe.
Ces paroles ont été prononcées en Suisse
par le Sadhou, en 1922.
Le Sadhou, levé avant l'aube, passait
beaucoup de temps en prière et en méditation. Son amour de la solitude
provenait du désir profond qu'avait son âme d'être seule avec Dieu.
Il avait demandé qu'on l'appelât à l'heure des repas ; c'était
sans doute une contrainte à laquelle il s'était soumis en Europe, mais
qu'il ne connaissait pas aux Indes.
Absorbé qu'il était par ses propres pensées,
l'effet d'une remarque de sa part était d'autant plus frappant par le silence
qui l'avait précédé. Il voyait toutes choses du point de vue spirituel
et admirait les beautés de la nature plus que l'oeuvre des hommes.
Un jour, après le repas, assis sur la terrasse devant
la maison, nous entendîmes un avion qui bientôt passa sur nos têtes
avec un grand bruit. Après un moment de silence :- Vous avez remarqué le
bruit qu'a fait cet avion ? c'est l'oeuvre des hommes. Mais observez le vol d'un
oiseau, la croissance d'une fleur, votre pouls dans vos artères, c'est l'oeuvre
de Dieu. Elle est silencieuse, mais celle des hommes est bruyante.
En effet, la voix de Dieu est un «
son doux et léger », qui ne peut être perçu que dans le silence
et la tranquillité. Dans notre Europe agitée, bruyante, où tant de
voix discordantes se font entendre, il est difficile de trouver une retraite paisible
pour écouter Dieu, et l'on comprend la nostalgie qu'avait le Sadhou du silence
des grandes solitudes.
Dans de simples entretiens en un cercle d'amis, Sundar
nous a parlé avec amour de son oeuvre au Tibet, de la petite école d'évangélistes
qu'il put y former et qui lui tenait tant à coeur. Il nous a conté ses
visites à l'ermite de Kailash et la vie de prière de cet homme de Dieu
qui intercède pour les saints répandus dans le monde et que Dieu lui fait
voir en esprit. Avant l'arrivée du Sadhou, il le connaissait par une révélation
divine.
Ceci peut paraître étrange à nos mentalités
actuelles. Absorbés que nous sommes par les choses visibles, par les mille préoccupations
de la vie moderne, nous restons insensibles aux inspirations de l'esprit. Pourtant
les vues étroites et matérialistes du siècle dernier sur l'univers,
commencent à s'élargir et un horizon plus étendu s'ouvre devant nos
yeux. Ne devons-nous pas reconnaître humblement notre ignorance en face des
lois spirituelles qui dépassent notre entendement et admettre que Dieu peut
donner des visions qui nous sont inconnues, à ceux qui, détachés de
la terre et de ses contingences, s'absorbent dans les choses de l'esprit ?
A plus d'une reprise le Sadhou nous parla
de sa mort. Il avait l'intuition qu'il donnerait sa vie en martyr au Tibet. Dans
une de ses prédications, il dit ceci :- je n'éprouve aucune crainte à
la pensée de mourir au Tibet. Quand ce jour viendra, je l'accueillerai avec
joie. Déjà peut-être, l'année prochaine vous apprendrez que j'ai
perdu la vie là-bas. Ne pensez pas : il est mort, mais
dites : il est entré dans le ciel et dans la gloire éternelle,
il est avec Christ dans la vie parfaite.
De tous les pays que visita le Sadhou, la Suisse semble
être celui qui ait été le plus près de son coeur. Le panorama
des montagnes, avec leurs neiges éternelles, lui rappelait l'Himalaya. Il consacra
une journée à l'Oberland bernois. Dans le Pays d'En-Haut, la neige couvrait
la vallée et un train spécial amena les montagnards, qui se groupèrent
graves et recueillis dans la petite église de Gessenay. Il semble que le Sadhou
se soit senti là chez lui plus que partout ailleurs.- J'aime les Suisses, dit-il
a son retour.- Il préférait la simplicité des villages aux grands
rassemblements des villes.
Partout sa présence attirait les
masses, et ses auditeurs étaient conquis d'emblée. Les temples étaient
trop petits. A Tavannes, dans le jura, bien que ce fût le 1er mars, il fallut
se réunir en plein air. Il y avait des centaines de gens, les directeurs de
fabriques d'horlogerie ayant donné congé ce jour-là à leurs ouvriers.
Un rayon de soleil brilla pendant la durée de l'allocution, puis, dès que
la foule fut dispersée, une giboulée de neige vînt blanchir la contrée.
La ville de Morges eut son temple bondé, les gens
étant accourus de tous les environs.
A Lausanne, il fallut quitter l'Église
Saint-François et improviser une réunion de plus de 4000 personnes sur
la place de Montbenon. La grande salle de Tivoli dut fermer ses portes bien avant
l'heure fixée. Les gens escaladèrent les fenêtres et, par centaines,
écoutèrent du dehors. Le silence était impressionnant ; la voix du
Sadhou et celle de son traducteur, le pasteur F. de Rougemont, s'entendaient de partout.
Ma voix, dit le Sadhou, ne vous sera pas d'une grande utilité si, rentrés
chez vous, vous n'écoutez pas celle du Sauveur.
A la cathédrale, une des plus vastes
de Suisse, les moindres recoins étaient occupés, et ce fut impressionnant
d'ouïr cet authentique Hindou, dans sa robe de Sadhou, proclamer du haut de
la chaire, le message du salut.
Il nous est impossible de suivre le Sadhou dans toutes
ses pérégrinations. Après Lausanne, ce fut Genève, Neuchâtel,
le jura bernois, La Chaux-de-Fonds, Le Locle, puis la Suisse allemande, Zurich, Saint-Gall,
Aarau, Schaffhouse, Thoune, Berthoud, Berne, Bâle, etc., où partout il
fut accueilli avec le même empressement.
Sundar Singh parla souvent avec admiration et avec beaucoup d'affection
des missionnaires envers lesquels l'Inde a une grande dette de reconnaissance.- Ces
hommes et ces femmes sont le sel de la terre, et ma gratitude envers eux est profonde.
J'en ai vu quelques-uns venus de Suisse travailler aux Indes. Ils y font une belle
oeuvre. D'aucuns ont donné leur vie pour amener les païens à Christ
; d'autres ont donné leur fils ou leur fille. Personne dans ce monde ne pourra
leur rendre ce qu'ils ont fait pour nous : Dieu seul peut les récompenser.
Il y a peut-être parmi vous des égoïstes
qui ne pensent qu'à leur propre salut, et ne s'inquiètent pas de celui
des autres. Il est vrai que vous ne pouvez tous partir comme missionnaires, mais,
tous, vous pouvez prier pour eux et donner de votre argent. Le monde est une grande
famille ; nous devons nous aider les uns les autres. Si vous aimez Jésus, votre
devoir est de soutenir ses serviteurs dans leur travail. Ce n'est qu'à cette
condition que nous méritons d'être appelés disciples de Celui qui
a donné sa vie pour le salut du monde.
L'impression que le Sadhou fit en Suisse fut très
profonde, et ceux qui eurent le privilège de l'entendre n'oublieront pas son
message. C'était une chose unique d'écouter ce prophète du pays des
Védas proclamer avec puissance que Christ est le chemin, la vérité,
la vie ; de l'entendre reconnaître ouvertement que les récits sacrés
de son pays ne peuvent donner la paix, que la Bible seule est la Parole de Dieu,
et que c'est par la prière que nous maintenons notre contact avec le ciel. Rien
d'étonnant à ce qu'il fût écouté par des foules recrutées
dans toutes les classes de la Société.
Un pasteur écrivait : « Il m'a fait une profonde
impression, à vrai dire la plus forte impression que j'aie reçue de ma
vie. » Et combien d'autres peuvent dire la même chose
Des théologiens, retenus à l'avance par une
certaine réserve envers lui, étaient gagnés à la première
rencontre. Des hommes indifférents ou hostiles au christianisme, furent changés
par le pouvoir de sa personnalité. En Angleterre, un professeur agnostique lui
dit : « Ce n'est pas votre prédication qui m'a converti, c'est vous-même.
Vous, un Hindou, êtes si semblable au Christ dans votre attitude et dans votre
esprit, que vous êtes un témoin vivant de la personne du Sauveur.
Des milliers de coeurs, en Europe, allaient
encore être touches par sa prédication. Partout il laissa une impression
indélébile, un stimulant pour une vie chrétienne renouvelée.
De la Suisse, le Sadhou se rendit en Allemagne, puis
il visita la Suède, où il fut l'hôte de l'évêque Soederblom,
la Norvège, le Danemark, la Hollande, parlant dans toutes les grandes villes.
Dans quelques localités, d'immenses auditoires lui rappelèrent les rassemblements
de l'Église syrienne aux Indes. Il refusa de pressantes invitations venues de
Finlande, de Russie, de Grèce, de Roumanie, de Serbie, d'Italie, du Portugal,
d'Amérique, de Nouvelle-Zélande et d'autres pays encore.
En juillet, il débarqua en Angleterre,
mais il refusa de parler, si ce n'est à la Convention de Keswick, pour tenir
une promesse faite dès longtemps. Il était fatigué à l'extrême
de cet incessant labeur, et de cette vie si différente de celle qu'il menait
aux Indes. Ayant un grand besoin de repos et de tranquillité, il resta quelque
temps chez des amis dans l'île de Wight. Là il lui fut possible de refaire
ses forces avant de s'embarquer, en août 1922, pour rentrer dans son pays afin
d'y reprendre son travail au nord de l'Inde.
Le succès extraordinaire que le Sadhou
remporta en Europe, les éloges de la presse, l'adulation des foules qui le considéraient
comme un saint, auraient pu éveiller chez lui quelque satisfaction personnelle.
Mais il domina cette tentation et sa profonde humilité resta intacte.- Ce n'est
pas pour prêcher que je suis venu en Europe, vous avez assez de prédicateurs,
je ne veux être qu'un témoin de la puissance et de l'amour de mon Sauveur.
Un ami lui demanda s'il n'était pas fier d'être
célèbre et de recevoir de si grands honneurs. Il répondit par l'image
suivante :- Quand Jésus entra dans Jérusalem, le peuple jeta ses vêtements
sur son chemin et coupa des branches devant lui pour l'honorer. Mais Jésus était
monté sur un âne, et ses pieds ne touchèrent pas la route décorée
en son honneur. Ce fut l'âne qui marcha sur les vêtements et les branches,
mais il aurait bien été insensé de s'en enorgueillir. Ce serait aussi
insensé à ceux qui apportent le Christ aux hommes de retenir pour eux l'honneur
qui n'appartient qu'à Dieu.
En Europe, le Sadhou n'a pas cherché
à plaire à ses auditeurs.
- Lorsque je pense à tant de chrétiens de nom,
disait-il, je me sens triste. Ils savent beaucoup de choses sur Jésus-Christ,
mais ne le connaissent pas, lui. Plusieurs ne le connaissent que par la théologie
ou du point de vue historique, mais n'ont point de temps à passer avec lui.
Le Sadhou n'a pas hésité à laisser voir
son désappointement en face de la déchristianisation de l'Europe, et à
parler sévèrement de l'amour de l'argent, de la recherche du plaisir, du
confort, du luxe, et de l'indifférence religieuse de la plupart des gens. En
Suisse romande, il dit entre autres :- Ce que je vais vous dire ne vous plaira pas,
mais je dois obéir à ma conscience et vous donner le message que j'ai reçu
:
- Ayant vu l'amour de Dieu dans le coeur de ceux qui nous
ont apporté l'Évangile, je pensais que les habitants de vos contrées
étaient tous des gens admirables ; mais en voyageant parmi vous, j'ai trouvé
les choses bien différentes. J'ai rencontré, il est vrai, de sincères
serviteurs du Christ, les plus nobles chrétiens se trouvent en Europe et en
Amérique comme aux Indes, et je désire m'asseoir à leurs pieds ; mais
un grand nombre n'est chrétien que de nom. je me mis à comparer les habitants
des pays païens à ceux des pays dits chrétiens. Les uns sont païens
parce qu'ils adorent des idoles faites de main d'homme, les autres ont une pire idolâtrie
: ils s'adorent eux-mêmes. J'ai réalisé qu'aucune contrée européenne
ne peut en vérité être appelée chrétienne, mais qu'il n'y
a que des chrétiens individuels.
-Aux Indes on me dit souvent : Vous appelez les pays d'Europe
chrétiens ! pourtant Christ a dit: « Aimez-vous les uns les autres »
et là-bas il se font la guerre ! Le christianisme a donc fait faillite en Europe
?- je réponds : Ce n'est pas lui qui a fait faillite, mais beaucoup de chrétiens,
parce qu'ils n'ont pas compris le christianisme. Christ n'est pas à blâmer,
seuls le sont ceux qui se disent ses disciples et ne veulent pas le suivre comme
leur Maître.
- Les gens nous appellent païens, dit-il à l'archevêque
d'Upsal. Quoi ma mère, une païenne ? Si elle était en vie, elle serait
certainement chrétienne ; mais même lorsqu'elle avait la foi de ses ancêtres,
elle était si religieuse que le terme de païenne me fait sourire. Elle
priait, servait, aimait Dieu bien plus profondément qu'un grand nombre de chrétiens.
Autant que je puis m'en rendre compte, il y a bien plus de gens aux Indes qu'en Europe
qui mènent une vie religieuse bien qu'ils ne connaissent pas Jésus-Christ.
Ils vivent selon les lumières que Dieu leur a données. Ici, en Europe,
vous avez le Soleil de justice ; mais où sont ceux qui se soucient de lui ?
Les chrétiens ont reçu un don sans prix : Jésus-Christ. Et cependant
beaucoup d'entre eux ne veulent pas renoncer à leur vie mondaine pour le trouver.
Leurs coeurs et leurs mains sont pleins des choses de la terre.
-Vous songez à satisfaire tous les désirs de
vos coeurs. Vous avez découvert la science et la philosophie ; vous avez appris
à vous servir de l'électricité et à voler dans les airs. Les
Hindous, eux, qui n'ont pas reçu le trésor de l'Évangile, cherchent
anxieusement la vérité, souvent pendant des années et dans de grandes
souffrances. Ils sont prêts à abandonner le monde et à renoncer à
eux-mêmes pour trouver la paix. Vous chrétiens, vous êtes fatigués
de chercher Dieu au bout de dix minutes !
L'amère déception qu'éprouva
ce messager de l'amour divin fit de lui un prophète annonçant les jugements
de Dieu :
- Les peuples de l'Occident, dit-il, qui ont reçu
tant de bénédictions du christianisme, les ont perdues parce qu'ils ont
mis leur confiance dans les choses matérielles et dans tout ce que le monde
peut donner. C'est pourquoi au jour du jugement, les païens qui n'ont pas entendu
parler du Christ, seront traités moins rigoureusement que les habitants de ces
contrées qui ont ouï son message et l'ont rejeté. Le temps est proche
où Christ va revenir et où il dira : « Je ne vous connais pas parce
que vous ne m'avez pas connu. » Lorsque vous le verrez dans sa gloire, vous
vous lamenterez de n'avoir pas cru en lui, et de vous être laissés détourner
par des non-croyants, des intellectuels incrédules qui niaient sa divinité.
Alors ce sera trop tard pour vous repentir ; c'est maintenant que l'occasion vous
en est offerte. Peut-être en ce jour, l'entendrez-vous dire : « Un homme
est venu à vous d'une contrée païenne, il me rendait témoignage
ayant fait l'expérience de ma puissance, et cependant vous n'avez pas voulu
venir à moi. »
Le Sadhou voyait que dans une large mesure
les Européens avaient rejeté le message du Christ, enchaînés
qu'ils sont par un travail incessant à la poursuite des biens terrestres, qui
ne leur laisse ni le temps, ni le désir de s'approcher de Dieu et de trouver
la vie véritable.
Le Sadhou quitta l'Europe avec la ferme résolution
de n'y pas revenir.- C'est la première et la dernière fois que vous m'entendez-
dit-il à maintes reprises a ses auditeurs.
Désormais il va se tourner vers son
peuple et reprendre ses périlleux voyages au Tibet, heureux de donner sa vie-
de mourir peut-être- pour annoncer l'amour insondable de Celui qui est venu
chercher et sauver ceux qui sont perdus.
RETOUR AUX INDES
ENSEIGNEMENT DU SADHOU
Il leur parla en paraboles sur beaucoup de
choses.
Matth. 13. 3.
Quel a été le motif qui poussa
le Sadhou à quitter son oeuvre aux Indes pour venir en Europe ?
Tout d'abord un acte de simple obéissance.-
J'ai dû obéir, Dieu m'a conduit contre ma volonté. je ne suis jamais
à l'aise dans les grandes villes, ni aux Indes, ni ailleurs. - Sundar voulait
voir lui-même si l'accusation de certains Hindous était justifiée
: l'Europe était-elle encore chrétienne ? N'avait-elle pas perdu la sève
de l'Évangile et son influence dans le monde ?
En réponse à une question qui lui
fut posée à Genève a ce sujet, il répondit Mon premier but en
venant ici a été de rendre témoignage à Jésus-Christ et
à sa puissance. Puis, je désirais remercier les vrais chrétiens de
ce qu'ils ont fait pour mon pays ; les Hindous ne sont pas des ingrats. Enfin je
voulais pouvoir réfuter nos étudiants venus s'instruire en Europe et qui,
n'ayant pas rencontré de vrais chrétiens, combattent le christianisme à
leur retour aux Indes et décrient le travail des missionnaires.
- Dire que le christianisme est un échec
en Europe et en Amérique est une grave erreur et n'est pas basé sur l'expérience.
Pourtant, dans mes voyages en Occident, j'ai trouvé les gens si occupés
par leur travail, leurs affaires, leur bureau, leur commerce, qu'ils n'ont plus de
temps pour prier et recevoir les bénédictions de l'Évangile. Quelques-uns
m'ont confessé que leur vie est devenue si compliquée et si remplie, qu'ils
en sont fatigués. Si un homme s'affaiblit parce qu'il n'a pas pris de nourriture
ou d'eau, pouvons-nous dire que la faute est imputable aux aliments ? Certes pas.
La négligence de cet homme seule est la cause de sa faiblesse.
Mais les Européens qui, de, tout leur
coeur, ont accepté le christianisme et en ont reçu les bénédictions,
ont réveillé le monde de son sommeil de mort et travaillé à son
salut.
Il est intéressant de noter l'impression
de deux Hindous non chrétiens connaissant l'Occident : Rabindranath Tagore et
Gandhi. Le premier déclare : « Vous ne pouvez prêcher le christianisme
avant d'être devenu semblable au Christ. Quand vous le serez, vous ne prêcherez
plus le christianisme, mais l'amour du Dieu qu'il révèle. »- Gandhi
répondit, à Lausanne, à ceux qui lui demandaient ce qu'il fallait
faire pour que le christianisme devienne une force aux Indes : « Il faut que
vous, missionnaires, viviez comme Christ a vécu. Le christianisme est bon, mais
beaucoup de chrétiens sont mauvais. »
Le Sadhou, parlant de ces deux hommes
qu'il connaissait personnellement, dit : - Tagore et Gandhi seraient probablement
devenus chrétiens s'ils n'avaient visité l'Europe. Aux Indes nous ne manquons
ni de religion, ni d'enseignement théologique ou philosophique, mais nous avons
besoin de Christ. Nous voulons des hommes qui non seulement prêchent, mais manifestent
Christ dans leur vie et leur conduite. L'Inde ne sait que faire de missionnaires
qui ne voient dans le Christ qu'un grand Maître et ne croient pas à sa
divinité. Ceux-là, gardez-les chez vous et ne vous laissez pas égarer
par le modernisme et la critique biblique.
Si le Sadhou n'est pas ennemi de la connaissance,
il s'élève avec énergie contre ceux qui veulent lui donner la première
place et contre l'erreur de l'intellectualisme religieux. Il n'est pas le premier
à découvrir que « ces choses sont cachées aux sages et aux intelligents
et révélées aux enfants ». Le coeur est au-dessus de la raison.
- je ne condamne pas la science théologique, ni tous
les théologiens dont plusieurs sont des saints. je ne suis pas opposé aux
études, mais celles-ci sans la vie obscurcissent la vision spirituelle. Une
théologie sans prière est une fontaine sans eau. J'ai appris bien des choses
utiles dans mes études, mais l'enseignement de l'Esprit Je l'ai reçu aux
pieds du Maître.
De retour aux Indes, Sundar se rendit
à Sabathou. Son père insista pour lui faire construire une maison, ce qui
modifia sa vie de Sadhou en ce qu'il avait désormais « un lieu où
reposer sa tête ». Il acheta une vieille maison de la Mission, donnant
d'un côté sur un quartier commerçant, sale et bruyant, de l'autre
sur les collines d'alentour avec une vue magnifique au loin. Cette demeure était
comme le symbole de la vie de Sundar, en contact à la fois avec le monde des
affaires, souvent sordide, et avec la solitude de la nature, calme et inspiratrice.
La maison était occupée par un
docteur de ses amis, travaillant dans l'asile des lépreux de Sabathou. Le Sadhou
jouissait là de la vie de famille. Un des traits de son caractère était
son amour pour les enfants, et il aimait à jouer avec ceux du docteur. Il pensait
à l'accueil que Jésus faisait aux plus petits d'entre eux, les donnant
en exemple : « Si vous ne devenez comme de petits enfants, vous n'entrerez pas
dans le royaume des cieux.- Quiconque sera humble comme un petit enfant, sera le
plus grand dans le royaume des cieux. »
La chambre de Sundar, très sobre, contenait
une petite bibliothèque avec des livres de mystiques, de psychologues et de
savants, et des photographies de ses amis.
S. F. Andrews, ami personnel du Sadhou,
donne des détails sur cette période de sa vie. Ce fut pendant les mois
tranquilles que Sundar passait à Sabathou, qu'il écrivit plusieurs de ses
livres.
Depuis que l'anglais lui était devenu
familier, il lisait davantage. Un gros volume de science moderne, souligné avec
soin, témoignait de l'intérêt qu'il avait pris à sa lecture.
Ce fut une révélation pour ses
amis de découvrir, en feuilletant les pages si minutieusement annotées,
un des côtés encore inconnu de l'âme du Sadhou. Il gardait toujours
une attitude de l'esprit humble et enfantine, mais sa puissance intellectuelle s'était
réveillée et mûrie. Il s'était efforcé de pénétrer
dans cet autre domaine de la pensée humaine, si différent du sien. Il avait
une grande admiration pour l'intelligence des hommes et ne combattait pas la valeur
de leur jugement et de leurs découvertes, mais croyait fermement aux lois ignorées
du domaine spirituel.
Il resta toujours fidèle au principe
fondamental qui dictait ses actions : son entière dépendance de Christ,
le commencement et la fin de toute science : « Le mystère de Dieu dans
lequel sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science. »
La Bible était pour lui la Parole même
de Dieu.- Elle est mon guide, ma lumière, la nourriture de mon âme. L'expérience
a prouvé qu'il n'y a pas un autre livre dans le monde qui puisse répondre
aux besoins spirituels des hommes. La difficulté du langage, des traductions,
la critique des textes n'ont pu me voiler les vérités qu'elle renferme,
ni atténuer son influence sur mon coeur, parce que son but unique est de nous
faire connaître le Christ.
- En ouvrant la Bible j'ai trouvé des richesses insondables
et éternelles, et en les partageant avec d'autres, elles n'ont fait que s'accroître
pour moi et pour eux. Sans ce livre je n'aurais jamais connu l'amour infini de Dieu,
révélé à la Croix. La puissance d'attraction de la Bible n'est
sensible qu'à ceux qui l'étudient sincèrement et avec prière.
Trop de gens lisent des ouvrages sur la Bible au lieu de la lire elle-même.
Sundar avait toujours avec lui son Nouveau
Testament en ourdou. Pendant des années ce fut le seul livre qu'il lût.
Il parlait constamment de la joie intense qu'il y trouvait et savait par coeur les
Évangiles. L'histoire de Jésus était un exemple vivant devant lui.
Il cherchait à obéir littéralement
aux instructions données aux disciples. Quand Christ dit : « Les renards
ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids, mais le Fils de l'homme
n'a pas où reposer sa tête », Sundar trouvait dans ces paroles la
confirmation de sa vie de Sadhou. A l'ordre : « Ne prenez ni bourse, ni bâton,
ni deux tuniques », il obéissait à la lettre, voyageant dans le monde
entier sans aucun argent avec lui. Nous voyons dans sa vie la Bible non seulement
prêchée, mais vécue avec toutes ses austérités, ses richesses
et ses miracles. Ce qui peut nous paraître un idéal inaccessible se trouve
réalisé d'une façon peu commune par cet humble disciple du Sauveur.
La nature aussi était pour lui un
livre ouvert, écrit dans un langage spirituel par le Saint-Esprit. Les éléments,
l'eau, le feu, les nuages, la mer, les rivières, les montagnes, les arbres,
les plantes, les animaux, comme aussi les scènes variées de la vie humaine
sont autant de paraboles, d'illustrations, d'images qui animent sa prédication.
Dans sa vie fatigante, il trouvait un grand repos à contempler la nature et
à y découvrir partout de nouveaux enseignements. C'est là qu'il lit
« en lettres majuscules », selon son expression, les oeuvres du Créateur.
« Les cieux racontent la gloire de Dieu et l'étendue manifeste l'oeuvre
de ses mains. »
Sundar avait une foi enfantine dans la protection
divine, et croyait qu'une puissance angélique l'entourait à l'heure du
danger. Il fut l'objet de grandes délivrances, et en fit souvent le récit
dans ses discours publics afin de fortifier la foi des chrétiens en la toute-puissance
de Dieu.
- Beaucoup de gens déclarent que les
miracles ne sont que des fables, dit-il, et refusent d'y croire parce que, n'ayant
point fait d'expériences, ils ne comprennent pas. Ainsi dans le sud de l'Inde
il ne fait jamais froid. Parlant aux habitants de cette contrée, je leur racontai
que j'avais vu un « pont d'eau sur de l'eau ». C'est impossible ! disaient-ils.
je leur expliquai que la surface liquide étant gelée on pouvait y marcher
en toute sécurité, et qu'il n'y avait là rien de contraire aux lois
de la nature. Les habitants des pays froids n'en sont pas surpris, mais comment ceux
qui n'ont point quitté les régions chaudes saisiraient-ils ? Tels qui vivent
dans le monde ressemblent à. des hommes qui ne sont jamais montés sur les
hauteurs d'où ces ponts extraordinaires peuvent être vus ; seuls ceux qui
mènent une vie de prière peuvent comprendre. Et lorsqu'on m'interroge au
sujet des miracles, je réponds que J'en ai fait l'expérience. je sais que
Christ est une force.
- Mais ce n'est pas en allant au théâtre
que vous verrez des miracles ! Si vraiment vous désirez connaître les merveilles
de la puissance de Dieu dans vos vies, consacrez du temps à la prière.
Christ n'accomplit rien dans le but de satisfaire la curiosité, mais il veut
satisfaire l'âme qui chaque jour s'approche de lui et fait sa volonté.
Tous les miracles extérieurs, même
les délivrances les plus inexplicables sont d'un ordre inférieur comparés
à la rédemption d'une âme qui, par la nouvelle naissance, est passée
de la mort à la vie. Qu'un pauvre humain pécheur, impur, misérable,
sans repos, puisse recevoir le pardon, la délivrance et la paix, dépasse
toute compréhension. C'est là le miracle central du christianisme. Si un
homme a vécu cela, il ne s'étonne plus : il sait que tout est possible
à Dieu.
Parlant de sa délivrance du puits de
Razar, Sundar dit :- Peut-être était-ce un ange ? ou Jésus lui-même
qui m'a libéré, mais le plus grand miracle fut cependant la paix qui remplit
mon coeur pendant les trois jours passés dans cet horrible charnier. Elle fit
de ma prison le ciel sur la terre. Souvent la présence de Christ était
radieuse comme le soleil à son midi, et ce sentiment s'est élevé parfois
jusqu'à une triomphante allégresse. Aucun doute ne pouvait traverser mon
esprit.
C'est une paix cachée qu'il m'est
impossible de décrire. je ne trouve pas de mots pour l'exprimer. C'est «
la paix qui surpasse toute connaissance », dont parle saint Paul.
En l'évoquant, la figure irradiée
du Sadhou était une prédication vivante, et l'on devinait quel trésor
il avait trouvé en Christ.
Au contact du péché et de la souffrance, son âme était
douloureusement émue, mais au fond de son être la paix demeurait immuable.
- Mon âme est comme la mer, il peut y avoir vagues
et tempêtes à la surface ; dans les profondeurs règne un calme inaltérable.
Notre coeur a été créé pour recevoir cette paix,
c'est pourquoi il ne peut être en repos avant de l'avoir trouvée.
- Si tout le monde ne peut aller au Tibet, être attaché
à un arbre ou jeté dans un puits, chacun peut goûter le repos que
j'ai trouvé en Christ. Mais il ne dépend ni des choses terrestres, ni de
la puissance ou de la richesse, sinon tous les hommes riches seraient heureux et
satisfaits.
Peu de chrétiens ont fait une expérience
aussi profonde et en ont témoigné avec autant de certitude, que cet apôtre
venu d'un pays dans lequel la recherche de la paix de l'âme a été
depuis des siècles le but suprême de la religion. Ceux qui ont vu ces longs
cortèges de pèlerins se rendant à quelque lieu sacré, ne peuvent
oublier l'intensité de leur désir de trouver Dieu.
Le Sadhou ne faisait pas de compromis
; le sel en lui n'avait pas perdu sa saveur. Dans son enseignement il insista fréquemment
sur la nécessité de la repentance et sur la certitude du jugement après
la mort.
- Il en est beaucoup qui se rassurent en pensant : «
Dieu est amour ; il nous sauvera et nous rachètera au dernier moment ! »
Ceux qui parlent ainsi seront déçus. Écoutez ce que dit le Sauveur
: « Si quelqu'un entend mes paroles et ne les garde point, ce n'est pas moi
qui le juge, car je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour le sauver. Celui
qui me rejette et qui ne reçoit pas mes paroles a déjà son juge. La
parole que j'ai annoncée, c'est elle qui le jugera au dernier jour. »
- Une fois, je soulevai une grosse pierre, recouvrant
d'innombrables insectes. Dès qu'ils aperçurent la lumière, terrifiés,
ils coururent en tous sens, en proie à une vive agitation. La pierre remise
en place, les insectes reprirent leur tranquillité. Lorsque se lèvera pour
nous le Soleil de justice, ceux qui vivent dans les ténèbres du péché
regarderont, dévoilées, les fautes qu'ils ont commises en secret : «
Car il n'y a rien de caché qui ne doive être découvert, ni de secret
qui ne doive être connu. »
- Nous savons quelle est la puissance du péché
et la force de Satan, mais notre Sauveur est plus fort que lui. Un jour, assis sur
un rocher, Je vis au-dessous de moi un oiseau volant lentement. Observant ses mouvements,
j'aperçus un gros serpent qui le regardait.
Le pauvre oiselet attiré dans la gueule
de la mort, était sans force pour résister. J'essayai de lui sauver la
vie en jetant des pierres, mais inutilement, et j'assistai à cette scène
tragique : au moment où l'oiseau s'approchait de la bouche du reptile, il fut
englouti d'un coup. C'est ainsi que Satan, le « serpent ancien », attire
à lui jeunes et vieux. Nul n'a en lui-même le pouvoir de résister
au mal, et nous allons au-devant de la mort. Mais, regardons à Jésus-Christ
qui peut nous attirer à lui et nous délivrer de Satan.
- « Tu n'es pas loin du royaume de Dieu », disait
Jésus à un scribe. Il dut être ravi de s'entendre adresser cette parole
devant tous. Pourtant il aurait dû être attristé de savoir qu'il ne
possédait pas le royaume de Dieu. Cela ne sert pas à grand-chose d'en être
près, il faut y être entré. Pensez aux vierges folles, devant la salle
des noces, mais n'y pouvant pénétrer...
Être presque sauvé, c'est être
perdu.
- Dans une épaisse jungle de l'État du Bouthan,
l'on chasse le tigre. Les chasseurs ont sur eux la clef d'un refuge construit pour
servir d'abri en cas de danger. Un jour l'un d'eux prit son fusil et sortit. Apercevant
un tigre, il le visa, tira et le manqua ; l'animal se mit aussitôt à le
poursuivre. L'homme croyant pouvoir atteindre la cahute, se sauva en jetant son fusil.
Sur le seuil il chercha la clef : il l'avait oubliée ; alors le tigre bondit
et le tua ; entre le refuge et le chasseur il n'y avait que l'épaisseur de la
porte ; et cependant l'homme perdit la vie par son insouciance. Il serait mort s'il
avait été à dix lieues de la cabane ; il n'en mourut pas moins tout
près.
N'étant pas loin du royaume de Dieu,
beaucoup en négligent la clef, qui est la repentance et la prière persévérante.
- Il y a un danger de perdre les dons et les grâces
que nous avons reçus. Si ce n'était pas, le Seigneur ne nous aurait point
adressé cet avertissement : « je viens bientôt, tiens ferme ce que
tu as, afin que personne ne prenne ta couronne. » C'est pourquoi: « Veillez
et priez ». Dieu est amour. Il nous donne l'occasion de nous repentir. Si nous
la dédaignons, nous n'en aurons pas d'autre après la mort. Christ ne serait
pas descendu sur la terre si une chance nous était offerte d'être sauvés
plus tard. Il serait resté au ciel.
Le Sadhou insiste maintes et maintes fois
sur l'impossibilité qu'il y a à se sauver soi-même. Aucun effort personnel,
aucune bonne oeuvre ne peut nous obtenir la grâce du pardon. La justification
et la paix de l'âme sont des dons immérités de la miséricorde
de Dieu qu'il nous faut tout simplement recevoir par la prière dans l'humilité,
la repentance et la foi.
- Mais le pardon des péchés n'est pas le
salut complet. Il ne suffit pas de couper les rejetons d'un arbre pour le détruire,
il faut en arracher les racines, et tout le terrain à l'entour doit être
renouvelé. La rédemption implique la transformation de l'être tout
entier ; c'est une nouvelle naissance totale. Il peut arriver que même après
avoir obtenu le pardon, nous mourrions dans notre péché. La chose essentielle
qui importe plus que tout, c'est d'être affranchi de la domination du péché.
Jésus-Christ n'est pas venu seulement pour nous pardonner, mais pour nous délivrer.
- Une jeune fille enlevait chaque jour les toiles d'araignée
dans sa chambre. « Ma fille, lui fut-il dit, à quoi cela sert-il d'enlever
ces toiles qui reviennent constamment ! Il vaudrait mieux détruire l'insecte
qui les tisse. Si tu tues l'araignée, il n'y aura plus de toiles. » De
même il ne suffit pas que nos péchés journaliers soient sans cesse
pardonnés ; il faut faire mourir en nous le vieil homme qui les commet.
Bien des gens se trompent en croyant qu'il
suffit que leurs péchés soient remis pour qu'ils soient sauvés. Tant
que leur nature pécheresse n'a pas été transformée, ils sont
encore perdus.
En ce qui concerne la rédemption, Sundar
Singh attache une importance primordiale à la sanctification.
- Le but ultime de l'incarnation de l'amour divin est
d'amener l'humanité à la ressemblance du Fils de Dieu. «Soyez parfaits
comme votre Père céleste est parfait. » Croire en Christ, c'est revêtir
Christ, devenir « un » avec lui, vivre de sa vie. Il y a certains insectes
dont la couleur et la forme ressemblent à s'y méprendre aux feuilles des
arbres sur lesquels ils vivent et dont ils se nourrissent. Ainsi ceux qui vivent
au contact de Jésus-Christ sont transformés en son image.
- Satan sème le doute dans le coeur des enfants de
Dieu, mais par sa grâce, le juste échappe à cette emprise. Écoutez
ce récit : Avant d'être converti, un saint avait commis plusieurs crimes.
Mais ensuite, il servit sans cesse le Seigneur et mena une vie sainte. Lorsqu'il
fut sur son lit de mort, Satan lui tendit la liste de ses fautes passées et
dit Voilà tout ce que tu as fait ; tu n'es pas digne d'entrer au ciel, ta place
est en enfer.- Le saint répondit :- Mon Sauveur ne jettera point dehors celui
qui vient à lui. « Si nous confessons nos péchés, il est fidèle
et juste pour nous les pardonner et pour nous purifier de toute iniquité. »
Cependant Satan continua à le troubler. Mais le saint persévéra résolument
dans la prière. Et un doigt apparut, barrant la liste des péchés.
Le saint se réjouit et loua Dieu. Mais Satan lui dit :- Ne te réjouis point,
tu peux atteindre le ciel, mais ton péché sera toujours visible à
tous les yeux, et tu auras honte devant tous.- Le saint pria de nouveau. Alors une
goutte du sang de Christ tombant sur la page, se répandit partout effaçant
l'écriture et rendant le papier immaculé. Et le saint, rempli d'une paix
divine, put se présenter devant son Dieu.
-Tant qu'un homme est sur la terre, il ne comprend
pas la gloire de la félicité céleste, qui est son immortelle destinée.
Il est comme le poulet qui, dans sa coquille, ne peut se figurer la beauté du
monde dans lequel il entrera. S'il déclarait que rien n'existe en dehors de
son oeuf, sa mère aurait beau l'assurer qu'il y a des prairies, des montagnes,
un ciel bleu ; lui, ne voyant rien, ne peut y croire. Lorsque sa coquille cédera,
il verra que sa mère avait raison. II en est de même pour nous, qui ne
pouvons discerner ni le ciel, ni l'enfer. Mais lorsque se brisera notre enveloppe
terrestre, ce qui est invisible deviendra visible.
Cependant certaines choses nous permettent
d'entrevoir notre état futur. Comme le poussin a des yeux et des ailes dont
il ne pourra se servir qu'une fois libre, ainsi il est en nous des désirs et
des aspirations qui ne seront jamais satisfaits ici-bas. Il doit donc y avoir une
vie future où ils se réaliseront. C'est la vie éternelle. Mais de
même que l'oiseau doit être tenu au chaud aussi longtemps qu'il est dans
sa coquille, tant que nous sommes dans le monde, il faut que la présence et
le feu du Saint-Esprit nous couvent et nous réchauffent.
PARABOLES, ILLUSTRATIONS< /p>
Nous voudrions relever ici, parmi un grand
nombre, encore quelques paraboles, illustrations, enseignements ou propos, que le
Sadhou tirait de la nature et des événements de la vie journalière,
et qui sont frappés au coin de sa personnalité.
- « Il est étonnant- lui disait-on- que vous
ne soyez pas enorgueilli par les louanges et la popularité dont vous êtes
l'objet », tant il est vrai que l'adulation de l'Église constitue un danger
plus grand peut-être que l'hostilité du monde.
- je donne le message que Dieu m'a confié, répondait-il,
et louanges ou blâmes ne me touchent pas. Prenez une pièce de vingt francs.
Si quelqu'un s'exclame : « Elle est magnifique ! » cela n'en modifiera
pas le taux, elle ne vaudra pas vingt-et-un francs. Si un autre s'écrie : «
Cette pièce est affreuse ! » son prix n'en sera point diminué. Ce
que les gens disent ne peut changer la valeur de votre témoignage. Nous devons
suivre Christ les oreilles closes et les yeux fixés sur lui. Sinon, nous risquerions
d'entendre, d'un côté des paroles flatteuses qui pourraient nous infatuer
de nous-mêmes, et de l'autre, des critiques propres à nous décourager.
Le Sadhou ne prenait aucun argent avec
lui. Une fois, cependant, suivant le conseil de ses amis, il consentit à en
emporter quelque peu ; mais bientôt il y renonça.- je n'aime pas à
placer ma confiance dans ma poche, où il peut y avoir des trous, et il existe
aussi des voleurs. Mais, lorsque je me confie en Dieu, je suis en sécurité.
Un riche Américain, étonné
qu'il pût circuler sans argent, lui offrit de lui en donner. Il refusa.- je
voyage, dit-il, dans le royaume de mon Père céleste qui pourvoit lui-même
à tous mes besoins. J'ai parcouru le monde sans avoir jamais manqué de
rien.
A un ami qui lui demandait pourquoi il ne
se mariait pas, Sundar répondit :- je suis uni à Jésus-Christ, et
goûte un bonheur plus profond dans l'amour de mon Seigneur.- Se fondant sur
les paroles de saint Paul, il semblait éprouver la crainte que le mariage ne
le portât à chercher à plaire à sa femme, l'empêchant de
consacrer toutes ses énergies à Dieu. Mais il ne conseillait pas aux autres
le célibat et affirmait qu'on peut servir Dieu tout aussi fidèlement en
étant marié.
A travers la souffrance et le renoncement
à soi-même, le Sadhou a conquis cette admirable douceur et cet esprit d'humilité
qu'il manifesta toujours. Comme Moïse, il avait appris, à une dure école,
à être l'homme le plus doux de la terre. Mais il savait à l'occasion
être impérieux, lorsque la direction intérieure de sa vie lui disait
qu'une chose était juste. Il balayait alors, avec une grande décision,
toute opposition. D'autres fois, il se rangeait immédiatement à l'opinion
de ses amis.
Il espérait mourir à l'âge
même où Jésus fut crucifié. Il n'en parlait pas, sauf à
de rares amis intimes, mais une ombre de tristesse semblait l'avoir envahi, quand
il vit que le Seigneur tardait à le reprendre à lui.
Je ne suis, dit-il, ni un philosophe, ni
un théologien, mais un humble serviteur de Dieu dont la joie et les délices
sont de méditer sur son amour et sur les grandes merveilles de sa création.
Sundar Singh est pleinement convaincu de
la merveilleuse puissance de la Bible.- J'ai éprouvé qu'elle est bien la
Parole vivante de notre Sauveur.- Sundar prenait toujours avec lui, dans ses voyages
missionnaires, des exemplaires du Nouveau Testament et des portions des Évangiles,
les distribuant à ceux qu'il rencontrait, et aux ermites retirés dans les
grottes de l'Himalaya, espérant ainsi leur apporter quelque lumière.
Dans une allocution, prononcée à
la Société biblique britannique et étrangère à Londres,
le Sadhou raconta l'histoire suivante :- Au cours de l'un de mes voyages aux Indes,
j'annonçai le Sauveur à des non croyants, et terminai en leur demandant
s'ils n'aimeraient pas lire eux-mêmes le Livre parlant de Jésus-Christ
? Il se trouvait là un grand ennemi de la religion chrétienne. En sortant,
il acheta un exemplaire de l'Évangile de jean, dont il lut deux ou trois pages.
Puis, le déchirant en mille morceaux, il les lança par la fenêtre
du wagon dans lequel il se trouvait.
Deux ans plus tard j'appris ce qui suit :
Au moment même où le lecteur avait jeté l'Évangile, un homme
passait sur le quai. C'était une âme cherchant depuis sept ans la vérité,
sans l'avoir trouvée. Remarquant ces fragments de papiers il en ramassa un,
et lut ces deux mots : « Vie éternelle ». Sur un autre, « Pain
de vie ». Désirant savoir ce que cela signifiait, il montra ces paroles
à un passant. Celui-ci répondit : « C'est un livre chrétien,
ne le lisez pas, car vous seriez souillé. » Mais l'homme ne se laissant
point arrêter, s'en alla acheter un Nouveau Testament. Il le lut avec avidité,
trouva son Sauveur, et, en lui, paix et joie. C'est ainsi que ces pages, mutilées
par le premier, devinrent pour le second le véritable Pain de vie.
Un jour que je voyageais dans un pays
aride, j'étais fatigué et la soif me brûlait. je montai sur une colline,
et regardai autour de moi, cherchant de l'eau. La vue d'un lac, à une certaine
distance, me remplit de joie ; enfin, j'allais pouvoir calmer ma soif ! je marchai
longtemps sans atteindre l'eau, et je compris qu'elle était un mirage, une simple
apparence causée par la réfraction des rayons du soleil. C'est ainsi que
j'ai parcouru la terre en quête d'eau vive. Les biens de ce monde, fortune,
situation, honneurs, bien-être, m'apparaissaient comme un lac dans lequel j'apaiserais
la soif de mon âme. Mais jamais je n'ai pu trouver une goutte d'eau capable
de l'étancher. Quand mes yeux spirituels s'ouvrirent, je vis un fleuve d'eau
vive qui jaillissait du côté percé du Christ ! J'en bus, et fus désaltéré.
Depuis lors, j'ai toujours puisé à cette source et n'ai plus connu la soif
dans le désert du monde. Mon coeur est un hymne de joie.
La présence du Christ me donne une paix
qui surpasse toute intelligence, et cela, en toute occasion. Quand sévissaient
les persécutions, Il était là. Avec Lui la prison devenait le ciel,
et la croix était changée en sujet de bénédiction. Au milieu
des dangers, des tentations, des péchés et des tristesses de ce monde,
je suis sauvé par Celui qui donna sa vie pour moi.
Si nous voulons entendre ce que les autres
nous disent, il faut commencer par nous taire, et pour les comprendre, il faut leur
prêter notre attention. Il en est de même pour percevoir la voix de notre
Père céleste ; il est de toute nécessité que nous gardions le
silence devant lui et fermions nos oreilles aux voix du monde. Notre esprit et notre
coeur doivent rester fixés en lui, car il ne se révèle qu'à ceux
qui le cherchent vraiment. Marie se contentait de s'asseoir aux pieds du Seigneur
et d'écouter sa parole. Elle choisit la bonne part qui ne lui fut point ôtée.
Un pasteur tomba malade. Couché sur
son lit de souffrances, il entendit la voix de Dieu :- « Maintenant tu auras
le temps de parler avec moi. En bonne santé, tu étais si occupé à
parler aux autres, que tu n'avais pas le temps de m'écouter. »
Comme la source remplit, jusqu'à
le faire déborder, le vase placé au-dessous d'elle, ainsi l'Esprit de Dieu
remplit le coeur de celui qui s'abaisse pour le recevoir.
Après être monté dans la solitude
de la montagne de la prière, notre devoir est de retourner dans le monde des
hommes et d'y porter la puissance nouvelle que nous avons reçue, afin d'accomplir
l'oeuvre qui nous est demandée.
Saint Paul dit : « Dieu nous a fait asseoir avec Christ dans
les lieux célestes. » Il ne dit pas, après la mort seulement, mais
déjà dans cette vie terrestre.- J'étais un jour sur une haute montagne,
lorsqu'un terrible orage éclata. Mais je ne courais aucun danger, car l'orage
se déchaînait au-dessous de moi. J'étais à l'abri dans la calme
clarté du sommet, tandis que les éclairs sillonnaient les nues. Il en est
ainsi pour l'enfant de Dieu. Tant qu'il est avec Christ « dans les lieux célestes
», Satan ne peut rien contre lui. Ce n'est que lorsqu'il quitte les hauteurs
de cette communion, que la tentation et le péché peuvent avoir prise sur
lui.
Rien ne peut ébranler ma foi. Quand
un homme a soif et qu'on lui offre de l'eau, il boit et il est satisfait. Qu'on vienne
lui dire :- Ce n'était pas de l'eau. Il répondra : Insensé ! je suis
sûr que c'en était, car, assoiffé, j'ai bu et je suis désaltéré.
Ainsi je sais que Jésus est vivant et qu'il donne la vie.
Bien des gens prétendent être chrétiens
et n'ont pas la paix : ils ne connaissent pas Jésus-Christ. Ils savent son histoire,
mais il ne vit pas en eux. Ils ignorent que Christ seul peut répondre aux désirs
de leur coeur. Ils ont cherché le bonheur ailleurs et ne l'ayant pas trouvé,
beaucoup sont tombés dans la désespérance, voulant parfois se donner
la mort pour mettre fin à leur angoisse.
Les vrais chrétiens ne sont jamais
réduits au désespoir, parce que, dans l'acte même de leur renoncement
au monde, ils obtiennent la paix dans la communion avec Dieu.
L'homme ne trouve qu'en Dieu la satisfaction
de ses aspirations les plus profondes, mais il a également besoin de l'amitié
et de la sympathie de ses semblables. Si ce souhait n'est pas exaucé, Christ,
lui, peut y répondre et rassasier l'âme affamée. Ayant souffert comme
l'un de nous, il peut comprendre toutes les peines et secourir les fils des hommes
dans toutes leurs afflictions.
La douleur, les tentations, la souffrance,
sont des étapes nécessaires au développement de notre vie spirituelle
et concourent à notre bien futur. Nous devons accepter joyeusement tout ce qui
nous arrive, et ne jamais permettre que le moindre doute s'élève dans nos
coeurs, sinon nous mettons une barrière entre Dieu et nous. L'écharde dans
la chair, dont parle saint Paul, a été permise pour l'accomplissement de
quelque plan grand et sage. Il est absolument nécessaire que nous passions par
des temps d'épreuves, pour parvenir au but éternel, pour lequel nous avons
été créés.
Comme les diamants et les pierres précieuses
mettent des milliers d'années à se former, devant être comprimés
et pressurés dans les laboratoires de la nature avant d'atteindre leur perfection
de beauté, ainsi il nous faut passer par la douleur et la souffrance pour être
rendus parfaits.
Il nous est impossible d'atteindre en un
seul jour un état de perfection qui ne laisserait subsister aucun défaut
en nous. Ce n'est qu'en vivant continuellement en la présence de notre Père
céleste, et aussi près de lui que possible, que nous deviendrons parfaits
comme il l'est lui-même.
Un jour, je m'assis sous le porche d'une
maison. Un vent violent s'était mis à souffler, un petit oiseau s'abattit,
chassé par la rafale. Un faucon, venu de la direction opposée, fondit sur
lui pour en faire sa proie. Menacé de deux côtés à la fois, l'oiseau
tomba sur mes genoux. En général il n'aime pas à s'approcher de l'homme
; mais, au jour de l'adversité, il chercha refuge auprès de moi. C'est
ainsi que le vent violent de la souffrance nous pousse dans le sein de Dieu.
Une fois, au cours de l'un de mes voyages,
je vis un berger faisant passer son bétail de l'autre côté d'une rivière.
Tout le troupeau traversa, à l'exception d'une vache et d'un veau, qui paraissaient
ne pas vouloir franchir l'eau. Craignant qu'en les abandonnant, les bêtes sauvages
ne les dévorent, le pâtre se mit à les battre pour les faire obéir,
mais sans succès. Puis il essaya de les attirer en leur présentant un peu
de foin : ce fut tout aussi inutile. je lui suggérai alors de porter le veau
sur l'autre rive. Ce qu'il fit... et la vache les accompagna.- Il en est de même
lorsque nous ne voulons pas suivre notre Maître : il nous enlève ceux que
nous aimons et les prend auprès de lui. Nous sommes ainsi amenés à
désirer les régions célestes, où nos bien-aimés s'en sont
allés, et à nous préparer pour pouvoir les y rejoindre.
On demanda un jour au Sadhou comment il
comprenait le salut par le sang de Christ. Le récit suivant fut sa réponse
:- Une fois que je prêchais l'Évangile, je dis à mes auditeurs : Christ
est mort pour sauver les pécheurs.- « Comment cela se peut-il ? »
demanda l'un d'eux. Un jeune homme, qui se trouvait là, prit la parole : «
C'est parfaitement vrai, c'est par la mort de mon père que j'ai été
sauvé. Un jour je tombai dans la montagne, et, me blessant, je perdis beaucoup
de sang. Quand mon père apprit l'accident, il vint et me transporta à l'hôpital.-
Il va mourir, dit le docteur, je suis impuissant. je ne pourrais le guérir que
si quelqu'un veut bien offrir son sang.- Me voici prêt à donner ma vie,
dit le père.- Ainsi fut fait. je vécus et mon père mourut, et par
sa mort, je fus sauvé. »
- Il en est de même pour moi, dit le Sadhou. J'étais
tombé dans la montagne de la sainteté, j'avais perdu mon sang spirituel,
j'étais sur le point de mourir. Le Sauveur me transfusa son sang ; il sacrifia
sa vie et je fus épargné. Ceux qui sont prêts à donner leur coeur
comprendront combien il est vrai que c'est par la mort de Jésus-Christ qu'ils
peuvent être libérés. J'ai éprouvé cette vérité
: si vous voulez sauver une vie, il faut donner la votre.
Malgré une loi frappant les joueurs
d'une amende de 500 roupies, deux jeunes hommes jouaient aux dés. Ils furent
arrêtés et incarcérés. L'un était le fils d'un homme riche
qui acquitta la somme. L'autre, fils d'un pauvre paysan, fut gardé en prison.
Afin de l'en faire sortir, sa mère travailla sans relâche, portant de lourdes
pierres qui la blessèrent aux mains et firent couler son sang. A travers les
barreaux de sa prison, le jeune homme vit ces mains meurtries.- « Mère,
qu'est-ce que ces blessures et ce sang sur vos doigts ?- Mon fils, c'est en travaillant
pour te sauver que j'ai souffert ainsi. »
À force de peine, la pauvre femme gagna
les 500 roupies et libéra son fils. Peu après, le camarade fortuné
le rencontrant, l'invita de nouveau à jouer.- « Non, dit le jeune homme
pauvre, vous, vous avez été délivré aisément ; mais moi,
je le fus par le dur travail, les blessures et le sang de ma mère ; comment
pourrais-je, à l'avenir, me livrer à ce jeu qui lui valut tant de souffrances
?
Ceux qui réalisent le prix que Christ
a payé, en versant son sang pour les sauver, ne peuvent plus vivre dans le péché
qui a causé tant de douleurs à leur Sauveur.
Au Cachemire, un homme possédait plusieurs
centaines de moutons. Les serviteurs avaient coutume de les mener paître, et
chaque soir, au retour, il en manquait deux ou trois. Le maître pria ses gens
de les retrouver ; mais, par crainte des bêtes sauvages, ils ne s'en donnèrent
pas la peine. Le propriétaire, qui aimait ses moutons, désirait les sauver.
« Si je vais moi-même, dit-il, ils ne me reconnaîtront pas, puisqu'ils
ne m'ont jamais vu. Ils reconnaîtraient mes serviteurs, mais ils refusent d'aller...
Il faudra donc que je devienne semblable à un mouton ! » Il prit une toison,
la mit sur son dos et partit à la recherche des animaux égarés ou
blessés. Ceux-ci, le prenant pour un des leurs, le suivirent. Il les ramena
et les nourrit. Lorsque tous furent saufs, il se défit de sa toison : il n'était
plus un mouton, mais un homme.- Ainsi Dieu, Jésus-Christ, n'est point homme,
mais s'est fait semblable aux hommes, dans le but de les sauver.
L'homme est un être libre qui, par un
mauvais usage de sa liberté, peut porter atteinte à lui-même et aux
autres.
Nous ne faisons aucun tort à Dieu
en pêchant, mais à nous-mêmes et a ceux qui nous sont apparentés.
Car il n'est pas possible de commettre le mal sans que d'autres en souffrent. La
repentance doit nous amener à nous abstenir d'actes nuisibles, et nous conduire
à faire comme Zachée : réparer le mal que nous pouvons avoir commis.
Comme il y a du feu dans une pierre à
feu, ainsi il y a dans le coeur de l'homme, une soif intense de communion avec Dieu.
Ce désir peut rester caché sous l'enveloppe dure de la pierre du péché
et de l'ignorance. Mais au contact d'un homme de Dieu ou de l'esprit de Dieu, ce
désir s'enflamme, comme le fait la pierre à feu lorsqu'elle est frappée
par l'acier.
Si mauvais que soit un homme et si corrompue
que soit sa vie, il y a en lui un élément qui ne trouve aucun attrait au
péché. Sa conscience peut être émoussée et près de
mourir : l'étincelle divine ne s'éteint jamais. Même chez les plus
grands criminels on découvre quelque chose de bon. Certains hommes, auteurs
de crimes particulièrement sauvages, ont aidé des pauvres et des opprimés.
Puisque l'étincelle, ou l'élément
divin qui est en eux ne peut être détruit, nous ne devons désespérer
d'aucun pécheur.
Si, constamment, nous critiquons les autres,
nous leur portons grandement préjudice, ainsi qu'à nous-même. Si nous
ne nous estimions pas autant, cela nous rendrait sympathiques et aimants vis-à-vis
du prochain, et nous mériterions le pays promis, qui est le royaume de l'amour.
Du premier au dernier mot, la prédication
du Sadhou roule sur ce thème : renoncement et prière. Celle-ci est de peu
de valeur, si elle ne se traduit pas par le don de soi au service de Dieu.
- Notre Seigneur dit que nous sommes le sel de la terre.
Ce n'est que lorsque le sel fond qu'il communique sa saveur aux aliments. Sinon,
que servirait-il d'en jeter dans un bol de riz bouillant ? Mais parce qu'il s'y dissout,
des milliers de grains deviennent savoureux. De même, lorsque nous voulons sauver
les autres, nous devons faire le don de nous-mêmes. Sinon, nous deviendrons
comme la femme de Lot, que son amour du monde changea en une statue de sel. Car à
quoi sert le sel qui ne fond pas ?
Beaucoup ne découvrent jamais leurs
propres défaillances et leurs manquements, et sont toujours à la recherche
des fautes d'autrui. Mais lorsque nous nous regardons dans un miroir, l'oeil distingue
ses propres défauts ou les taches du visage. Ainsi, en examinant nos vies à
la lumière de la Parole écrite, nous apprenons à nous connaître
nous-même. Christ ne se contente pas de nous montrer notre état de péché,
il se révèle à nous dans sa puissance de guérison. Si nous nous
tournons vers lui, il fera disparaître nos imperfections et nous transformera
en son image glorieuse, afin que, pendant toute l'éternité, nous ayons
part à sa gloire.
Les savants et les philosophes qui croient
à l'évolution, parlent de la survivance des plus dignes, par la sélection
naturelle. Mais il y a aussi la survivance des indignes par la sélection divine.
Elle est prouvée par le changement de millions d'êtres : ivrognes, adultères,
meurtriers, ont et, retirés de la profondeur du péché et de la misère.
Ils ont reçu une vie nouvelle de paix et de joie par le salut apporté par
Jésus-Christ, venu dans le monde pour sauver les indignes.
Les religions disent : « Faites le
bien et vous deviendrez bons. » Le christianisme enseigne : « Vivez en
Christ et vous ferez le bien. » La signification du rachat et du sang qui lave
nos péchés, c'est que nous sommes greffés en Christ, moi en lui et
lui en moi. C'est un rameau sauvage enté sur l'arbre. Une fois greffé,
la bonne sève de l'arbre circule à travers le rameau, et ses fruits deviennent
bons.
Les bons chrétiens ne sont pas ceux
qui confessent le Christ, mais ceux qui possèdent le Christ.
Beaucoup de chrétiens ont perdu le
sens des beautés de l'Évangile. Le scepticisme, le rationalisme et la mondanité
ont obscurci leur vision.
Sundar Singh, dit le professeur Heiler,
a un double message : pour l'Inde, qui malgré de précieuses richesses n'a
pas trouvé jusqu'ici la perle de grand prix, celle de l'Évangile ; pour
les chrétiens d'Occident qui eux, possédant cette perle précieuse,
l'ont en grande partie perdue, enfouie qu'elle est sous une accumulation de culture,
d'organisation et de recherches théologiques.
Ce que le Sadhou a révélé
au christianisme occidental, c'est la valeur du trésor caché dans le champ
: l'Évangile du Christ, dans sa simplicité, sa grandeur et sa puissance.
Tant de chrétiens ne l'ont point trouve, ou en connaissant l'importance, le
rejettent.- Vous êtes, dit le Sadhou, comme un homme qui, possédant un
diamant mais n'en sachant pas le prix, le vend au premier venu pour quelques roupies...
- Je demande parfois à des chrétiens : Pourquoi
croyez-vous en Jésus-Christ ? On me répond « Parce qu'il est le Sauveur
». Quelle preuve avez-vous qu'il soit le Sauveur ? « Mais c'est écrit
dans la Bible » je dis alors : Le fait qu'il est parlé de Jésus dans
un livre, même dans la Bible, n'est pas suffisant. C'est dans votre coeur que
vous devez le connaître ; alors vous saurez qu'il est le Sauveur. C'est tout
autre chose d'avoir entendu parler du Christ, d'avoir lu son histoire ou de le posséder,
lui, personnellement.
« Quiconque est né de Dieu ne pêche point. » Autrefois
cette parole me surprenait ; maintenant je la comprends. Le péché est généralement
causé par la recherche du plaisir. Mais celui qui aime Dieu a en lui-même
des sources de joies profondes, intarissables, au point que tout autre plaisir ne
l'attire plus. Il ne pêche plus ; il est comme un homme possédant un louis
d'or : il ne sait que faire d'un sou démonétisé.
Il ne suffit pas que nos péchés
quotidiens soient pardonnés, il faut, comme dit l'apôtre, que nous ayons
dépouillé le vieil homme.
Les catholiques attachent un grand prix à la rémission des
péchés par l'absolution. Mais le mal qui est à la racine du péché
continue d'agir.
Croyez-vous que les pécheurs repentants
doivent penser continuellement à leurs fautes et renouveler leur contrition
?
Ne vous mettez pas en peine de savoir si Dieu pardonne ou ne pardonne
pas vos fautes. Le salut n'est point seulement le pardon des péchés, mais
l'affranchissement du péché.
Se sentir pécheur est un signe de santé
spirituelle. C'est lorsque nous n'avons pas conscience de notre péché que
nous sommes en danger.
Il en est de ce monde comme de la mer dont
l'eau est salée, mais non les poissons qui y nagent, parce qu'ils ont la vie
en eux-mêmes. Si nous recevons la vie de notre Sauveur, bien qu'étant dans
le monde, nous serons, par sa grâce, libérés du péché qui
y règne. je parle de ma propre expérience.
Nous devons nous confier en Christ, sans
jamais douter. Étendez la main en croyant, et vous recevrez la bénédiction
attendue.- Un homme vint au Seigneur avec une main sèche. Jésus qui savait
son désir, lui commanda : « Étends ta main ». L'homme obéit
et fut aussitôt guéri. Il aurait pu raisonner et dire : « Quelle absurdité
! Si je pouvais mouvoir mon bras, je n'aurais pas besoin de toi ! » Étendons
la main de notre foi sans raisonner ni douter. Obéissons et nous verrons la
puissance de Christ. je suis témoin des grandes choses qu'il a faites pour moi.
Il peut les faire pour vous.
Le salut ne s'obtient pas par la science,
mais par la foi, en écoutant et en acceptant la Parole de Dieu.
Qu'il soit savant ou ignorant, jeune ou vieux,
lorsqu'un homme a soif, ce qu'il demande, ce n'est pas de la science, mais de l'eau
; et avant de la boire, il n'a nul besoin de savoir qu'elle contient de l'oxygène
ou de l'hydrogène. S'il attendait d'apprendre ce que sont ces corps, il pourrait
bien mourir de soif. Depuis les temps les plus reculés, les hommes se sont désaltérés
avec de l'eau sans se soucier d'en connaître la composition. De même, nous
n'avons pas besoin d'être très instruits pour recevoir l'eau vive que Jésus-Christ
veut nous donner et qui peut satisfaire notre âme.
En 1921, un incendie éclata dans
une forêt de l'Himalaya. Pendant que la plupart des gens essayaient de l'éteindre,
d'autres hommes étaient arrêtés et contemplaient quelque chose au
haut d'un arbre. Ils me montrèrent un nid rempli d'oisillons, entouré de
branches en feu. Un oiseau, en proie à une grande angoisse, voletait au-dessus
du nid.- « Combien nous aimerions sauver ces petits, disaient les témoins
du drame, mais cela est impossible, le feu est trop intense pour que nous puissions
approcher. » je restais là à regarder, impuissant comme les autres
spectateurs. Bientôt je vis le nid s'enflammer à son tour. je pensais que
la mère oiseau allait s'envoler. Mais non, elle se précipita au contraire
dans les flammes, étendit ses ailes sur ses petits pour les protéger. En
un instant, victime de son amour, elle fut réduite en cendres. je n'avais jamais
rien vu de semblable ; aussi, me tournant vers mes compagnons, je leur dis : Cet
amour merveilleux nous étonne. S'il nous est donné d'être les témoins
d'un tel dévouement chez une si petite créature, combien plus grands seront
l'amour et le dévouement que nous rencontrerons chez le Créateur ! Le même
amour infini l'a amené à quitter le ciel et à prendre forme humaine,
afin de nous préserver, en donnant sa vie, de mourir dans nos péchés.
Nombreux sont ceux qui ont perdu le temps
précieux qui leur avait été accordé pour le service de Dieu.
Mais ils peuvent, maintenant encore, se lever et faire l'usage le meilleur des jours
qui leur restent à vivre.
Sur la berge d'une rivière, un chasseur
ramassa quelques pierres et, une à une, les employa à tuer, avec sa fronde,
des oiseaux perchés sur les arbres non loin de là. Toutes tombèrent
dans l'eau et disparurent. Lorsqu'il rentra à la ville, une seule lui restait
en main. Près du bazar, un joaillier le vit, tenant cette pierre : c'était
un diamant valant des milliers de roupies, lui dit-il. Quand l'homme entendit cela,
désespéré, il se lamenta : «Malheur à moi ! J'ignorais leur
prix, et j'ai employé ces diamants à tuer des oiseaux ! Emportés par
le courant, ils sont à tout jamais perdus. je n'en ai gardé qu'un seul
; si je les avais tous, je serais millionnaire... »
Chaque jour est comme un diamant précieux
; et bien que beaucoup aient été dilapidés à la poursuite des
plaisirs et des choses de la terre, et qu'ils soient tombés dans les profondeurs
du passé, il faut prendre conscience de la valeur de ce qui nous reste et l'utiliser
le mieux possible, afin d'acquérir les richesses éternelles. Consacrez
au service de Christ la vie qu'il vous a donnée, avec toutes ses possibilités,
en travaillant au salut des autres pour les arracher au péché et à
la mort.
Les hommes ont souvent le nom de Christ sur
les lèvres, mais il n'est point dans leur coeur. C'est pourquoi ils n'obtiennent
pas ce qu'ils désirent. Mais lorsqu'ils demeurent en lui et lui en eux, tout
ce qu'ils demandent, ils le reçoivent parce qu'ils prient par le Saint-Esprit
qui leur révèle ce qui glorifie le Père et ce qui est le meilleur
pour eux-mêmes et pour les autres. Sinon, ils recevront la réponse qu'un
méchant garçon obtint de la part du gouverneur auprès duquel il sollicitait
la faveur d'un emploi. Il présenta sa requête au nom de son père,
dont les services n'avaient été que courage et dévouement. Le gouverneur,
rappelant alors au jeune homme sa conduite et ses habitudes mauvaises, lui dit :
« Ne me demandez rien au nom de votre père, mais agissez premièrement
selon son exemple. Que sa noble vie ne soit pas seulement sur vos lèvres, mais
qu'elle se reproduise en vous, et votre démarche sera agréée. »
La chose essentielle est d'être en
règle avec Dieu : alors toutes les souffrances s'enfuiront. Les rationalistes
disent : « Commencez par nous expliquer toutes les choses difficiles, et nos
doutes s'enfuiront... » Il y a cinq ans, je me trouvais avec un docteur de mes
amis, lorsque nous aperçûmes un homme pleurant à chaudes larmes.-
Qu'y a-t-il donc ? lui demanda le médecin.- En tombant, je me suis cassé
le bras, et j'ai mal !- Ne crains rien, dans une semaine tu seras guéri, et
la douleur disparaîtra dès que j'aurais replacé l'os.- Commence par
m'enlever la douleur, dit l'homme ; après, tu feras tout ce que tu voudras.-
Insensé, comment le pourrai-je ? C'est l'os cassé qui cause la douleur,
et c'est seulement lorsqu'il sera remis en place que tu n'auras plus mal !
On trouve beaucoup d'insensés pareils
à celui-là. Nos doutes spirituels, les souffrances de notre âme sont
causés par le péché : mettez-vous en règle avec Dieu par la repentance
et la foi en lui, alors la souffrance et le doute disparaîtront.
J'ai parlé l'autre jour avec quelqu'un
de très instruit qui m'assurait que la paix dont j'ai fait l'expérience
était l'effet de mon imagination. Avant de lui répondre, je lui racontai
l'histoire d'un aveugle-né qui refusait de croire à l'existence du soleil.
On le fit asseoir dehors, dans les tièdes rayons, par une froide journée
d'hiver. « Comment te trouves-tu ? lui demanda-t-on.- J'ai bien chaud, dit-il.-
C'est le soleil qui te réchauffe, car même si tu ne le vois pas, tu en
éprouves les bienfaits.- Non, cela est impossible ; cette chaleur vient de mon
corps et de la circulation de mon sang. Vous ne me ferez pas croire qu'il y a, dans
le ciel, une boule de feu suspendue, sans une colonne pour la soutenir »- Eh
bien ! demandai-je au savant, que pensez-vous de cet aveugle ?
C'est un fou, répondit-il.- Et vous,
lui dis-je, vous êtes un fou érudit. Vous prétendez que ma paix est
une illusion ; mais moi, je l'ai expérimentée.
Un homme, prenant une corde, essaya d'en
défaire les noeuds. Son travail lui demanda plusieurs heures. Son petit garçon
qui le regardait, attacha l'autre bout de la corde à un arbre et y fit un noeud
coulant. Il y passa la tête, et tandis que le père était absorbé
par son travail, il s'étrangla. Sa mère le vit et accourut: « Malheureux,
l'enfant se meurt ! Et toi, au lieu de le sauver, tu défais les noeuds de la
corde... » Et, l'enfant expira.
Tel est le résultat des recherches inutiles
: il vaudrait mieux employer le temps qu'on y consacre à sauver les millions
d'âmes en péril.
L'idée populaire que les enfants
sont innocents, est juste au point de vue de la connaissance du mal, mais elle est
entièrement fausse en ce qui concerne les impulsions mauvaises. Une demi-heure
dans la chambre de jeux des petits nous en convaincra facilement.
Les hommes prient :- Que ta volonté
soit faite : mais au fond de leur coeur ils disent : Que ma volonté puisse s'accomplir
! Ils ne savent pas que celle de Dieu est toujours la meilleure.
Questionné sur la méthode de travail
à suivre, le Sadhou résuma ainsi sa pensée : « Tâter le
pouls, puis donner la pilule ! »
Comme les prophètes trouvaient, au moment où ils prophétisaient,
une source d'inspiration dans la musique, les aidant à révéler la
vérité, nous éprouvons que sa beauté élève nos coeurs
vers Dieu et pousse ceux qui sont capables d'en éprouver les effets, à
l'adoration.
En remplissant, dans un esprit de sacrifice,
tous nos devoirs envers les membres de notre famille, nous accomplissons la volonté
de Dieu, aussi bien qu'en passant notre temps dans la prière, le jeûne
ou les veilles. Sans esprit de sacrifice, il est impossible de servir Dieu.
Comment discerner la volonté de Dieu ?- C'est
parfois difficile, dit le Sadhou, mais par la prière nous apprenons à la
connaître. Si, en prenant certaines décisions, notre paix intérieure
augmente, alors nous savons que nous sommes dans sa volonté.
La prière est l'entier abandon du coeur
à l'être suprême. Avant que l'homme commence à prier, Dieu est
à l'oeuvre.
Dieu donne à la mère du lait pour
alimenter son enfant, mais le liquide ne vient dans la bouche du nourrisson que si
celui-ci le prend. Ainsi Dieu, notre mère spirituelle, a pour nous un lait qui
ne nous sera accordé que si nous nous en emparons, c'est-à-dire si nous
prions. Quand nous prenons ce lait spirituel, alors nous en connaissons la douceur,
et comme l'enfant, nous devenons de jour en jour plus forts et pouvons triompher
des tentations. Tout ce que j'ai trouvé, je l'ai reçu uniquement dans la
prière.
Pour le Sadhou, le mystère et la
grandeur de la vie chrétienne consistent en ceci : la vie du ciel commence sur
la terre, lorsque nous vivons avec le Seigneur. Le christianisme n'est pas seulement
une espérance à venir, mais une possession présente.
Toutes les autres religions offrent une rédemption
future ; le christianisme dit : « Voici maintenant le temps favorable, voici
maintenant le jour du salut. » Bien des chrétiens se réjouissent à
la pensée d'entrer dans le ciel après leur mort et ne réalisent pas
qu'il doit débuter ici-bas déjà.
- Le ciel, c'est Christ lui-même en nous. Dans cette
vie je suis déjà au ciel parce que je suis en Christ.
Je n'aime pas à dire que j'ai été en prison, car j'étais
en réalité au ciel ; mais, pour expliquer la chose, je suis obligé
d'employer ce mot-là.
Beaucoup d'infortunés chrétiens
s'attendent à aller dans l'au-delà après leur mort, mais ils ne savent
pas que le ciel doit commencer sur la terre. Quand notre âme entre en communion
avec Dieu et que nous réalisons sa présence, nous découvrons que le
ciel, c'est posséder la parfaite paix de l'âme.
Tout ce que nous aurons fait pour le Seigneur
aura sa récompense.
La vie chrétienne a un double aspect
: elle est en même temps une vie dans le ciel et une vie dans le monde. Celui
qui voudrait ne vivre que dans le ciel courrait le danger de perdre ce qu'il a. Celui
qui se donnerait entièrement au travail pour le monde risquerait d'oublier Dieu
et verrait tous ses efforts humains être insuffisants pour gagner le ciel. Le
chrétien doit vivre et travailler dans le monde et avoir son coeur attaché
au ciel, où est sa demeure éternelle.
Parfois on trouve un arbre verdoyant et
fertile dans un pays aride. Un soigneux examen révèle que ses racines plongent
dans un courant d'eau souterraine et invisible. Lorsque nous voyons un homme rempli
de joie, ayant, au milieu de la misère, du péché et de la souffrance
de ce monde, une vie utile et bienfaisante, nous pouvons être certains que,
par la prière, les racines de sa foi plongent jusqu'à la source des eaux
vives et puisent à ce contact l'énergie et la puissance de porter des fruits
pour la vie éternelle.
Il est très difficile d'expliquer
par la parole les profondes expériences de la vie cachée, mais lorsque
les mots sont impuissants, l'action peut agir. Un jour, tandis que je méditais
et priais, j'éprouvai avec force la présence de Dieu et mon coeur déborda
d'une joie céleste... je vis que sur cette terre de tristesse et de souffrance,
il existe une source de joie intarissable, que le monde ne connaît pas. J'étais
anxieux d'aller au village voisin pour partager mon bonheur avec d'autres. Mais à
cause de ma grande faiblesse physique, un conflit s'éleva entre mon âme
et ma chair. Finalement je triomphai et pus traîner péniblement mon corps
souffrant et dire aux gens ce que la présence de Christ était pour moi.
Ils savaient que j'étais malade et qu'une contrainte intérieure m'avait
poussé à venir à eux. Malgré mon incapacité d'exprimer ce
que je ressentais, cette profonde expérience leur fut transmise en action et
put leur aider.
L'amour de Dieu est sans bornes : c'est
un océan, et des fleuves sortent incessamment de lui. Et dans son amour infini,
Dieu désire le bonheur des êtres qu'il a créés. Il aime tous
les hommes, non seulement les bons et ceux qui se confient en lui, mais aussi les
méchants qui jusqu'ici refusent de croire en lui.
Si nous avons reçu l'amour de Dieu
et si nous y avons cru, nous ne pouvons nous taire. Nous devons sans délai l'apporter
aux autres.
J'ai essayé d'aimer les autres, parce
que ma religion me le disait ; mais je n'avais aucune puissance pour le faire. Le
seul commandement ne pouvait créer en moi l'amour que je ne possédais pas.
Mais lorsque Christ s'est révélé à moi, alors j'appris ce qu'était
cet amour. je vis la différence entre l'hindouisme et le christianisme : l'un
me laissait renfermé, dans mon égoïsme étroit, l'autre me donna
le pouvoir de vivre pour mes frères et de les aimer.
Nous pourrions puiser, longtemps encore,
dans les récits imagés et si proches de nous qu'a laissés le Sadhou-
mais il faut nous borner.
VIE CONTEMPLATIVE
VIE ACTIVE
L'amour de Christ nous presse... Il est
mort pour tous afin que ceux qui vivent
ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour
Celui qui est mort et ressuscité pour eux.
Saint Paul.
La communion avec Dieu dans la retraite
était le désir profond de Sundar, mais il se sentait de plus en plus contraint
de quitter la solitude et de se mettre au service de ses frères au sein du monde
bruyant. Il voyait la grande tâche que les chrétiens doivent accomplir
durant leur brève vie terrestre. Lorsqu'il était repoussé et que la
bonne nouvelle était rejetée, il regardait de son devoir de parler quand
même à des oreilles fermées et à des coeurs durs, et il était
prêt, s'il le fallait, à sceller son témoignage par la souffrance,
la persécution, la prison, voire les tortures et même la mort.
- Quel privilège que d'être un témoin
de Christ ! privilège que les anges n'ont pas, puisque n'ayant jamais péché,
ils ne connaissent pas le salut et ne peuvent ainsi témoigner du pouvoir rédempteur
de Christ. Seuls les pécheurs sauvés par grâce peuvent annoncer la
bonne nouvelle. Oh ! quel amour Dieu nous a témoigné en refusant cet honneur
aux anges et en nous l'accordant.
Pour le Sadhou, c'est sur la terre que
commence la vie du ciel, lorsque nous vivons avec le Seigneur.- Le ciel ne consiste
pas seulement en une promesse de félicité future, mais dans une possession
présente. « Celui qui croit en moi, dit le Christ, a la vie éternelle.
» Pour être un jour avec Christ dans l'au-delà, il faut avoir déjà
vécu avec lui sur la terre.
« Le ciel sur la terre », cette
réalité chère au Sadhou n'est pas une béatitude égoïste,
mais doit s'exprimer dans un ardent amour pour les autres et dans un travail incessant
pour les amener à Christ. Le Sadhou passait des jours et des nuits en communion
avec Dieu, puisant là l'énergie de porter son témoignage dans le monde
entier. Avant l'aurore il était aux pieds du Maître dans le silence de
la prière, puis au long de la journée il proclamait l'Évangile à
des foules, prenant soin des âmes qui venaient à lui dans leurs peines
ou leurs perplexités. L'homme de prière qui ne se lassait pas de dire à
ceux qui l'écoutaient : « Priez sans cesse », ne se lassait pas non
plus de les appeler à se donner sans partage au service de leurs frères.
Il unissait dans une parfaite harmonie la vie contemplative et la vie active. L'une
ne va pas sans l'autre.- Nous avons deux poumons, disait-il, qui doivent fonctionner
l'un et l'autre. La prière et le travail pour Dieu ne doivent pas se séparer
dans notre vie quotidienne.
- Si Christ était resté dans la gloire du
ciel, nous serions perdus. Si nous sommes égoïstes et que nous vivions
confortablement, sans nous occuper des autres, nous n'avons pas compris son exemple.
Beaucoup blâment ceux qui donnent santé, force, argent pour autrui, les
appelant des fous. Pourtant ce sont eux qui sauvent des âmes.
Personne ne doit penser que ce qu'il a
à donner est trop peu de chose, quelque infime que cela paraisse. Ce que Christ
demande , c'est notre fidélité dans les plus petits détails et dans
les moindres services.
- Pour être un témoin du Christ, il n'est
pas nécessaire d'être un éloquent prédicateur. Celui-ci n'est
pas toujours un témoin. Mais personne, qu'il soit homme ou femme, Jeune ou âgé,
riche ou pauvre, ouvrier ou patron, maître ou élève, homme d'affaires
ou pasteur, ne peut se dire vraiment chrétien s'il ne rend pas témoignage
à Jésus. Il n'est pas besoin de prêcher du haut d'une chaire ou dans
les rues, d'avoir une classe biblique, une école du dimanche ou une union chrétienne
; ce ne sont là que certaines formes. Mais, au bureau comme au magasin, dans
la vie de famille comme en société, par une vie pure, un caractère
intègre, la sincérité de la parole, l'enthousiasme de la foi, la richesse
de l'amour, tous les chrétiens doivent être des témoins du Maître.
Donnez et il vous sera donné. L'union
intime avec Dieu ne demande aucune qualité exceptionnelle et n'exige pas l'abandon
de nos devoirs. Elle se développe dans le service d'amour, mais s'éteint
en se refermant sur elle-même. Un mysticisme qui se confine dans une pure contemplation
tue la vraie communion avec Dieu.- Nous jouirons éternellement du ciel, mais
ici-bas nous ne disposons que de peu de temps pour servir. C'est pourquoi nous devons
saisir cette unique occasion.
Par une série de paraboles le Sadhou
illustre ce don de soi.
- Les poissons, plongés dans les profondeurs de l'océan,
perdent certaines de leurs facultés. Au Tibet, je vis un moine bouddhiste avant
passé cinq ou six ans dans une cave. Auparavant, il avait de bons yeux, mais
ils s'affaiblirent de plus en plus et l'ermite devint aveugle. L'autruche n'a plus
le pouvoir de voler parce qu'elle ne s'est pas servie de ses ailes. Il en est ainsi
pour nous. Si nous n'employons pas les grâces que nous avons reçues de
Dieu pour sa gloire, nous risquons de les perdre pour toujours.
- Pour bien des croyants, il semble facile de mourir en
martyr par amour pour Christ, mais Christ a besoin de martyrs (martyr veut dire témoin)
qui s'offrent journellement en vivant sacrifice pour les autres.
- La souffrance, dit le Sadhou, est le chemin qui conduit
à la communion avec Dieu. La Croix est comme la noix : l'écorce est amère,
mais le fruit est excellent.
Il est arrivé que, pendant un tremblement
de terre, des sources fraîches aient jailli dans des terres desséchées
et stériles, fertilisant soudainement un pays. Ainsi la souffrance peut susciter
une source de vie dans un coeur humain encore éloigné de Dieu.
Un jour, un homme remarqua un ver à
soie luttant pour se dégager de son cocon. Il voulut l'aider à se libérer.
L'insecte fit encore quelques efforts ; un instant après il était mort.
L'homme ne l'avait pas secouru : il avait empêché sa croissance.
Quelqu'un d'autre se trouva dans les mêmes
circonstances, mais ne fit rien pour secourir le ver à soie, sachant que de
cette lutte il sortirait plus fort et serait prêt pour sa nouvelle vie. Pour
nous aussi, les souffrances et les détresses nous préparent pour la gloire
éternelle.
A partir de sa vision céleste, Sundar
eut un désir passionné de suivre Christ et de porter sa croix, jusqu'à
mourir pour lui.- Parce que je suis heureux de partager les souffrances du Christ,
je n'ai pas soif de voir son retour tandis que je suis en vie. je voudrais plutôt
prendre le chemin qu'il a suivi, afin de comprendre quelque chose de ce qu'a signifié
pour Jésus sa mort pour nous.
- Dans le ciel et sur la terre, rien n'est comparable
à la Croix. C'est par elle que Dieu a révélé son amour pour l'humanité.
Sans elle nous l'aurions toujours ignoré. A cause de cela Dieu désire que
tous ses enfants portent, à leur tour, ce lourd et doux fardeau. C'est le seul
moyen par lequel notre amour pour Dieu et pour les hommes peut se manifester.
« Si quelqu'un veut venir après
moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il se charge de sa croix et qu'il me
suive. »
La puissance divine qui s'est manifestée
dans la vie du Sadhou, que ce soit à sa conversion, dans ses extases, dans ses
souffrances comme témoin du Christ ou dans ses délivrances à l'heure
des plus grands périls, à sa source dans sa vie de prière.- Par un
homme de prière Dieu peut faire de grandes choses, aime-t-il à dire.- Le
secret de sa vie et de celle de tous les hommes de Dieu- réside dans sa communion
avec Christ. C'est de là que découlent son profond amour pour lui, son
zèle pour son service, son acceptation de tous les sacrifices, sa paix et sa
Joie dans les souffrances.
Nous l'avons dit, chaque matin très
tôt, Sundar passait plusieurs heures à étudier sa Bible avec prière.
Il lui arrivait de consacrer une nuit entière, dans un endroit solitaire, pour
s'entretenir avec Dieu. Il en revenait le visage empreint d'une sérénité
visible à tous.
- Dieu ne peut nous donner ses plus grandes bénédictions
spirituelles que dans la prière.
Il y a de belles choses dans la nature :
des oiseaux, des fleurs, mais pour trouver des perles, il faut descendre dans les
abîmes de la mer. De même si nous désirons posséder des perles
spirituelles, nous devons plonger dans les profondeurs secrètes de la contemplation
et de la prière.
-Les plus grands mystères de la foi chrétienne,
comme l'incarnation de Jésus-Christ, sa divinité, sa mort sur la Croix,
sa résurrection, son ascension dans la gloire, sa présence actuelle dans
le coeur des croyants, ne peuvent nous être enseignés par le travail intellectuel
ou l'étude théologique des Écritures, mais sont révélés
par l'Esprit à celui qui s'attend à Dieu dans la méditation.
- Nous découvrons beaucoup de choses sur Jésus
dans la Bible, mais pour apprendre à le connaître, lui, il faut consacrer
du temps à la prière. Si vous vous retirez dans la solitude avec Dieu,
là, vous entendrez la voix de Celui qui seul peut vous aider. Si vous lisez
sa Parole et priez, ne fût-ce qu'une demi-heure par jour, il se révélera
à vous ; vous le rencontrerez personnellement et il vous donnera force, paix,
joie.
Les hommes de prière parlent à
Dieu comme un homme parle à son ami.
Pour souligner cette absolue nécessité,
le Sadhou se sert du symbole de la respiration.- Dans la prière l'âme s'ouvre
au Saint-Esprit ; alors Dieu projette en elle un souffle, et elle devient une âme
vivante. Celui qui cesse de respirer dans la prière est mort spirituellement.
- Un ami me disait : « Pourquoi prier ? C'est inutile,
nous ne recevons rien, c'est sans espoir ! » Quant à moi, j'ai bien souvent
prié silencieusement, lorsque je me sentais faible physiquement ou spirituellement,
et, subitement, une puissance pénétrait dans tout mon être. Aucun
changement extérieur ne s'était produit, mais en quelques secondes une
vie débordante remplissait mon âme.
Mais pour le Sadhou la vraie prière
n'est pas la demande de tout ce que nous pouvons désirer ; ce n'est pas non
plus un pénible effort pour obtenir une aide dans nos divers besoins. Elle consiste,
avant tout, à rechercher Dieu lui-même. C'est la suprême bénédiction.
Si le Sadhou regarde l'union avec Dieu
comme but premier, il attache cependant une réelle valeur aux prières naïves
et enfantines demandant les bénédictions terrestres. Il considère
ce stage comme une préparation.
L'âme vient avec tous ses désirs
à Dieu ; et, dans sa présence, graduellement elle change et s'abandonne
à la volonté divine. Dieu refuse parfois de répondre aux requêtes
limitées de ses enfants, afin qu'ils apprennent à rechercher les choses
les meilleures.
- Pendant deux ou trois ans, après ma conversion,
dit le Sadhou, j'avais coutume de solliciter des grâces particulières.
Maintenant c'est Dieu lui-même que je réclame.
- Supposons qu'il y ait un arbre chargé de fruits.
Si vous désirez ceux-ci, vous êtes obligé de les acheter à leur
propriétaire, ou de le prier de vous en faire don. Chaque jour vous allez lui
en demander un ou deux. Mais s'il vous est possible d'acquérir l'arbre, tous
les fruits vous appartiendront. De même si vous avez Dieu, les biens du ciel
et de la terre seront vôtres. C'est pourquoi il faut rechercher non les biens,
mais leur dispensateur lui-même. Si vous possédez la source de la vie,
vous possédez toutes choses.
Mais le Sadhou rejette avec énergie
l'idée que par la prière nous pouvons changer les plans de Dieu. Elle n'est
pas un moyen pour gagner Dieu à notre cause, mais elle nous enseigne à
connaître sa volonté. Il est possible qu'elle soit contraire à la
nôtre et comporte pour nous des souffrances, des besoins matériels, ou
la maladie. Mais notre consolation est de dire toujours : « Ta volonté
soit faite. » Pour les chrétiens, c'est là la première prière.
Celui qui a conformé sa vie à la volonté de Dieu, a trouvé la
plénitude de la paix et de la joie. Quelles que soient les vues de Dieu, il
travaille à notre meilleur bien. « Toutes choses concourent au bien de
ceux qui aiment Dieu. » Quand nous avons réalisé cela, murmures et
craintes disparaissent comme par magie.
Le Sadhou insiste sur la nécessité
de demeurer paisible dans l'attente de Dieu.- Pour trouver Dieu nous devons faire
silence. Dans l'agitation et la fièvre de la vie il se tait. Pour recevoir les
grandes bénédictions du Saint-Esprit, une préparation est nécessaire.
Les apôtres attendirent dix jours le baptême de la Pentecôte.
Le reproche que fait le Sadhou aux chrétiens
d'être trop absorbés par leur travail et de négliger la prière,
revient constamment.
Quelqu'un lui demanda :- Que dites-vous de l'homme d'affaires si pressé,
qu'il est déjà obligé d'expédier en hâte son déjeuner
pour courir à son bureau ?- je pense que la prière est pour lui aussi importante
que le déjeuner ! répondit Sundar. Une fois qu'il aura pris l'habitude
de prier, il en aura tant de joie qu'il prendra le temps nécessaire.
Il faut savoir supprimer bien des choses
secondaires pour trouver le temps de prier. L'heure approche où tous nous devrons
mourir. Elle n'attendra pas que nous ayons fini notre travail. Ne vaut-il pas mieux
faire en sorte d'entrer dès maintenant dans l'intimité de Celui qui seul
pourra nous aider au moment de la mort et nous introduire dans la vie éternelle
?
Un mendiant allait régulièrement
chez un homme pieux. Il recevait la nourriture qu'il réclamait et s'en retournait
content. Un jour le repas n'étant pas encore prêt, l'homme de Dieu pria
l'indigent d'attendre quelques instants. Ils se mirent à causer, et le mendiant
comprit et accepta le message dont il lui était fait part. En une demi-heure
sa vie fut transformée. Il demanda au saint homme pourquoi il ne lui avait pas
annoncé plus tôt cette bonne nouvelle.- Autrefois tu ne venais que pour
mendier et tu t'en retournais aussitôt ; cette fois tu es resté près
de moi et j'ai pu t'enseigner.
Commentant ce texte : « Vous n'avez
pu veiller une heure avec moi ! Veillez et priez afin que vous ne tombiez point en
tentation », Sundar dit :- Pourquoi le Seigneur a-t-il adressé cet avertissement
à Pierre ? Parce que si Pierre avait passé cet instant en prière,
il n'aurait pas renié son maître quelques heures plus tard.
Le Sadhou insiste aussi sur les miracles
qui peuvent être accomplis par la prière, comme si Dieu voulait nous associer
à la réalisation de ses desseins d'amour et qu'il ait besoin de notre intercession
pour les exécuter. Ce qui est impossible aux hommes devient possible par la
prière ; les serviteurs de Dieu voient se produire des miracles que les sages
de ce monde déclarent contraires aux lois naturelles. Le plus grand des miracles,
le Sadhou l'a dit maintes fois, c'est la paix profonde que Dieu donne à l'âme
en détresse.
Quant à la prière d'intercession,
le Sadhou y attache une grande importance.- J'ai deux ou trois cents filleuls. je
possède la liste de leurs roms, et quand je suis dans les solitudes de l'Himalaya,
j'intercède pour chacun d'eux. J'ai prié huit ans pour une personne avant
qu'elle ne se donne à Dieu.
Le Sadhou désirait aussi pour lui les
prières de ses amis.
Ainsi à Londres, il prit soin de les
informer d'une. importante réunion qu'il devait tenir, afin qu'ils pussent intercéder
en sa faveur.
- Nous pouvons faire souvent plus de bien par la prière
que par la parole. Une influence cachée se dégage de l'intercesseur et
pénètre l'atmosphère spirituelle, tel un message de la T. S. F. qui,
transmis par d'invisibles ondes, atteint, par de mystérieuses communications,
la conscience de ceux pour lesquels nous prions.
« La prière du juste a une grande
efficace. »
- je vous en supplie, prenez le temps de prier ; alors
le Christ pourra faire de grandes choses pour vous et par vous, et vous ne serez
pas confus et éloignés au jour de son avènement.
« Le Sadhou nous a enseigné à
prier, dira un chrétien de ses amis. Nos prières sont bien différentes
de ce qu'elles étaient auparavant ! »
Dans l'histoire de la prière, Sundar
Singh tient une place toute spéciale, non seulement par l'énergie avec
laquelle il affirme son importance dans l'expérience chrétienne, mais aussi
par la lucidité et la profondeur de ses conceptions sur ce sujet central.
- ÉGLISE ET THÉOLOGIE
- DERNIÈRES ANNÉES
- ULTIME MYSTÈRE
Christ est ma vie, et la mort m'est un
gain.
Saint Paul
L'Église à laquelle était
attaché le coeur du Sadhou n'était point une institution visible.- J'appartiens
au corps de Christ, disait-il, qui est la véritable Église formée
de tous les chrétiens sauvés par Jésus-Christ, ceux qui vivent ici-bas
et ceux qui, entrés dans le monde de la lumière, font partie de l'Église
triomphante.
Par le baptême, Sundar était membre
de l'Église anglicane des Indes, et a toujours exprimé son respect pour
les hommes qui en portaient les responsabilités. Il reconnaissait son autorité
en envoyant aux missionnaires, pour les faire baptiser, ceux qui se convertissaient
par son moyen.
Bien qu'il fût lui-même indépendant
de toute autorité extérieure établie dans l'Église, il en reconnaissait,
pour la majorité des hommes, la valeur pédagogique.
Obéissant au commandement du Christ,
il participait, lorsqu'il en avait l'occasion, au sacrement de la sainte Cène,
et cela dans toutes les églises chrétiennes, à l'exception de l'Église
catholique romaine. Il en éprouvait bénédiction et puissance, mais
ne croyait pas à la présence réelle du Christ dans le sacrement, selon
la doctrine catholique ou luthérienne.- Je ne crois pas que le pain et le vin
deviennent réellement le corps et le sang de Christ ; mais leur effet sur le
croyant est aussi puissant que s'il en était ainsi. Il n'y a rien de spécial
dans le pain et le vin : l'eucharistie, comme moyen de grâce, dépend de
notre foi.
Le Sadhou vivait dans la pensée de
l'unité chrétienne, mais d'une unité essentiellement intérieure
et fondée en Christ. Il ne croyait pas à une fédération extérieure
des différentes Églises, ni à l'union des catholiques et des protestants.-
Quand vous mélangez deux couleurs, vous en obtenez une troisième ; de même
ici vous verriez surgir de nouvelles sectes. Seulement ceux qui sont unis en Christ
seront « un » dans le ciel.
La faute n'en est pas au Sadhou, mais
bien aux dénominations chrétiennes, s'il n'a pu saisir la pleine signification
de l'Église. Sans aucun doute, sa position ecclésiastique a été
voulue de Dieu. Ainsi que l'écrit le professeur Heiler, le fait que Sundar Singh,
cet apôtre au coeur large, humble, aimant, n'a pu se rattacher sans réserve
à une Église chrétienne, montre plus clairement que quoi que ce soit,
combien grand est le besoin du christianisme actuel.
Ce qui est réconfortant, c'est qu'un
disciple du Christ, comme le Sadhou, ait pu parler librement dans n'importe quelle
église et que son message ait été bien accueilli de tous. Parce qu'il
n'appartenait à aucune association chrétienne, il n'y avait point pour
lui de barrières ecclésiastiques.- Dans toutes les communautés où
Christ est aimé, je me sens au milieu de mes frères. En Christ tous les
chrétiens sont un et parlent la même langue. Il n'y à qu'un seul Dieu
: alors pourquoi tant d'Églises et tant de divisions ?
Le Sadhou n'a jamais cherché à
susciter un mouvement de ceux qui ont été amenés à la foi par
sa prédication. Quatre cents jeunes gens lui ont demandé de devenir ses
disciples, il ne l'a point voulu je suis un disciple moi-même, Comment pourrai-je
faire des autres mes disciples ?
Il disait à ceux qui désiraient
le suivre :- Avant de vous lancer dans cette carrière qui ressemble au vaste
océan agité par les vagues, apprenez à nager dans votre étang.
Il y a autour de vous une quantité d'âmes qui périssent ; commencez
par sauver celles-là
- Si je n'aime pas les organisations, j'aime l'ordre.
Dieu est un Dieu d'ordre. Il y a une grande différence entre l'ordre et l'organisation
qui n'est souvent qu'un mécanisme rigide.
- Vous faites un programme pour Dieu afin de lui montrer
comment il doit conduire les affaires du monde et de l'Église ! je n'appartiens
à aucune société missionnaire, et ne dépends d'aucun comité.
Il se peut que les gens me trouvent peu pratique ; mais partout où j'ai été,
Dieu m'a accordé des bénédictions, et cela sans nulle organisation.
J'ai vu de magnifiques résultats, de nombreuses conversions, faites non par
moi, mais par le Saint-Esprit. C'est Dieu qui convertit les âmes. Des milliers
voudraient que je les baptise, mais je n'ai pas été appelé à
cela, ni à créer un groupement : C'est à d'autres à le faire,
car il y a des organisations qui sont inspirées par Dieu. Pour moi, mon travail
est de prêcher l'Évangile et de rendre mon témoignage.
Il avait cependant formé une petite
assemblée de chrétiens tibétains. Ceux-ci étaient pour lui le
sujet d'une grande reconnaissance, car bien que très isolés et sans personne
pour les guider, ils demeuraient fidèles. Sundar espérait que l'un d'eux
pourrait venir aux Indes et y être instruit afin d'enseigner ensuite son propre
peuple.
- Avec Sundar Singh commence une nouvelle école de
mission aux Indes, dit le Dr Five, missionnaire presbytérien. Le Sadhou a exercé
sur les chrétiens et les non chrétiens, sur jeunes et vieux, une influence
qui n'a jamais été dépassée. Il occupe une place unique dans
le nord de l'Inde. Il n'y a qu'un Sundar Singh. Dans toute l'histoire des missions,
peu d'hommes ont eu une aussi grande sphère d'activité. Sa prédication
a atteint aussi bien les chrétiens d'Occident que les hindous et les bouddhistes.
Sa personnalité et son message ont révélé les erreurs et la superficialité
si évidente de la chrétienté. Il a rappelé le fait central du
christianisme : un appel à la conscience à revenir au Christ lui-même,
« la seule chose nécessaire ».
Le christianisme de l'Occident s'est constamment
égaré dans les choses extérieures, les formules dogmatiques, les organisations
ecclésiastiques, l'importance exagérée donnée à la culture
intellectuelle. Mais l'époque actuelle n'est pas riche en saints. Il y a des
théologiens capables et instruits, des hommes d'église avisés, des
réformateurs sociaux, mais il y a très peu d'hommes de Dieu pour lesquels
Christ est tout et qui puissent montrer aux chrétiens le chemin de la communion
avec Dieu.
- Les gens en Europe, dit le Sadhou, sont si savants en
science et en philosophie, mais si ignorants des réalités divines, qu'ils
sont anxieux d'explorer toutes les régions de la connaissance, sauf celle qui
concerne leur condition spirituelle. Ils sont avides de savoir quand il y aura une
éclipse de soleil ou de lune, ou ce qui en est des taches du soleil ; ils essaient
de sonder la profondeur des nuages, mais ne s'inquiètent guère des nuages
du péché dans leur vie.
Bien des théologiens ont abandonné
une vie de prière et de méditation et cherchent à couvrir la nudité
de leur christianisme par les feuilles de figuier de leur science théologique.
Si le Sadhou a été si sévère
à l'égard de la théologie, c'est qu'il est venu en Europe dans les
années où la négation de la divinité de Jésus-Christ et
la critique biblique étaient très répandues. Depuis lors, nous assistons
à une évolution de l'enseignement théologique qui devient plus positif
et plus biblique. Le Sadhou avait du reste prédit le déclin de cette grave
erreur.- C'est comme une épidémie d'influenza qui passera, dit-il, mais
non sans avoir fait beaucoup de victimes.
Aux professeurs de théologie, il donne
le conseil d'abandonner pendant quinze jours leurs travaux et d'aller, avec leurs
étudiants, évangéliser les contrées environnantes.
- Aux Indes, un jour que je causais avec un ami, chimiste
distingué, il prit un bol de lait et en fit l'analyse, indiquant les quantités
d'eau, de sucre et d'autres matières contenues dans le liquide. je lui dis :
Un enfant est incapable d'analyser le lait, mais son expérience lui enseigne
qu'il est bon et qu'il fortifie. Il ne saurait expliquer comment, mais il le sait.
L'enfant est plus sage que le chimiste. Il en est ainsi des gens qui analysent perpétuellement
leur lait et ne le boivent jamais...
De nos jours nombreux sont ceux qui savent
qui est Jésus-Christ, parlent de lui, et en ont une connaissance intellectuelle
; mais il en est peu pouvant dire : « je sais en qui j'ai cru ; je le connais,
car il habite en moi. »
Un candidat en théologie d'Oxford, profondément
impressionné par les discours du Sadhou, trouva inutile d'acquérir la connaissance
intellectuelle. « Dès que j'aurai passé mon premier examen, dit-il,
je partirai comme missionnaire, sans étudier la théologie. »- Sundar,
mis au courant de cet incident, répondit :- Ce n'est pas là ce que j'ai
voulu dire : les ecclésiastiques doivent étudier, mais le savoir sans la
vie est comme un ossement desséché. Je ne suis pas en principe opposé
à la science, mais proteste avec force contre la tendance actuelle qui en exagère
la valeur. Le langage de la Bible est spirituel ; pour le comprendre, maître
et élève doivent être enseignés par le Saint-Esprit.
- Certains prédicateurs ont été établis
par l'Église et non par le Saint-Esprit. Seuls ces derniers gagnent des âmes.
Il ne suffit pas d'être membre d'une Église, il faut être un membre
de Christ. John Wesley et le général Booth, en opposition avec l'Église,
suivirent les ordres de Dieu et il se trouva qu'ils eurent raison.
Le Sadhou, a déclaré un pasteur
suisse, a bien diagnostiqué notre maladie : « Vous êtes dans une trop
grande hâte, vous n'avez pas le temps de prier et de vivre. » A un autre
pasteur, qui lui demandait ce qu'il fallait pour que son travail fût efficace,
Sundar répondit simplement: « Plus de prière. »- Dans ce domaine,
dit l'évêque Soederblom, le Sadhou a pour nous un message qui vient, non
des Indes, mais de l'Évangile : « L'activité de plus en plus grande
des chrétiens d'Europe ne peut compenser la faiblesse de la vie intérieure.
»
- Le Sadhou est plus digne que nous tous qui avons étudié
la théologie, dit encore un pasteur. Nous pécherions contre la vérité
si nous refusions de l'admettre. Quand un théologien commence à approfondir
une vie si richement douée de la grâce de Dieu, sa conscience est étrangement
bouleversée.
Un autre ecclésiastique suisse parle
ainsi de sa rencontre avec le Sadhou :- Quand je le vis devant moi et l'entendis
parler de sa vie spirituelle- tandis que j'étais entouré de savants théologiens-
la question se posa à mon esprit : Quel but visons-nous par nos études
? Pourquoi devons-nous apprendre tant de choses de moindre importance quand nous
ne donnons pas dans nos vies la place primordiale à la chose essentielle ? Des
hommes, comme cet Hindou, peuvent mouvoir des nations, mais nous, qu'avons-nous fait
?
Il est impossible de ne point être frappé
de la similitude de l'expérience chrétienne du Sadhou et de celle de saint
Paul. Converti par une vision étonnamment semblable à celle du chemin de
Damas, le Sadhou, comme le grand apôtre, après avoir haï le Christ
et persécuté ses disciples, devint son plus fidèle serviteur. L'un
et l'autre ont reçu l'Évangile, non de la bouche des hommes, mais par une
révélation directe du Sauveur, et sont devenus ses puissants témoins.
Les paroles de Jésus à Paul : « Cet homme est un instrument que j'ai
choisi pour porter mon nom jusqu'aux extrémités de la terre, et je lui
montrerai tout ce qu'il doit souffrir pour mon nom », peuvent également
s'adresser au Sadhou.
A son tour, Sundar pouvait parler de ses
souffrances dans les termes mêmes de Paul : « ... souvent en danger de
mort... fréquemment en voyage, j'ai été en péril sur les fleuves,
en péril de la part des brigands, en péril de la part de ceux de ma nation...
en péril dans les villes, en péril dans les déserts. J'ai été
dans le travail et dans la peine, exposé à la faim et à la soif, à
des jeûnes multipliés. » Comme Paul, le Sadhou a renoncé à
tout et a regardé toutes choses comme une perte à cause de l'excellence
de la connaissance de Jésus-Christ, son Seigneur. Comme lui, il a reçu
cette paix qui surpasse toute intelligence. A son tour il avait « l'assurance
que ni la mort, ni la vie, ni les choses présentes, ni les choses à venir...
ni aucune autre créature ne pourra le séparer de l'amour de Dieu manifesté
en Jésus-Christ ».
Comme saint Paul, le Sadhou fut ravi en extase
et enlevé dans le paradis « où il entendit des paroles ineffables
qu'il n'est pas possible d'exprimer ». Avec lui il pouvait dire en toute vérité
: « J'ai été crucifié avec Christ, et si je vis, ce n'est plus
moi qui vis, c'est Christ qui vit en moi. »
En avançant dans la vie, la communion
de Sundar avec son Sauveur devenait de plus en plus intime. L'Évangile de Jean,
et plus spécialement les derniers discours de Jésus et la prière sacerdotale,
avaient une profonde résonance dans son âme. « Moi en eux et toi en
moi, afin qu'ils soient parfaitement un. » C'était une fusion de tout son
être avec Christ. Il avoua un jour a un chrétien, en Suisse, qu'il trouvait
difficile de chanter le cantique bien connu : « Plus près de toi, mon Dieu
», parce que cela semblait dire que Christ était en dehors et comme séparé
de lui, tandis qu'en vérité il était « en lui », dans l'homme
intérieur : plus deux, mais un.
Le Sadhou avait reçu de Jésus-Christ,
au profond de sa vie intérieure, cette source d'eau vive qui jaillit jusque
dans la vie éternelle.
En toutes choses il fut conduit par l'Esprit de Dieu. Sa vie fut une
vie d'obéissance. C'est par obéissance qu'il partit pour le Tibet et affronta
des difficultés et des dangers, en face desquels les plus braves eussent reculé.
Celui-là seul, dont la vie se passait dans le monde surnaturel de la prière,
inspiré par un amour pour Dieu plus fort que tout amour terrestre, pouvait envisager
les terribles épreuves qui l'attendaient. Il ne prenait pas, comme n'importe
quel voyageur l'aurait fait, toutes les précautions possibles, pour se préparer
à affronter les risques d'une telle entreprise. Il partait seul, comme un Sadhou,
se confiant uniquement à la grâce de Dieu, sachant qu'il était dans
la ligne de sa volonté. C'est aussi par obéissance, afin de rendre témoignage
à Jésus-Christ, qu'il quitta les Indes pour entreprendre ses longs voyages
dans le monde entier. Et dans sa vie quotidienne, sa soumission était immédiate
aux moindres indications du Saint-Esprit.
Ainsi, un soir, tandis qu'il était
en prière, il entendit comme un appel venir de la vallée : certainement
quelqu'un désirait son aide. On le supplia d'attendre le lever du jour et ne
pas s'exposer de nuit aux dangers de la forêt. Mais le Sadhou insista pour partir
au moment même. Il revint après quelques jours d'absence, ayant accompli
sa mission. Une personne gravement malade avait eu, en effet, un urgent besoin de
son assistance.
L'appel soudain de l'Esprit pendant une nuit
de prière silencieuse, et l'immédiate réponse de Sundar, sans souci
au danger, est un trait caractéristique de son ministère.
La santé du Sadhou s'était altérée.
Les souffrances endurées au Tibet, le dur labeur, les longs et fatigants voyages
avaient miné sa forte constitution. Il souffrait d'une faiblesse des poumons
et de la gorge, de troubles du coeur et de maux gastriques. Dans l'été
1925 il fit avec un ami une expédition missionnaire dans les villages au nord
de Sabathou. Subitement se déclara un mal à un oeil, qui se développa
bientôt en un ulcère qui le fit beaucoup souffrir et causa la perte de
cet oeil.
Dès lors il renonça aux grandes
réunions, refusant cinq à six cents invitations en une seule année.
Il consacra son temps à la vaste correspondance lui arrivant du monde entier
et à ses écrits. Il pensait atteindre par la publication de ses livres,
un plus grand nombre de personnes.- Du reste, disait-il, les gens me connaissent
et peuvent venir me voir toutes les fois qu'ils le désirent.
Une ombre de tristesse, occasionnée
sans doute par des souffrances, passait parfois sur son visage.- Cette faiblesse
physique, c'est mon écharde dans la chair pour me garder dans l'humilité.-
Pourtant il n'y avait point d'orgueil en lui et il s'étonnait que Dieu l'eût
choisi pour accomplir un travail mondial.- Si les gens connaissaient ma faiblesse,
ils n'auraient pas tant d'admiration pour moi. J'ai besoin de vos prières, disait-il
à ses amis.
Il avait le pressentiment qu'il ne vivrait
pas longtemps, et désirait mourir pour être avec Christ, « ce qui
de beaucoup est le meilleur ». Christ remplissait sa vie et était au centre
de toutes ses pensées. « Pour moi, vivre c'est Christ. »- je n'ai
jamais vu quelqu'un, dira un ami, pour qui cette parole était à ce point
littéralement et absolument vraie.
La demeure de Christ en lui n'était
pas une conception intellectuelle, mais une profonde réalité. Il s'absorbait
durant des heures dans le monde spirituel et en ressortait renouvelé. Sa joie
en Christ restait inaltérable et dominait ses peines.- Ce n'était pas,
disait-il, seulement la joie dans la souffrance, mais la souffrance elle-même
était transformée en joie.- En 1924, il tint encore quelques réunions
bibliques. Elles furent presque toujours suivies de faiblesses de coeur qui le laissaient
inconscient pendant plusieurs heures.
Malgré son état si précaire,
il voulut, en avril 1927, partir encore une fois pour le Tibet. Il fit à pied
la longue route suivie par les pèlerins jusqu'à la place sacrée de
Babrinath. Avant d'atteindre le but de son voyage, il eut une violente hémorragie.
Le compagnon tibétain qui l'accompagnait le conduisit jusqu'à une station
où il prit le chemin de fer qui le ramena à Sabathou. Lentement il recouvra
ses forces et, en 1928, prit une part active à une convention chrétienne.
En automne, ceux qui le rencontrèrent à Kotgarh furent alarmés de
sa faiblesse croissante. Constamment il devait s'arrêter dans ses promenades
pour reprendre son souffle. Sa respiration lui faisait mal et l'effort d'une montée
lui donnait des palpitations.
Malgré cela, il envisageait pour le
printemps, une nouvelle expédition au Tibet. Ce voyage dans les hautes montagnes,
avec ses passages difficiles et périlleux, ne pouvait être entrepris que
par un montagnard vigoureux. Ses amis firent tout pour le dissuader, car c'était
clairement- dans l'état de faiblesse où il se trouvait- risquer sa vie.
Mais aucun pouvoir sur la terre n'était capable de convaincre le Sadhou d'abandonner
la tâche à laquelle il se sentait divinement appelé. Son intention
était de partir avec le Tibétain qui l'avait accompagné précédemment
et de suivre la même route des pèlerins jusqu'à une bifurcation plus
à l'est. Elle devait le conduire au Niti Pass à plus de 5000 mètres
d'altitude, avant qu'il pût atteindre l'intérieur du Tibet. Sundar voulait
visiter une famille chrétienne qui vivait, très isolée, près
du lac de Manasorawa.
Il avait promis à ses amis, et tout
spécialement à Mrs Parker, qu'il considérait comme une mère spirituelle,
d'envoyer un message dès qu'il le pourrait et de les prévenir en cas de
maladie. Il pensait rentrer par le même chemin en automne, si Dieu le permettait.
Un ami, M. Watson, fut chargé de recevoir sa correspondance et de répondre
aux lettres urgentes. Il laissa ses instructions à ses deux exécuteurs
testamentaires, au cas où il ne reviendrait pas. Il léguait tout ce qu'il
possédait pour le travail missionnaire au Tibet et pour encourager l'éducation
chrétienne des jeunes enfants. Envisageant la mort en face, il envoya à
ses amis, avant son départ, le passage des Actes 20. 22, 25 où Paul fait
ses adieux aux anciens d'Ephèse : « Lié par l'Esprit, je ne fais pour
moi aucun cas de ma vie, comme si elle m'était précieuse...Et maintenant
voici, je sais que vous ne verrez plus mon visage, vous tous au milieu desquels j'ai
passé en prêchant le royaume de Dieu. »
Sundar partit de Sabathou le 18 avril
1929, après avoir pris congé de chacun.
Et dès lors plus aucune nouvelle ; le
silence est absolu. Des mois s'écoulent ; ses amis sont inquiets. Deux d'entre
eux organisent une caravane, partent à sa recherche, et font un périlleux
voyage jusqu'au Tibet. Nulle trace du Sadhou ne fut retrouvée ; personne ne
l'avait vu ; personne n'avait entendu parler de lui.
Le gouvernement entreprit à son tour
des démarches officielles, examinant les registres des pèlerins aux différentes
haltes. Toutes les recherches furent vaines et durent être abandonnées.
En 1933, une courte notice parue dans le
« Times », et reproduite par de nombreux journaux, disait que, n'ayant
aucune nouvelle du Sadhou Sundar Singh depuis son départ pour le Tibet en 1929,
le gouvernement des Indes le considérait comme mort.
Pour beaucoup de ses amis, cependant, la
question restait ouverte. Deux éventualités étaient également
défendables. Les uns croyaient fermement que Sundar s'était retiré
dans quelque retraite de l'Himalaya pour y mener, loin du monde, une vie de prière.
D'autres qui le connaissaient mieux, pensaient qu'il était bien mort. N'avait-il
pas promis de donner signe de vie ? Ils étaient certains qu'il aurait tenu parole.
Et quatre années s'étaient écoulées. Ils se souvenaient aussi
de ce que Sundar avait toujours dit : « Dieu ne nous a pas créés pour
vivre solitaires, mais pour vivre parmi les hommes afin de les aider. Si nous sommes
en Christ, nous ne pouvons faire autrement que de servir nos frères. »
Il est facile de se représenter que
Sundar peut avoir succombé le long de la route des pèlerins, où sévissait
alors une violente épidémie de choléra. Son corps aurait-il été
jeté dans la rivière avec tant d'autres, sans être identifié
par personne ? Aurait-il disparu dans les grandes solitudes de l'Himalaya, loin de
toute habitation humaine ? Avec sa mauvaise vue, sa frêle santé, un accident
pouvait facilement lui arriver sur ces pentes glacées, et sur ces sentiers étroits
longeant des précipices. Il pouvait être tombé dans un gouffre sans
laisser de traces.
Toujours il avait espéré mourir
en martyr. Il semble cependant peu probable qu'il ait pu atteindre le Tibet et périr
de la main des hommes. Toutes ces questions restent sans réponse, et nous ne
pouvons que nous incliner devant ce mystère que Dieu a voulu laisser subsister.
Et Sundar ne nous avait-il pas dit lui-même
: « Ne pensez pas : il est mort, mais dites : il est entré dans le ciel
et dans la gloire éternelle, il est avec Christ dans la vie parfaite. »
Mais que le Sadhou soit parti de mort violente,
ou qu'il ait été enlevé sans souffrances, la parole prononcée
jadis par la Genèse sur Hénoc s'impose à notre esprit : « Il
marcha avec Dieu ; puis il ne fut plus, parce que Dieu le prit. »
Sundar Singh n'est plus. Mais son
exemple et son message demeurent.
Ne serons-nous pas attentifs à
la voix de ce témoin du Christ ?
Et c'est par une émouvante
prière de Sundar Singh que
nous désirons clore la relation de cette vie,
tout entière consacrée
à Dieu. - et qui
doit être pour nous un appel
PRIÈRE
DU SADHOU SUNDAR SINGH
O Seigneur Dieu, tu es mon
tout, vie de ma vie, Esprit de mon esprit.
Use de miséricorde
envers moi et remplis moi de ton Saint-Esprit d'amour,
afin qu'il n'y ait plus de
place en mon coeur pour quoi que ce soit d'autre.
Ce ne sont pas tes grâces
que je réclame, mais toi-même;
tu es la source de toute bénédiction.
Je ne demande pas la gloire
du monde, ni même le ciel;
mais j'ai besoin de toi, car
là ou tu es, là est le ciel.
En toi seul mon coeur trouve
satisfaction et plénitude.
Tes multiples bontés
font déborder mon coeur de gratitude et de louange.
Mais la louange de mes lèvres
ne suffit pas,
tant que je ne pourrai te
prouver par mes actes,
que ma vie est entièrement
à ton service.
Louange à toi de ce
que tu m'as fait passer de la mort à la vie,
tout indigne que j'étais,
et m'as fait jouir de ta communion et de ton amour.
Ote de mon coeur tout ce qui
pourrait s'opposer à toi, habite et règne en moi.
Maître, être assis
à tes pieds est infiniment meilleur que d'être assis
sur le trône le plus
élevé de la terre,
car cela signifie habiter
toujours avec toi, dans ton royaume éternel!
Et maintenant, je m'offre
à toi comme un vivant sacrifice.
Accepte-moi dans ta miséricorde
et emploie-moi à ton service,
là où tu veux
et comme tu veux, car tu es à moi et je suis à toi.
Tu pris cette poignée
de poussière, tu me créas à ton image
et m'accordas le droit de
devenir ton fils.
Honneur, louange et gloire
te soient donnés d'éternité en éternité
!
Amen