2. C'est pour tous ceux qui sont réellement
pieux et sages un devoir commandé par la
raison, de chérir et d'honorer exclusivement
la vérité, en renonçant à suivre les opinions
anciennes si elles s'en écartent. Car
non seulement cette loi de la raison ordonne de fuir
ceux qui font et enseignent le mal, mais il
faut encore que l'ami de la vérité s'attache,
fût-ce même au péril de
sa vie et y trouvât-il danger de mort, à strictement observer
la
justice dans ses paroles et dans ses actions.
Or, vous tous qui vous entendez partout
appeler pieux et sages, gardiens de la justice
et amis de la science, il va être prouvé si vous
l'êtes en effet. Car nous n'avons pas
composé cet écrit pour vous flatter ni pour gagner
vos bonnes grâces: nous venons pour
vous demander d'être jugés d'après les préceptes
de
la saine raison, et pour empêcher aussi
qu'entraînés par la prévention, par trop de
condescendance aux superstitions des hommes,
par un mouvement irréfléchi, par de
perfides rumeurs que le temps a fortifiées,
vous n'alliez porter une sentence contre
vous-mêmes. Car tant que l'on ne nous
convaincra pas d'être des malfaiteurs et des
méchants, on ne pourra pas nous faire
de mal. Vous, vous pouvez nous tuer, mais nous
nuire, jamais.
3. Et pour que ces paroles ne vous semblent
ni téméraires ni déraisonnables, nous vous
supplions de rechercher les crimes dont on
nous accuse. S'ils sont prouvés, que l'on nous
punisse comme cela est juste: que l'on nous
punisse même avec plus de sévérité. Mais
aussi, si vous ne trouvez rien à nous
reprocher, la saine raison ne s'oppose-t-elle pas à ce
que, sur des bruits calomnieux, vous persécutiez
des innocents, ou plutôt à ce que vous ne
vous fassiez tort à vous-mêmes,
en suivant moins les inspirations de l'équité que celles
de
la passion? Tout homme sensé conviendra
que la plus belle garantie et la condition
essentielle de la justice est, d'une part,
pour les sujets, la faculté de prouver l'innocence de
leurs paroles et de leurs actions, et, d'autre
part, pour les gouvernants, cette droiture qui
leur fait rendre leurs sentences dans un esprit
de piété et de sagesse, et non pas de violence
et de tyrannie. Alors souverains et sujets
jouissent d'un vrai bonheur. Car un ancien l'a
dit: «Si les princes et les peuples
ne sont pas philosophes, il est impossible que les états
soient heureux.» Ainsi donc c'est à
nous d'exposer aux yeux de tous notre vie et notre
doctrine, pour qu'à tous ceux qui peuvent
ignorer nos préceptes, nous leur fassions
connaître les châtiments que,
sans s'en douter, ils encourent par leur aveuglement: et c'est
à vous de nous écouter avec
attention, comme la raison vous l'ordonne, et de nous juger
ensuite avec impartialité. Car, si
en pleine connaissance de cause, vous ne nous rendiez
pas justice, quelle excuse vous resterait-il
devant Dieu?
4. Ce n'est pas sur le simple énoncé
du nom et abstraction faite des actions qui s'y
rattachent que l'on peut discerner le bien
ou le mal. Car, à ne considérer que ce nom qui
nous accuse, nous sommes irréprochables.
Mais, comme, au cas ou nous serions
coupables, nous tiendrions pour injuste de
devoir à un nom seul notre absolution, de
même, s'il est prouvé que notre
conduite n'est pas plus coupable que notre nom, votre
devoir est de faire tous vos efforts pour
empêcher qu'en persécutant injustement des
innocents, vous ne fassiez affront à
la justice. Le nom seul en effet ne peut
raisonnablement pas être un titre à
la louange ou au blâme, s'il n'y a d'ailleurs dans les
actes rien de louable ou de criminel. Les
accusés ordinaires qui paraissent devant vous,
vous ne les frappez qu'après les avoir
convaincus: et nous, notre nom suffit pour nous
condamner. Et pourtant, à ne considérer
que le nom, vous devriez bien plutôt sévir contre
nos accusateurs. Nous sommes chrétiens:
voilà pourquoi l'on nous accuse: il est pourtant
injuste de persécuter la vertu. Que
si quelqu'un de nous vient à renier sa qualité et à
dire:
Non, je ne suis pas chrétien, vous
le renvoyez comme n'ayant rien trouvé de coupable en
lui: qu'il confesse, au contraire, courageusement
sa foi, cet aveu seul le fait traîner au
supplice, tandis qu'il faudrait examiner et
la vie du confesseur et la vie du renégat, et les
juger chacun selon leurs oeuvres. Car, si
ceux qui ont appris du Christ leur maître à ne
pas se parjurer donnent par leur fermeté
dans les interrogatoires le plus persuasif exemple
et la plus puissante exhortation, ceux-là
aussi qui vivent dans l'iniquité fournissent
peut-être un prétexte à
toutes les accusations d'impiété et d'injustice que l'on
intente aux
chrétiens; mais ce n'est certes pas
là de l'équité. En effet, parmi tous ceux qui se parent
du
nom et du manteau de philosophes, il en est
beaucoup aussi qui ne font rien de digne de
ce titre, et vous n'ignorez pas que, malgré
la plus complète contradiction dans leurs idées
et leurs doctrines, les maîtres anciens
ont tous été compris sous la dénomination unique
de philosophes. Quelques-uns d'entre eux ont
enseigné l'athéisme. Dans leurs chants, vos
poètes célèbrent les
incestes de Jupiter avec ses enfants. Et à tous ceux qui donnent
de
pareilles leçons, vous ne leur fermez
pas la bouche: que dis-je? Pour prix de leurs
pompeuses insultes, vous les comblez d'honneurs
et de récompenses!
5. Pourquoi donc tant de haine contre nous?
nous nous déclarons les ennemis du mal et
de toutes ces impiétés, et vous
n'examinez pas notre cause: loin de là, victimes de votre
aveugle emportement, tournant sous le fouet
des génies du mal, vous vous inquiétez peu
de nous punir au mépris de toute justice.
Or écoutez: car il faut que la vérité se fasse jour.
Quand autrefois les génies du mal eurent
manifesté leur présence en enseignant l'adultère
aux femmes, la corruption aux enfants, et
en frappant les hommes d'épouvante; alors,
sous le coup de cette immense terreur, le
monde entier, abdiquant les conseils de la raison,
cédant à l'effroi, et aussi
ignorant la pernicieuse méchanceté de ces démons,
le monde en
fit des dieux et les révéra
sous le nom qu'ils s'étaient eux-mêmes choisi. Et si, dans
la
suite, Socrate, avec la puissance et la droiture
de sa raison, tenta de dévoiler ces choses et
d'arracher les hommes au joug des démons,
ceux-ci mirent aussitôt en oeuvre la malignité
de leurs adorateurs, et Socrate, accusé
d'enseigner le culte de génies nouveaux, fut
condamné à mort comme impie
et comme athée. Même conduite envers nous. Car ce
n'est pas seulement au milieu des Grecs que
le Verbe a fait, par l'organe de Socrate, de
semblables révélations; il a
parlé au milieu des barbares; mais alors il était incarné:
il
s'était fait homme et s'appelait Jésus-Christ.
Et nous, qui avons mis notre foi dans ce
Verbe, nous disons que tous ces démons-là,
loin d'être bienfaisants, ne sont que de
perfides et de détestables génies,
puisqu'ils agissent comme ne ferait pas un homme
quelque peu jaloux de pratiquer la vertu.
6. De là vient qu'on nous appelle athées.
Athées; oui certes, nous le sommes devant de
pareils dieux, mais non pas devant le Dieu
de vérité, le père de toute justice, de toute
pureté, de toute vertu, l'être
de perfection infinie. Voici le Dieu que nous adorons, et avec
lui son fils qu'il a envoyé et qui
nous a instruits, et enfin l'esprit prophétique; après eux,
l'armée des bons anges, ses satellites
et ses compagnons reçoivent nos hommages. Devant
eux nous nous prosternons avec une vraie et
juste vénération. Voilà ce culte tel que nous
l'avons appris et tel que nous sommes heureux
de le transmettre à tous ceux qui sont
désireux de s'instruire.
7. On nous dira peut-être: Des chrétiens
arrêtés ont été convaincus de crime. Ne vous
arrive-t-il pas sans cesse, quand vous avez
examiné la conduite d'un accusé, de le
condamner? Mais, si vous le condamnez, est-ce
parce que d'autres ont été convaincus
avant lui? Nous le reconnaissons sans peine,
en Grèce la dénomination unique de
philosophes s'est étendue à
tous ceux qui ont été les bienvenus à y exposer leurs
doctrines,
toutes contradictoires qu'elles pussent être;
de même, parmi les barbares une qualification
accusatrice s'est attachée à
tous ceux qui se sont mis à pratiquer et à enseigner la sagesse:
on les a tous appelés chrétiens.
C'est pour cela que nous vous supplions d'examiner les
accusations dont on nous accable, afin que,
si vous rencontrez un coupable, il soit puni
comme coupable et non pas comme chrétien;
mais que, si vous trouvez un innocent, il soit
absous comme chrétien et comme innocent.
Alors, croyez-le bien, nous ne vous
demanderons pas de sévir contre nos
accusateurs; ils sont assez punis par la conscience de
leur perfidie et par leur ignorance de la
vérité.
8. Remarquez-le d'ailleurs; c'est uniquement
à cause de vous que nous donnons ces
explications. Car à vos interrogatoires
nous pourrions nous contenter de répondre non;
mais nous ne voudrions pas de la vie achetée
par un mensonge. Tous nos désirs tendent à
cette existence, éternelle, incorruptible,
au sein de Dieu le père et le créateur de l'univers;
et nous nous hâtons de le confesser
hautement, persuadés fermement que ce bonheur est
réservé à ceux qui par
leurs oeuvres auront témoigné à Dieu leur fidélité
à le servir et leur
zèle ardent à conquérir
cette céleste demeure, inaccessible au mal et au péché.
Voilà en
peu de mots quelles sont nos espérances,
les leçons que nous avons reçues du Christ et les
préceptes que nous enseignons. Platon
a dit de Rhadamanthe et de Minos que les méchant
étaient traduits à leur tribunal
et y recevaient leur châtiment: nous, nous disons cela du
Christ; mais, selon nous, le jugement frappera
les coupables en corps et en âme, et le
supplice durera, non pas seulement une période
de mille années, comme le disait Platon,
mais l'éternité tout entière.
Que si cela paraît incroyable, impossible, nous répondrons
que c'est la tout au plus une erreur sans
conséquence dangereuse, et qu'il n'y a pas là
matière au plus léger reproche.
9. Si nous ne nous couronnons pas de fleurs, si nous ne sacrifions pas de victimes en l'honneur
de tous ces dieux que la main des hommes a taillés et qu'elle a dressés dans les temples, c'est
que dans cette matière brute et inanimée nous ne voyons rien qui ait même une ombre de
divinité (en effet, il nous est impossible de croire que Dieu ressemble à ces images que l'on
prétend faites en son honneur). Non, ce sont là les simulacres et les insignes de ces génies du
mal dont nous parlions naguère. Est-il donc besoin de vous le dire, et ne savez-vous pas bien
comment les artistes travaillent la matière, comme ils la taillent et la sculptent, comme ils la
fondent et la battent? Et combien de fois les vases les plus ignobles, n'ayant fait sous la main
de l'ouvrier que changer de forme et de figure, ne sont-ils pas devenus des dieux? Voila ce qui
à nos yeux est une absurdité, et, de plus, un outrage à la majesté divine, puisqu'au mépris de la
gloire et de l'ineffable substance de Dieu, son saint nom est prostitué à de viles et corruptibles
créations. Tous ces artistes eux-mêmes, ce sont des impies, vous ne l'ignorez pas. Ils sont
livrés à tous les vices; et, pour n'en citer qu'un trait, ne vont-ils pas jusqu'à outrager les jeunes
filles qui partagent leurs travaux? Stupidité incroyable! C'est à des débauchés qu'il est donné
de créer et de faire ces dieux devant qui le monde va se prosterner! Et voila les gardiens du
sanctuaire de ces divinités! et on ne comprend pas tout ce qu'il y a de criminel à penser et à
dire que des hommes sont les gardiens des dieux!
10. Quant à nous, nous savons que Dieu n'a pas besoin des offrandes matérielles des hommes,
lui qui possède toutes choses; mais nous avons appris et nous tenons pour véritable qu'il agrée
ceux qui tachent d'imiter ses perfections et de pratiquer la pureté, la justice, la charité, enfin
toutes les perfections de ce Dieu ineffable. C'est lui qui dans sa bonté souveraine a daigné
tirer le monde du chaos primitif pour le donner aux hommes; c'est lui qui leur a promis aussi,
s'ils se montrent par leurs œuvres dignes des desseins de la Providence, de leur accorder, dans
le sein de sa gloire la couronne incorruptible de l'immortalité. Car, si dans l'origine, lorsque
nous n'étions pas encore, il a bien voulu nous créer, de même aussi il accordera l'éternelle
jouissance de sa gloire à ceux qui se seront efforcés de choisir les moyens de lui plaire. En
effet, il ne dépendait pas de nous d'être crées; tandis que, pour nous attacher a ce qui peut
plaire à Dieu, il suffit d'employer les forces de la raison qu'il nous a donnée, il suffit de céder
aux inspirations et aux lumières de la foi que sa grâce nous prodigue chaque jour. Aussi
regardons-nous comme de la plus haute importance pour tous les hommes, non seulement de
ne pas être détournés de ces enseignements, mais d'y être, au contraire, puissamment
encouragés. Car ce que n'avaient pas pu faire les lois humaines, l'esprit divin l'aurait fait, si les
démons, appelant à leur aide la nature perverse et les mauvaises passions de chacun, n'avaient
inventé et répandu contre nous, malgré notre innocence, les plus odieuses calomnies et les
plus perfides accusations.
11. Quand vous nous entendez parler de ce royaume, objet de nos espérances, vous vous
imaginez bien à tort qu'il s'agit d'un royaume humain: non, nous parlons du royaume de Dieu.
Ce qui le prouve, c'est que nous confessons hautement devant vous notre titre de Chrétiens,
quoique nous n'ignorions pas que cet aveu vaut la mort. Et ne voyez-vous pas que, si nous
attendions une couronne humaine, nous renierions notre foi, nous prendrions le plus grand
soin de nous cacher pour conserver notre vie et pour arriver au but de nos désirs? Mais non,
nos espérances ne sont pas dans le temps, et alors nous nous rions des bourreaux; car, après
tout, ne faut-il pas mourir?
12. Certes vous trouvez en nous les plus utiles amis et les plus zélés partisans de l'ordre et de
la paix, puisque, d'après notre doctrine, nul ne peut se soustraire aux regards de Dieu: le
méchant, l'avare, le perfide, pas plus que le vertueux et le juste, et qu'en raison de ses œuvres,
chacun marche au supplice ou au salut éternels. Si tous les hommes étaient bien persuades de
cette vérité, quel est celui qui voudrait commettre un crime d'un instant avec la conscience
d'avoir à l'expier par les tourments du feu éternel? Avec quel soin, au contraire, chacun ne se
contiendrait-il pas, ne s'ornerait-il pas de toutes les vertus, autant pour éviter le châtiment que
pour mériter la récompense promise! Ce n'est jamais la crainte de vos lois et de vos peines qui
fait chercher au coupable le moyen de se cacher; car il sait bien, quand il commet son crime,
que vous êtes des hommes, et que l'on échappe à votre justice. Mais, s'il était persuadé que
Dieu ne peut rien ignorer, pas une action, pas même une pensée, alors peut-être l'imminente
frayeur du supplice lui ferait pratiquer la vertu; vous n'en disconviendrez pas. Et pourtant il
semblerait que vous redoutez de voir tous vos sujets vertueux, que vous craigniez de n'avoir
plus à frapper. Ce serait là agir en bourreaux, et non pas en bons princes. Tout cela, nous le
croyons fermement, est l'œuvre de ces perfides démons, divinités auxquelles sacrifient les
méchants et les insensés. Mais vous, princes, qui aimez la piété et la sagesse, vous n'agirez pas
ainsi contre toute raison. Que si, dans un semblable esprit de démence, vous préfériez écouter
le préjugé et faire taire la vérité, déployez alors toute votre puissance. Les princes eux-mêmes,
quand ils sacrifient la vérité à l'opinion, ne sont pas plus forts que de misérables brigands dans
le désert. Et prenez-y garde, car il vous en arrivera malheur: c'est la Parole lui-même, de tous
les princes le plus royal et le plus saint avec Dieu son père, qui vous le déclare. Or comme
personne n'est jaloux de reçueillir en héritage la pauvreté, la douleur ou la honte, tout homme
sensé se gardera bien de suivre les voies interdites par la Parole. D'ailleurs toutes ces
persécutions dont j'ai parlé, elles ont été prédites par notre maître, le fils et l'envoyé du père et
du souverain de l'univers, Jésus-Christ, à qui nous devons notre glorieux nom de Chrétiens. Et,
nous vous le demandons, notre foi dans sa parole ne devient-elle pas inébranlable quand nous
voyons toutes ses prédictions se réaliser? C'est là l'œuvre de Dieu: il parle, il annonce l'avenir,
et l'événement s'accomplit tel qu'il l'a prédit. Ici nous pourrions nous arrêter et ne plus rien
ajouter; nous avons prouvé la bonté de notre cause et la justice de nos réclamations. Mais il
est difficile, nous le savons, de convaincre un esprit possédé par l'ignorance. Aussi, pour
achever de convaincre les sincères amis du vrai, nous avons résolu d'ajouter encore quelques
mots, dans la persuasion que l'éclat de la vérité pourra dissiper les ténèbres de l'erreur.
13. Est-il maintenant un homme raisonnable qui oserait dire que nous sommes des athées,
nous qui adorons le créateur de l'univers? Notre Dieu n'a pas besoin de sang, ni de parfums, ni
de libations: les offrandes dignes de lui sont des hymnes de piété et de reconnaissance. La
vraie manière de l'honorer, ce n'est pas de consumer inutilement par le feu les choses qu'il a
créées pour notre subsistance, mais de nous servir de ces aliments, de les partager avec les
pauvres, et aussi, dans un juste sentiment de gratitude, de célébrer la gloire divine par de
saints cantiques: nous le savons, et en conséquence nous le bénissons de toutes nos forces et
nous lui rendons grâces pour la vie qu'il nous a donnée, pour les soins qu'il prend de notre
existence, pour les diverses qualités des choses, pour les changements des saisons, et surtout
pour cette immortalité future, magnifique récompense promise à notre foi. Avec ce Dieu
suprême nous adorons encore deux autres personnes: celui qui est venu pour nous enseigner
sa doctrine, Jésus-Christ notre maître, crucifié en Judée sous Ponce-Pilate, du temps de
Tibère-César, véritablement fils de Dieu; et enfin l'Esprit prophétique, culte éminemment
raisonnable, comme nous vous le démontrerons. A ce propos on crie à la folie: quelle
absurdité, en effet, de placer à côté du Dieu immuable et éternel, à côté du créateur du monde,
un homme crucifié! C'est qu'il y a là un mystère que vous ignorez: nous allons vous le
découvrir. Écoutez et prêtez-nous toute votre attention.
14. Avant tout, nous vous en prévenons, prenez bien garde de ne pas vous laisser séduire par
la malice des démons soulevés contre nous; prenez garde qu'ils ne vous détournent de nous
lire et de nous comprendre (car ils emploient tout leur pouvoir à vous vaincre, à vous asservir;
et par les visions du sommeil comme par les prestiges de la magie, ils enveloppent et
saisissent tous ceux qui ne veillent pas et ne combattent pas pour leur salut). Aussi, dès que
nous avons cru à la Parole, nous sommes-nous éloignes d'eux, et les avons-nous fuis pour nous
attacher invinciblement par Jésus-Christ au Dieu incrée. Autrefois nous prenions plaisir à la
débauche, aujourd'hui la chasteté seule fait nos délices. Nous avions recours aux sortilèges et
à la magie, et maintenant nous nous dévouons tout entiers au Dieu bon et immortel. Au lieu de
cette ambition et de cette insatiable avidité qui nous dévoraient, maintenant une douce
communauté nous réunit; tout ce que nous possédons, nous le partageons avec les pauvres.
Les haines, les meurtres dévastaient nos rangs; la différence de moeurs et d'institutions nous
faisaient refuser à l'étranger l'hospitalité de notre foyer; et maintenant, depuis la venue du
Christ, une fraternelle charité nous unit; nous prions pour nos ennemis; ceux qui nous
persécutent, nous tâchons de les convaincre: nous nous efforçons de leur persuader que tous
ceux qui suivent les divins préceptes du Christ ont droit d'espérer comme nous la récompense
promise par le maître de l'univers. Mais pour que l'on ne nous accuse pas de vouloir vous
payer de paroles, il ne sera pas inutile, je pense, de vous rappeler, avant d'en venir a la
démonstration, quelques-uns des préceptes du Christ; et nous nous en remettrons à vous
comme à de puissants et d'équitables princes, pour juger si nos enseignements sont conformes
à ceux que nous a donnés notre maître. Ses maximes sont brèves et concises; car ce n'était pas
un sophiste, mais la puissance de la parole de Dieu était en lui.
15. Voici ce qu'il dit de la chasteté: "Quiconque aura regardé une femme pour la convoiter a
déjà commis l'adultère dans son cœur." Et: "Que si votre oeil droit vous scandalise; arrachez-
le et jetez-le loin de vous; il vaut mieux n'avoir qu'un oeil et entrer dans le royaume des cieux,
qu'avoir deux yeux et être jeté dans le feu éternel." Et: "Celui qui épouse la femme répudiée
par un autre homme commet un adultère." Et: "II y a des eunuques sortis tels du sein de leur
mère; il y en a que les hommes ont fait eunuques, et il y en a qui se sont faits eunuques eux-
mêmes en vue du royaume des cieux; mais tous n'entendent pas cette parole." Ainsi ceux qui,
selon la loi des hommes, contractent un second mariage après leur divorce, comme ceux qui
regardent une femme pour la convoiter, sont coupables aux yeux de notre maître; il condamne
le fait et jusqu'à l'intention de l'adultère; car Dieu voit non seulement les actions de l'homme,
mais même ses plus secrètes pensées. Et pourtant combien d'hommes et de femmes sont
parvenus à plus de soixante et soixante-dix années, qui, nourris depuis leur berceau dans la foi
du Christ, sont restes purs et irréprochables durant leur longue carrière! Ce fait se retrouve
dans les peuples de toute contrée; je m'engage à le prouver. Et faut-il à ce propos rappeler la
multitude innombrable de ceux qui ont rompu avec le vice pour se captiver sous l'obéissance
de la foi? car ce ne sont pas les hommes chastes et saints que le Christ convie au repentir, se
sont les impies, les débauchés, les méchants. II le dit lui-même: "Je ne suis pas venu appeler
les justes à la repentance, mais les pécheurs; car le Père céleste aime mieux le repentir que le
châtiment du pécheur. Écoutez maintenant ce que dit le Christ sur la charité envers tous: "Si
vous aimez ceux qui vous aiment, que faites-vous de nouveau? Les impudiques en font autant.
Mais moi je vous dis: Aimez vos ennemis; faites du bien à ceux qui vous haïssent; bénissez
ceux qui vous maudissent; et priez pour ceux qui vous calomnient." Sur l'obligation de donner
aux pauvres et de ne rien faire pour la vaine gloire, voulez-vous savoir ce qui nous est
présent: "Donnez à celui qui vous demande: Ne refusez pas à celui qui veut emprunter de
vous; car si vous prêtez à ceux de qui vous croyez recevoir, quel gré vous en saura-t-on? Les
publicains en font autant. N'amassez pas de trésors sur la terre, ou la rouille et les vers
dévorent, et ou les voleurs fouillent et dérobent; mais amassez des trésors dans le ciel, ou ni la
rouille ni les vers ne dévorent; car que sert à un homme de gagner l'univers entier et de perdre
son âme? Et qu'est-ce que l'homme donnera en échange pour son âme? Amassez donc des
trésors dans le ciel, ou ni les vers ni la rouille ne dévorent." Et: "Soyez doux et miséricordieux
comme votre Père est doux et miséricordieux; lui qui fait lever son soleil sur les bons comme
sur les méchants. Ne vous inquiétez point pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour
votre corps ou vous trouverez des vêtements. Ne valez-vous pas mieux que les oiseaux et les
bêtes? et Dieu les nourrit. Ne vous inquiétez donc pas pour votre vie de ce que vous
mangerez, ni pour votre corps ou vous trouverez des vêtements; car votre père céleste sait que
vous avez besoin de tout cela. Cherchez le royaume de Dieu, et ces choses vous seront
données par surcroît. L'âme de l'homme est la où est son trésor." Et: "Ne faites pas ces choses
pour être en spectacle aux hommes; car autrement vous ne gagnerez pas la récompense
promise par votre Père qui est dans les cieux."
16. Faut-il nous rendre humbles, serviables, patients? Voici ses préceptes: "Si l'on vous frappe
sur une joue, tendez l'autre; si l'on vous enlève votre manteau, donnez aussi votre tunique.
Celui qui se met en colère s'expose au feu éternel. Si quelqu'un vous force à le suivre pendant
un mille, accompagnez-le pendant deux; et que vos bienfaits brillent aux yeux des hommes,
de sorte que, les voyant, ils admirent votre Père qui est dans les cieux." Dieu ne nous permet
pas de nous révolter: il ne veut pas que nous nous fassions les imitateurs des méchants; au
contraire, il nous engage à employer la patience et la douceur pour arracher les hommes à
l'avilissement des mauvaises passions. C'est ce dont nous pourrions facilement trouver des
preuves parmi vous, en vous citant tous ceux qui ont changé leurs habitudes de violence et de
tyrannie, vaincus par l'expérience journalière et par l'exemple de la pureté de leurs voisins; par
la vue de leur admirable patience à supporter les outrages, ou enfin par l'examen de leur
conduite et de leurs moeurs. Nous ne devons pas jurer, et nous sommes obligés de dire
toujours la vérité. Écoutez: "Ne jurez en aucune manière: que si c'est oui, dites oui; que si c'est
non, non; ce que vous ajouteriez de plus serait mal." La loi de l'adoration d'un seul Dieu, voici
comme il nous l'impose: "C'est ici le plus grand commandement: tu adoreras le Seigneur ton
Dieu, et tu rendras à lui seul le culte souverain de tout ton cœur et de toute ta force, car c'est
ton Seigneur Dieu qui t'a fait." Un homme s'approche de Jésus, en lui disant: "maître parfait!
Nul n'est parfait que Dieu seul, le créateur du monde, "répond Jésus. Et pour être reconnu
comme chrétien, il ne suffit pas de proclamer de bouche la doctrine du Christ, il faut la suivre
dans toutes les actions de la vie; car ce n'est pas à ceux qui parlent, mais à ceux qui agissent
que le salut éternel est promis. Écoutez: "Tous ceux qui me disent: Seigneur, Seigneur,
n'entreront pas dans le royaume des cieux: celui-là y entrera qui fait la volonté de mon Père
qui est dans les cieux; car celui qui m'écoute et fait ce que je dis écoute celui qui m'a envoyé.
II y en a beaucoup qui me disent: Seigneur, Seigneur, est-ce que nous n'avons pas bu et mangé
en votre nom? est-ce que nous n'avons pas fait des miracles? Et alors, moi je leur dirai: Loin
de moi, artisans d'iniquité! Et alors, il y aura là des pleurs et des grincements de dents; et les
justes brilleront comme le soleil, et les méchants seront précipités au feu éternel. Et, en effet,
vous en verrez beaucoup venir en mon nom, qui au dehors seront revêtus de peaux de brebis,
et au dedans sont des loups ravissants. Vous les connaîtrez par leurs œuvres; et tout arbre ne
portant pas de bons fruits sera coupée et jeté au feu." Châtiez donc tous ces gens qui ne sont
Chrétiens que de nom, et se conduisent en dépit des enseignements du Christ; châtiez-les, nous
vous le demandons.
17. Nous sommes les premiers à payer les tributs entre les mains de ceux que vous avez
préposés à la levée des impôts, car c'est encore là un précepte du Christ. Des Juifs étant venus
un jour lui demander s'il fallait payer le tribut à César: "Dites-moi, je vous prie, de qui cette
pièce d'argent porte-t-elle l'effigie? De César, "répondirent-ils. "Rendez donc à César ce qui
est à César, et a Dieu ce qui est à Dieu." Aussi nous n'adorons que Dieu, et pour tout le reste
nous vous obéissons de grand cœur, nous plaisant à reconnaître en vous les princes et les
chefs des peuples, et priant Dieu de vous accorder avec la souveraine puissance le don de la
sagesse et de la raison. Que si, après tout, vous dédaignez nos prières, si vous méprisez nos
suppliques et nos discours, nous ne nous en plaindrons pas et nous n'y perdrons rien; car, nous
le croyons avec toute l'énergie de la conviction, chacun expiera ses actes dans le feu de
l'éternité, chacun rendra compte en raison de ce qu'il aura reçu. C'est le Christ qui nous
l'enseigne par cette parole: "Celui qui aura reçu davantage, il lui sera demande davantage."
18. Tournez les regards vers les empereurs qui vous ont précédé. Ils ont suivi la loi commune;
ils sont morts comme tous les hommes. La mort devait-elle les plonger dans l'insensibilité du
néant? Non, ce serait pour les méchants une faveur exorbitante. L'existence n'abandonne pas
ceux qui ont vécu, et les supplices éternels les saisissent au sortir de ce monde. Écoutez, prêtez la plus grande attention: croyez surtout; car tout ceci est la vérité. Tous les prestiges de
la nécromancie, l'inspection du cadavre palpitant d'un enfant, la révocation des âmes humaines,
le ministère de tous ceux que les magiciens appellent les dispensateurs et les satellites des
songes, les opérations de ces adeptes, en est-ce assez pour vous faire croire que l'âme après la
mort conserve sa sensibilité? Faut-il vous parler de ceux que vous voyez saisis et subjugués
par les âmes des morts, furieux et démoniaques aux yeux de tous, oracles à vos yeux, les
Amphiloques, les Pythies, les Dodonées et mille autres? Voulez-vous les témoignages des
écrivains, d'Empedocle et de Pythagore, de Platon et de Socrate? Et le gouffre infernal
d'Homère, et la descente d'Ulysse dans ce Tartare, et tant d'autres auteurs? Eh bien! nous ne
vous demandons qu'une chose, c'est de nous mettre à l'égal de tous ces écrivains, nous qui
croyons autant et bien plus qu'eux en la divinité, puisque nous espérons voir un jour nos corps
eux-mêmes, cadavres enfouis dans la terre, se relever pour nous recevoir une seconde fois;
car, nous le disons, rien n'est impossible à Dieu.
19. Certes, à y réfléchir attentivement, ne nous semblerait-il pas incroyable, si nous n'avions
pas nos corps, d'entendre quelqu'un nous dire: Vous voyez ces chairs, ces os, ces nerfs, toute
cette substance de l'homme, quelques gouttes de liqueur séminale suffisent pour la former et
la produire? Or, raisonnons dans cette hypothèse: oubliez un instant votre humanité et votre
origine, et supposez que l'on présente à vos regards, d'un côté l'image d'un homme, et de
l'autre cette faible semence, et qu'on vous dise: Ceci peut produire cela; croiriez-vous une
pareille assertion avant de l'avoir vue réalisée? Personne n'osera dire que oui. Eh bien!
cependant, vous ne croyez pas à la résurrection des morts. Nous n'avons pas vu de mort
ressuscite, dites-vous? Et la possibilité de la génération par des moyens aussi débiles, vous ne
l'auriez pas crue d'abord; cependant vous en voyez partout le phénomène accompli chaque
jour. Conséquemment vous devez admettre la possibilité d'une résurrection pour ces cadavres
corrompus que la dissolution a presque réduits à l'état de semence. Vous devez croire qu'à la
parole de Dieu ils pourront bien, au jour marqué, se redresser et revêtir l'immortalité. Et, en
effet, serait-ce donner une idée convenable de la puissance divine que de dire avec certaines
gens: Chaque chose retourne à l'élément d'où elle est sortie, et Dieu même ne peut rien faire
de contraire à cette loi? Non, nous ne pouvons accorder une opinion semblable. Mais ce que
nous en concluons, c'est que ceux qui la défendent n'auraient jamais cru à la possibilité de leur
propre création, de celle du monde entier, tel qu'il est, et avec l'origine qu'ils lui voient. Plutôt
que de partager leur incrédulité, ajoutons foi à ces mystères incompréhensibles pour notre
humaine nature: c'est le parti le plus sage, c'est la doctrine de Jésus-Christ; car ne nous a-t-il
pas dit: "Ce qui est impossible à l'homme est possible à Dieu." Et: "Ne craignez pas ceux qui
vous tuent, ils ne peuvent rien au-delà. Mais craignez celui qui, après la mort, peut précipiter
votre corps et votre âme dans la géhenne." Or, cette géhenne, c'est le lieu où sont torturés ceux
qui ont vécu dans l'iniquité et qui n'ont pas cru à la réalisation des paroles que Dieu nous a fait
annoncer par le Christ.
20. Et la Sibylle et Hystaspe vous disent que toute la nature corruptible périra par le feu; et
les philosophes de l'école stoïcienne prétendent que Dieu lui-même se résoudra en feu, et
qu'après la ruine universelle le monde renaîtra de nouveau. Mais nous, combien ne sommes-
nous pas supérieurs à ces doctrines versatiles, avec notre croyance en un Dieu créateur de
l'univers? Ainsi, non seulement nos doctrines ressemblent à celles des philosophes et des
poètes le plus en honneur auprès de vous, mais même, dans de certains points, nous parlons
un langage plus vrai et plus saint. Seuls enfin, nous prouvons nos assertions. Pourquoi donc
maintenant sommes-nous injustement poursuivis de la haine de tous? Dire que Dieu a tout
crée et tout ordonné dans le monde, n'est-ce pas répéter un dogme de Platon? L'idée de
l'embrasement universel nous est commune avec les stoïciens. Croire que les âmes des
méchants conservent la sensibilité après la mort, et qu'elles sont châtiées pour leurs crimes,
tandis que celles des justes évitent les supplices et jouissent de la félicité, ce n'est que partager
le sentiment des poètes et des philosophes. Quand enfin nous détournons les hommes d'adorer
des êtres pires qu'eux, nous ne faisons que rappeler les paroles de Ménandre le poète comique,
et de tous ceux qui ont écrit dans le même sens. Tous en effet ont proclamé que le créateur
était plus grand que la créature.
21. Et quand nous parlons de la Parole engendré de Dieu avant tous les siècles; quand nous
disons qu'il est né d'une vierge sans aucune coopération étrangère; qu'il est mort, et qu'après
être ressuscité il est monté au ciel; nos récits ne sont pas plus étranges que l'histoire de ces
personnages que vous appelez fils de Jupiter. Vous n'ignorez pas en effet combien vos plus
célèbres auteurs lui donnent d'enfants. C'est un Mercure, son interprète, sa Parole, chargé de
tout apprendre au monde; c'est un Esculape, qui, foudroyé pour avoir exercé son art de
médecin, est enlevé au ciel; un Bacchus, qui est mis en pièces; Hercule, qui se brûle pour faire
cesser ses travaux; les Dioscures, fils de Léda; Persée, fils de Danae; Bellerophon, que le
coursier Pégase ravit du milieu des mortels. Parlerai-je d'Ariane et de tous ceux qui comme
elle sont devenus des astres? Et tous vos empereurs, à peine sont-ils morts que vous vous
hâtez d'en faire des immortels, et ne trouvez-vous pas au besoin un témoin tout prêt à jurer
qu'il a vu César s'élever resplendissant de son bûcher vers les cieux? Au reste, il n'est pas
nécessaire de faire ici l'historique des hauts faits attribués à tous ces enfants de Jupiter; vous
les savez assez bien, et d'ailleurs ces récits n'ont été écrits que pour corrompre et dépraver
l'esprit qui les étudie, puisque chacun pense qu'il ne peut mieux faire que d'imiter les dieux. Y
a-t-il rien de plus contraire à la saine idée de la divinité que de représenter Jupiter, le
souverain et le père des dieux, comme fils d'un parricide et parricide lui-même, livré aux plus
honteuses débauches, poussant la brutalité jusqu'à abuser de Ganymède, jusqu'à déshonorer ce
prodigieux nombre de femmes d'où lui naquirent tous ces enfants, dignes imitateurs de leur
père? Ne voit-on pas là l'œuvre des génies du mal? Pour nous, notre doctrine nous apprend
que l'immortalité est réservée à ceux qui tâchent de ressembler à Dieu par la sainteté de leur
vie et la pratique de la vertu; tandis que le supplice du feu éternel attend ceux qui s'obstinent à
demeurer dans l'iniquité.
22. Quant à Jésus-Christ, que nous appelons le fils de Dieu, ne fut-il qu'un simple mortel, sa
sagesse lui mériterait ce titre; puisque tous les auteurs s'accordent à donner à la divinité le
nom de père des dieux et des hommes; que si, le croyant engendre d'une manière toute
particulière et surhumaine, nous l'appelons la Parole de Dieu, nous ne faisons que lui
appliquer la dénomination affectée à Mercure, puisqu'on en parle comme de la Parole, messager
de Dieu. Nous objectera-t-on qu'il a été crucifié; nous dirons qu'en cela il ressemble à tous
ceux des fils de Jupiter qui, selon vous, ont eu des tourments à souffrir. Loin d'être uniforme,
leur genre de mort a été très différent. Jésus aussi a eu son agonie à part. II ne le leur cède pas
même en cela. Combien au contraire ne les surpasse-t-il pas en tout! Hâtons-nous de le
prouver, ou plutôt la preuve est déjà faite; car c'est par les actions que se constate la
supériorité. Jésus est né d'une vierge? oui, il a cela de commun avec Persée. II guérissait les
boiteux et les paralytiques, les infirmes de naissance; il ressuscitait les morts. C'est ce que
vous racontez d'Esculape.
23. Mais, remarquez-le bien, si nous avons employée ce genre de preuves et ces assimilations,
c'est que nous voulions vous démontrer que la vérité se rencontre uniquement dans les leçons
du Christ et des prophètes ses prédécesseurs, plus anciens que tous vos écrivains; et quand
nous demandons d'être crus, ce n'est pas en raison de ces ressemblances, c'est en raison de la
vérité que nous annonçons, c'est parce que nous vous disons que Jésus-Christ est le fils unique
du Père, son premier-né, sa puissance, sa Parole; qu'il s'est fait homme par sa propre volonté,
et qu'il est venu nous instruire pour le salut et la régénération du monde. Or, avant qu'il parut
parmi les hommes, ces génies du mal, les démons dont nous avons déjà parlé, se sont servis
des poètes pour fausser d'avance le récit de ces grands événements, comme s'ils eussent déjà
eu lieu; et ainsi ils sont parvenus à inventer et à faire croire contre nous les accusations les
plus odieuses sans la moindre preuve et sans un seul témoin. Voila la raison de notre
argumentation.
24. Ainsi donc, en premier lieu, nous ne faisons que ce que font les Grecs, et pourtant seuls
nous souffrons persécution pour le nom du Christ. Nous ne commettons aucun crime, et on
nous tue comme des scélérats. Tout autour de nous on adore des arbres, des fleuves, des chats,
des souris, des crocodiles, des animaux de toute espèce. Et ce culte n'est pas universel; non,
chacun a son idole, en sorte que pour son voisin, dont il ne partage pas la croyance, c'est un
impie. Et le seul chef d'accusation que l'on puisse invoquer contre nous, c'est que nous
n'adorons pas vos dieux, que nous ne faisons aux morts ni libations ni offrandes; que nous ne
consacrons aux idoles ni couronnes ni victimes; des victimes! mais vous n'ignorez pourtant
pas que ce qui est ici une victime, là est un dieu, plus loin une brute.
25. En second lieu, remarquez-le bien, tandis que le genre humain entier se prosternait aux
pieds de Bacchus et d'Apollon, dont les infâmes débauches font horreur; tandis qu'il adorait
Proserpine et Vénus, dont vous célébrez dans vos mystères le honteux amour pour le jeune
Adonis; tandis qu'il rendait un culte à Esculape et à toute cette multitude de prétendus dieux;
nous, au nom de Jésus-Christ et au péril de notre vie, nous avons foulé aux pieds ces divinités,
et embrassé la foi à ce Dieu incrée, inaccessible au mal, et qui jamais ne descendit sur terre
pour séduire une Antiope ou abuser d'un Ganymède; non, jamais notre Dieu n'eut besoin, pour
se délivrer de ses chaînes, que Thetis implorât le secours du géant à cent bras; jamais pour
prix d'un tel service il ne sacrifia des milliers de Grecs à la colère d'Achille furieux de
l'enlèvement de sa Briseis. Ceux qui croient à de pareilles fables nous font pitié, et nous n'y
pouvons reconnaître que l'œuvre des démons.
26. En troisième lieu, lorsque par son ascension le Christ eut été enlevé au ciel, les démons
suscitèrent des hommes qui se prétendirent dieux: et vous, bien loin de les poursuivre, vous
les avez comblés d'honneurs. Un certain Simon, du bourg de Gitton, vint à Rome du temps de
l'empereur Claude. Aide par les malins esprits, il fit dans votre ville impériale quelques
prodiges de magie, et aussitôt on le prit pour un dieu, on lui éleva une statue comme à un
dieu. Cette statue est dans l'île du Tibre, entre les deux ponts, et elle porte cette inscription
latine: Simoni Deo sancto. Presque tous les Samaritains et quelques hommes d'autres nations
le reconnaissent et l'adorent comme leur première divinité. Et vous savez ce qu'on rapporte de
cette Hélène, qu'il avait retirée d'une maison de prostitution pour en faire sa compagne et son
expression intellectuelle, comme il le disait. Ménandre de Capparétée, Samaritain aussi et
disciple de Simon, ne parvint-il pas, toujours par l'assistance des démons, à séduire par ses
magiques opérations les habitants d'Antioche, au point de persuader ses adeptes qu'ils ne
mourraient jamais? et nous voyons encore nombre de ses sectateurs. Marcion de Pont, qui vit
encore, n'enseigne-t-il pas la croyance à un dieu supérieur au créateur du monde? C'est la
encore une œuvre des génies du mal, qui se sont servis de lui pour répandre le blasphème sur
la terre, pour faire nier aux hommes que le créateur tout-puissant fut le père du Christ, et pour
leur faire professer, au contraire, l'existence d'un être dont la puissance supérieure avait crée
des ouvrages plus merveilleux. Tous les disciples de ces imposteurs sont, comme nous l'avons
dit, compris sous la dénomination générale de Chrétiens, de la même manière que le nom de
philosophes s'applique à une foule de gens qui ne partagent pas les mêmes idées philosophiques. Maintenant ces sectaires se rendent-ils coupables des crimes atroces dont la
malignité publique nous accuse, comme ces extinctions de lumières, ces mélanges confus des
sexes, ces repas de chair humaine? Nous l'ignorons; mais ce que nous savons bien, c'est qu'au
moins, vous, vous ne leur faites pas un crime de leurs opinions et vous ne les massacrez pas.
Au reste, nous avons composé un livre contre toutes les hérésies, et si vous voulez, nous vous
en donnerons connaissance.
27. Quant à nous, loin de commettre aucune impiété, aucune vexation, nous regardons comme
un crime odieux l'exposition des enfants nouveau-nés; parce que d'abord nous voyons que
c'est les vouer presque tous, non seulement les jeunes filles, mais même les jeunes garçons, à
une prostitution infâme; car de même qu'autrefois on élevait des troupeaux de boeufs et de
chèvres, de brebis et de chevaux, de même on nourrit aujourd'hui des troupes d'enfants pour
les plus honteuses débauches. Des femmes aussi et des êtres d'un sexe douteux, livrés à un
commerce que l'on n'ose nommer, voilà ce qu'on trouve chez toutes les nations du Globe. Et
au lieu de purger la terre d'un scandale pareil, vous en profitez, vous en recueillez des tributs
et des impôts! D'ailleurs ne peut-il pas résulter de cet odieux et sacrilège commerce un
mélange affreux des pères avec leurs enfants, des frères avec leurs frères? II est des
misérables qui prostituent leurs filles et leurs femmes: il en est qui se mutilent pour cette
infâme turpitude, pour les mystères de la mère des dieux; et à chacune de vos divinités vous
donnez pour attribut ce grand et mystérieux symbole du serpent. Voila ce qui se fait chez vous
à la face du soleil: voila votre culte: Et vous nous imputez vos actes; et vous prétendez que
nous étouffons toutes les lumières divines ! Au reste ce n'est pas à nous que peut nuire une
calomnie de ce genre; elle retombe sur ceux qui commettent tous ces crimes et osent nous les
imputer.
28. Parmi nous, le prince des génies malfaisants s'appelle le serpent, le tentateur, Satan; et
vous pouvez vous en assurer par la lecture de nos saintes lettres. C'est lui qui sera précipité
avec toute son armée et avec les hommes ses adorateurs dans le feu éternel pour y brûler à
jamais: le Christ nous l'a prédit. Si un sursis a été accordé à cette condamnation, c'est en
faveur de l'homme; c'est en considération de son salut. Car Dieu sait bien que plusieurs se
repentent déjà, et que bien d'autres qui sont à naître se repentiront aussi. Quand Dieu créa la
nature humaine, il la fit intelligente et libre de choisir le bien et de s'y attacher, en sorte qu'a
l'homme raisonnable et intelligent il ne restât aucune excuse devant la justice divine. Aussi
prétendre que Dieu ne se met point en peine des choses de ce monde, c'est dire qu'il n'y a pas
de Dieu, ou que, s'il y en a, il ne se plaît que dans le mal ou dans une insensibilité de pierre;
c'est dire qu'il n'y a ni vice, ni vertu, et que le bien et le mal ne sont que des distinctions
chimériques inventées par l'imagination humaine, ce qui est une haute impiété et une odieuse
injustice.
29. Quant à l'exposition des enfants, il est un motif encore qui nous la fait abhorrer. Nous
craindrions qu'ils ne fussent pas recueillis, et que notre conscience restât ainsi chargée d'un
homicide. Au reste, si nous nous marions, c'est uniquement pour élever nos enfants; si nous ne
nous marions pas, c'est pour vivre dans une continence perpétuelle. Naguère, un de nos frères,
pour vous persuader qu'il n'y a parmi nous ni mystères impurs, ni mélanges infâmes, présenta
à Felix, préfet d'Alexandrie, une requête afin d'obtenir de se faire enlever les organes de la
génération. Les médecins de la ville prétendaient ne pouvoir exécuter cette operation sans la
permission du préfet. Felix ne voulut pas obtempérer à cette demande, et le jeune homme fort
de sa conscience et content de cet hommage rendu a sa foi, conserva sa pureté et vecut dans la
chasteté avec tous ceux qui partageaient sa croyance. Et à ce propos, il me semble assez curieux de faire mention ici de cet Antinous qui parut il y a peu de temps, imposteur effronté
que l'on adorait déjà comme un dieu, quoiqu'on sut bien qui il était et d'où il venait.
30. Maintenant pour que personne ne tente de nous opposer que le personnage nommé par
nous Christ n'est qu'un homme, fils d'un homme, et que ses miracles ne sont que des
sorcelleries et des œuvres de magie à l'aide desquelles il a réussi à se faire passer pour le fils
de Dieu, nous allons commencer notre démonstration sur ce point, et vous prouver que ce
n'est pas sur des « on dit » que notre foi est fondée, mais sur des prophéties publiées bien avant
l'événement et sur la réalisation certaine et indubitable de ces faits annoncés, réalisation à
laquelle nous avons assisté, à laquelle nous assistons encore. Et ce sera là une magnifique et
irréprochable démonstration, nous en avons la ferme confiance.
31. Il s'est rencontré chez les Juifs des hommes prophètes de Dieu, et dont l'Esprit Saint se
servait comme de hérauts pour annoncer l'avenir. Leurs prophéties, à mesure qu'elles étaient
prononcées, étaient soigneusement recueillies par les rois du moment, qui en possédaient les
textes; écrits en hébreu de la main même des prophètes. Quand Ptolémée, roi d'Égypte,
composa sa fameuse bibliothèque, il eut connaissance de ces livres prophétiques, et il envoya
une ambassade à Hérode, alors roi des Juifs, pour les lui demander. Hérode donna le texte
hébreu; mais cette langue étant inconnue aux Égyptiens, une nouvelle députation vint
solliciter du roi des Juifs des hommes capables d'en faire une traduction grecque. Cette œuvre
fut exécutée, et ces livres sont restés jusqu'à présent aux mains des Égyptiens, comme ils sont
par toute la terre entre celles des Juifs. Mais c'est en vain que les Juifs les lisent, ils ne les
comprennent pas; au contraire, ils nous traitent comme leurs ennemis déclarés; ils nous
persécutent autant qu'il est en leur pouvoir; ils nous infligent comme vous les supplices et la
mort: vous pouvez en avoir facilement la preuve. Voyez la dernière guerre de Judée,
Barcochebas, le chef de la revolte, ne sévissait-il pas contre les Chrétiens et contre eux seuls?
Ne les accablait-il pas des plus cruelles tortures s'ils ne renonçaient pas à Jésus-Christ et s'ils
ne blasphémaient pas son saint nom? C'est pourtant dans les livres des prophètes qu'est
annoncée la venue du Christ. II y est dit qu'il doit naître d'une vierge; que, parvenu à l'âge
d'homme, il guérira toutes les maladies et toutes les douleurs et ressuscitera les morts: que
méconnu, persécuté, il sera mis en croix, qu'il mourra et se ressuscitera pour remonter au ciel.
II y est dit qu'il est le fils de Dieu et qu'il sera reconnu pour tel; qu'il enverra par tout le genre
humain des hérauts pour l'annoncer, et que toutes les nations croiront à sa parole. Et tout cela
a été prophétisé cinq mille, trois mille, deux mille, mille et enfin huit cents années avant
l'événement, car telle est la succession des temps où ont paru les prophètes.
32. Moïse, le premier de tous, a parlé ainsi: "il ne manquera pas de prince de Juda, ni de chef
de cette race jusqu'à ce que vienne celui qui est attendu: celui-là sera l'espérance des nations;
il attachera son ânon à la vigne, et il lavera sa robe dans le sang de la grappe." Et voyez et
recherchez avec soin jusqu'à quelle époque les Juifs ont eu un roi de leur nation. C'est
justement celle où parut Jésus-Christ, notre maître, l'interprète des mystérieux oracles; et en
lui s'est accompli ce que l'Esprit prophétique avait annoncé par la bouche de Moïse, à savoir
que le prince ne manquerait pas chez les Juifs jusqu'à ce que fut venu celui à qui le royaume
était réservé. Car Juda est le patriarche des Juifs, et c'est de lui qu'ils ont pris leur nom.
Aussitôt la venue du Messie, vous avez commencé à régner sur les Juifs, et vous avez soumis
tout leur pays à votre domination. Cette parole, il sera l'espérance des nations, signifiait que
par toutes les nations il se trouverait des hommes qui soupireraient après sa venue. C'est là un
fait que vous démontre votre propre expérience. Ne voyez-vous pas que dans toutes les
nations on espère en ce crucifié de la Judée, après la mort duquel la terre des Juifs a été prise
et livrée entre vos mains? Cette autre parole, "il attachera son ânon à la vigne, et il lavera sa
robe dans le sang de la grappe, "est un symbole qui figure en partie ce qui devait arriver au
Christ, en partie ce que lui-même devait accomplir. Car il y avait à l'entrée d'un village un
ânon attaché à une vigne, et le Christ ordonna à ses disciples de le lui amener: il y monta et fit son entrée à Jérusalem, ou était ce grand et magnifique temple que vous avez détruit depuis.
après cela il fut crucifié, pour que le reste de la prophétie fut accompli. Car cette robe lavée
dans le sang de la grappe" était l'annonce des douleurs qu'il devait endurer, pour racheter par
son sang tous ceux qui croient en lui. La robe dont parle l'Esprit de Dieu représente les
hommes qui ont foi en Jésus-Christ, et dans lesquels habite la Parole, cette semence de Dieu.
Le sang de la grappe signifiait aussi que le Messie aurait du sang, non pas du sang de la
semence humaine, mais de la puissance divine. La puissance souveraine avec le père et le
maître de l'univers, c'est son fils, c'est la Parole. II a pris chair, il s'est fait homme, nous le
dirons ensuite. Or, maintenant, comme ce n'est pas l'homme mais Dieu qui a fait le sang de la
grappe, de même le sang du Christ était ainsi clairement désigné comme ne pouvant pas
résulter de la semence humaine, mais de la vertu de Dieu, comme nous l'avons dit déjà. Un
autre prophète a dit exactement la même chose en termes différents, c'est Ésaïe: "Une étoile
sortira de Jacob, et une fleur poussera sur la tige de Jesse, et les nations espéreront en son
bras." N'est-ce pas une étoile brillante, n'est-ce pas une belle fleur sur la tige de Jesse, que
notre Seigneur Jésus-Christ? La vertu de Dieu l'a engendré, et il est né d'une vierge de la race
de Jacob, le père de Juda (et nous avons vu que Juda est le patriarche des Juifs). Jesse aussi
fut; selon les saints oracles, un aïeul du Christ, fils lui-même de Jacob et de Juda, comme le
prouve la suite de sa généalogie.
33. Écoutez maintenant comme Esaïe annonce que le Christ naîtra d'une vierge. Voici ses
paroles: "La vierge sera enceinte, et elle enfantera un fils, et les hommes appelleront ce fils,
Emmanuel, Dieu avec nous." Or c'étaient des choses incroyables et impossibles à l'homme
que Dieu faisait prédire par l'esprit de prophétie; en sorte qu'à l'événement on ne leur refusât
pas créance, et qu'au contraire on leur accordât une confiance illimitée. Actuellement, pour
que dans l'ignorance du sens véritable de cette prophétie, l'on ne vienne pas confondre nos
paroles avec les récits de vos poètes, qui représentent Jupiter descendant des cieux; pour se
livrer à un commerce impur avec des femmes mortelles, nous allons entrer dans l'explication.
Une vierge, dit Esaïe, sera enceinte: c'est-à-dire qu'elle concevra sans coopération humaine;
car si ce commerce avait eu lieu, elle ne fut pas demeurée vierge. Mais ici la vertu de Dieu est
descendue sur cette vierge et l'a environnée comme d'un nuage sacré, et restant toujours
vierge, elle est néanmoins devenue enceinte. Ce fut un ange de Dieu qui fut alors envoyé vers
cette vierge, et qui lui annonça cette bonne nouvelle en disant: "Voici que vous concevrez du
Saint-Esprit et que vous enfanterez un fils, et il sera appelé le fils du Très-Haut, et vous le
nommerez Jésus; car il sauvera son peuple de ses péchés." C'est ce que nous apprennent ceux
qui ont écrit la vie et les œuvres de Jésus-Christ, notre Sauveur; et c'est là ce que nous
croyons; car c'est la réalisation de ce qu'avait prédit le Saint-Esprit par la bouche d'Ésaïe.
Donc cet esprit et ce souffle de Dieu n'est autre chose que sa Parole, son premier-né: il est
impossible de penser autrement, et le prophète Moïse l'a clairement annoncé. C'est lui qui s'est
répandu sur la vierge et l'a enveloppée de son ombre; c'est lui qui l'a rendue féconde, non par
les voies humaines, mais par la vertu de Dieu. Le nom hébreu de Jésus se traduit par Sauveur:
de là vient que l'ange dit à la vierge: "Vous l'appellerez Jésus, et il sauvera son peuple de ses
péchés." II n'est pas besoin, je pense, de vous faire remarquer que l'Esprit de Dieu peut seul
dicter des prophéties pareilles: c'est une vérité que vous ne contesterez pas.
34. Quant au lieu de la naissance du Christ, écoutez ce qu'en a dit Michée, un autre prophète:
"Et toi, Bethlehem, terre de Juda, tu ne seras pas toujours la dernière parmi les princes de
Juda; car de toi sortira le chef, le pasteur de mon peuple." Or Bethlehem est un bourg dans la
terre de Judée, situé à trente-cinq stades de Jérusalem: c'est là que le Christ est né; vous
pouvez vous en assurer par les tables du recensement que leva en Judée Cyrenius, le premier
des présidents de cette province.
35. Après sa naissance, le Christ devait rester caché aux yeux des hommes jusqu'à l'âge de
virilité: c'est ce qui arriva. Mais écoutez la prédiction: "Un petit enfant nous est né, et un jeune
adolescent nous a été donné, et la marque de l'empire est sur ses épaules." Cette marque, c'est
la croix qu'il porta au jour de sa passion, comme nous le dirons dans la suite de ce discours.
Voici sur le même sujet des paroles de ce divin prophète Ésaïe: "J'ai étendu mes mains vers le
peuple incrédule et contradicteur, vers ceux qui marchent dans la voie mauvaise; et
maintenant ils demandent que je les juge, et ils osent approcher de Dieu." Et encore ces autres
paroles: "Ils ont percé mes mains et mes pieds, et ils ont jeté le sort sur ma robe." Et certes ce
n'est pas David, le roi-prophète, d'où ces paroles sont tirées, qui a souffert ces tourments. Mais
c'est le Christ Jésus, dont les mains furent étendues quand il fut crucifié par les Juifs, ces
incrédules qui niaient sa divinité. Comme le prophète l'avait dit, il fut placé par dérision sur
un tribunal, et le peuple lui disait: Juge-nous. Ces mots :Ils ont percé mes mains et mes pieds,
étaient l'annonce de ces clous qui, sur la croix, percèrent et ses pieds et ses mains. après qu'on
l'eut crucifié, ses bourreaux tirèrent ses vêtements au sort et se les partagèrent. Vous pouvez
voir tout ce récit dans les Actes de Ponce-Pilate. Outre ce qui a été déjà rapporte sur l'ânon du
Christ et son entrée à Jérusalem, voici encore des paroles d'un autre prophète, Zacharie:
"Réjouissez-vous, fille de Sion; chantez, fille de Jérusalem, voici votre roi qui vient
humblement à vous, monte sur une ânesse et sur son ânon."
36. Lorsque vous entendez toutes ces prophéties mises dans la bouche d'un homme, gardez-
vous de les attribuer a ceux qui les prononcent; ayez grand soin, au contraire, de ne voir que le
souffle de Dieu qui les dicta, et qui tantôt prend la forme d'une prédiction, tantôt met ses
paroles dans la bouche de Dieu le père et seigneur de l'univers, tantôt fait parler le Christ lui-
même, ou enfin les nations qui répondent à Jésus ou à son père. C'est, au reste, une habitude
commune à tous vos écrivains; l'auteur, toujours le même, introduit et met en scène des
personnages différents: c'est ce que ne comprirent pas les Juifs. Ils avaient entre les mains les
livres des prophètes, et ils ne reconnurent pas Jésus-Christ venant en ce monde. Loin de là, ils
nous persécutent, nous qui croyons à la venue de ce Messie, et qui prouvons que, selon les
oracles, il a été crucifié par leurs mains.
37. Pour vous prouver ce que nous disions à l'instant de la manière dont les prophètes font
parler le père éternel, écoutez ces paroles du prophète Ésaïe: "Le boeuf connaît son maître, l'âne son eéable; mais Israël ne m'a pas connu, et mon peuple ne m'a pas compris. Malheur à la
race pécheresse, au peuple rempli d'iniquités, au sang des méchants! Fils insensés, vous avez
abandonné votre Seigneur!" Et ailleurs encore, toujours dans la bouche du père, ces mots:
"Quelle maison me bâtissez-vous? dit le Seigneur; le ciel est mon trône, et la terre mon
marchepied. Encore: "Mon cœur déteste vos néoménies et vos fêtes; votre grand jeûne, temps
d'oisiveté, je le hais, et quand vous viendrez à moi je ne vous exaucerai pas. Vos mains sont
pleines de sang, et vous m'offrez de l'encens et de la fleur de farine: cela m'est en
abomination. Je ne veux plus de la graisse des agneaux et du sang des boucs. Qui a exigé de
tels présents de vos mains? Rompez tous les liens de l'iniquité; brisez les chaînes de la
violence; conviez et recueillez celui qui est sans asile; partagez votre pain avec celui qui a
faim." Tels sont, vous pouvez en juger, les enseignements que les prophètes font donner par
Dieu même.
38. Quand le Saint-Esprit introduit le Christ, il le fait s'exprimer ainsi: "J'ai étendu mes mains
vers le peuple incrédule et contradicteur, vers ceux qui marchent dans les voies mauvaises."
Et encore: "J'ai présenté mon dos au fouet et mes joues aux soufflets; je n'ai pas détourné ma
face de l'affront des crachats, et le Seigneur a été mon aide: c'est pourquoi je n'ai pas eu honte,
et mon visage a été comme un rocher solide, et j'ai su que je ne serais pas confondu; car celui
qui doit me justifier est proche." II dit encore: "Ils ont jeté le sort sur mes vêtements, et ils ont
percé mes pieds et mes mains; et moi, je me suis endormi et j'ai pris mon sommeil, et ensuite
je me suis réveillé; car le Seigneur m'a relevé." Puis, plus loin: "Ils ont remué les lèvres et
secoue la tête en disant: "Qu'il se délivre lui-même." Tous ces faits ont été réalisés par les
Juifs en la personne du Christ; car, pendant qu'il était en croix, les passants grimaçaient des
lèvres et branlaient la tête en disant: "Lui qui ressuscitait les morts, qu'il se délivre!"
39. Le Saint-Esprit veut-il employer le ton de la prédiction, écoutez-le: "Or la loi sortira de
Sion, et la parole de Dieu de Jérusalem, et il jugera parmi les nations, et il gouvernera une
grande multitude. Et les nations forgeront leurs glaives en fers de charrue, et leurs lances en
faucilles; et les peuples ne lèveront plus l'épée contre les peuples, et ils n'apprendront plus à se
faire la guerre." L'événement a confirmé cette parole, vous pouvez vous en convaincre. Car
douze hommes sont sortis de Jérusalem pour parcourir le monde; ils étaient grossiers et ne
savaient pas parler; mais la vertu de Dieu les soutenait, et ils ont annoncé à tout le genre
humain qu'ils étaient envoyés du Christ pour enseigner la parole de Dieu; et nous qui jadis
nous souillions de meurtres et de carnage, nous ne faisons plus la guerre, même à nos
ennemis. Bien plus, de peur d'un mensonge, et pour ne pas tromper ceux qui nous font subir
des interrogatoires, nous confessons avec joie notre Seigneur Jésus, et nous mourons pour lui.
II nous serait facile pourtant de nous autoriser de ce proverbe: Mes lèvres ont juré, mais mon
cœur refusait (Hippolyte d'Euripide, vers 612); Mais ce serait chose ridicule que l'on vit les
soldats enrôlés sous vos drapeaux rester fidèles à leur serment, au mépris de leur propre vie,
au mépris de leurs affections de famille et de patrie, eux à qui vous ne pouvez promettre
qu'une récompense corruptible, tandis que l'on nous verrait, avec la perspective de
l'immortalité, refuser de nous exposer à toutes les persécutions qui peuvent nous obtenir les
récompenses promises par notre souverain maître.
40. Écoutez maintenant ce que l'Esprit Saint a inspiré au roi-prophète au sujet de ces hérauts
de la doctrine de Jésus-Christ, qui ont prophétisé sa venue: "Le jour le raconte au jour, et la
nuit le redit à la nuit. Il n'est point de nation, quelle que soit sa langue, qui n'entende leur voix.
Le bruit qu'ils font a parcouru toute la terre et leurs paroles sont allées jusqu'aux confins du
monde. Il a placé son tabernacle dans le soleil, et sortant de là comme l'époux de sa couche,
semblable à un géant, il s'élance dans la carrière." Puisque nous parlons de David, nous ne
ferons pas mal de rapporter ici quelques passages qui pourront vous faire juger quelle régie de
conduite le Saint-Esprit donne à l'homme, et aussi comme il prédit la coalition d'Hérode, roi
des Juifs, avec Ponce-Pilate, votre procurateur, et ses soldats, contre Jésus-Christ; comme il
annonce la conversion du genre humain à la foi, comme il dit que Jésus-Christ sera appelé le
fils de Dieu, et comme il prophétise la promesse que le père fait à son fils de lui soumettre ses
ennemis, les efforts des démons pour se soustraire à la puissance de Dieu le père et de Jésus-
Christ lui-même, et enfin ce grand appel à la repentance, que le Seigneur adresse à tous les
hommes avant le jour du jugement. Voici ces paroles: "Heureux celui qui ne suit pas
l'assemblée des impies, et ne marche pas dans la voie du pécheur, et ne s'assoit pas sur le siège
d'iniquité! Heureux celui dont la volonté est dans la loi du Seigneur, et qui médite jour et nuit
ses commandements ! II sera comme l'arbre planté sur le bord des eaux; il donnera son fruit
dans la saison, et sa feuille ne se fanera pas, et tout ce qu'il fera prospérera. II n'en est pas ainsi
pour les impies, non, il n'en est pas ainsi. Ils seront comme la poussière que le vent enlève de
la face de la terre; aussi les impies ne siégeront pas au jugement, ni les pécheurs au conseil
des justes, parce que le Seigneur connaît la voie des justes, et le chemin des impies périra.
Pourquoi les nations ont-elles frémi, et pourquoi les peuples ont-ils formé de vains complots?
Les rois de la terre se sont levés, et les princes se sont ligués contre le Seigneur et contre son
Christ, disant: Rompons les chaînes qu'il nous a données, et rejetons son joug loin de nous.
Mais celui qui habite aux cieux se rira d'eux, et le Seigneur les tournera en dérision. Puis il
leur parlera dans sa colère, et il les dispersera dans sa fureur. Mais moi, je me suis constitué
roi par sa puissance, roi sur Sion, sa montagne sainte, et j'annonce les préceptes du Seigneur.
Le Seigneur m'a dit: Tu es mon fils: je t'ai engendré aujourd'hui. Demande-moi, et je te
donnerai les nations en héritage, et je ne bornerai tes possessions qu'aux confins de la terre.
Tu les gouverneras avec une verge de fer, et tu les briseras comme des vases d'argile. Et vous
maintenant, rois, comprenez; instruisez-vous, vous qui jugez la terre. Servez le Seigneur avec
un respect mêlé de crainte, et tremblez, lors même que vous chantez ses louanges. Saisissez
ses leçons, de peur que le Seigneur ne s'irrite et que vous ne vous écartiez du droit chemin.
Lorsque son courroux s'allumera tout-à-coup, heureux ceux qui auront mis en lui leur
confiance."
41. Dans une autre prophétie, l'Esprit de Dieu voulant annoncer le règne de Christ après le
supplice de la croix, fait dire encore a David: "Chantez un cantique au Seigneur par toute la
terre, et annoncez chaque jour son salut, car le Seigneur est grand et digne de louanges; il est
terrible au-dessus de tous les dieux, car tous les dieux des nations sont les simulacres des
démons, et c'est Dieu qui a fait les cieux. La gloire et la majesté marchent devant lui; la force
et la splendeur habitent dans son sanctuaire. Rendez gloire au Seigneur, père des siècles;
recevez sa grâce; prosternez-vous devant lui et adorez-le dans les parvis de son sanctuaire.
Que la terre tremble en sa présence; mais si elle fait le bien, elle prospérera. Qu'elle ne se
trouble pas; que toutes les nations se réjouissent: le Seigneur règne du haut du bois."
42. Parfois aussi, vous avez pu vous en apercevoir d'après ce qui a été déjà cité, le Saint-Esprit
parle des événements futurs comme s'ils étaient arrivés, et à ce propos nous nous empressons
de lever toutes les difficultés et d'ôter toute excuse aux lecteurs. L'Esprit Saint connaît l'avenir;
aussi le raconte-t-il comme s'il était accompli. Voulez-vous la preuve de cette explication?
Écoutez: David parla de la crucifixion quinze cents ans avant la naissance du Christ; or
personne avant lui n'avait, par son supplice, apporte une pareille félicité au monde; personne
ne l'a fait depuis le Christ. Au contraire, notre Seigneur Jésus, crucifié et mort, s'est ressuscité;
et, de retour au ciel, il y a repris son empire, et c'est cette bonne nouvelle qui, portée en son
nom à toutes les nations par les Apôtres, fait la joie de tous ceux qui vivent dans l'attente de
l'immortalité promise.
43. Que d'ailleurs, si nous parlons de prescience et de prédiction, on se garde bien de conclure
que nous croyons à la fatalité et au destin. Non, et en voici la preuve. II est, disons-nous, pour
les méchants des punitions et des supplices, pour les bons des récompenses et des bienfaits;
les prophètes nous ont appris cette doctrine, et nous en soutenons la vérité. S'il n'en était pas
ainsi, si tous suivaient la loi du destin, ou serait le libre arbitre? car si c'était par nécessité que
celui-ci est bon, celui-la mauvais, le premier ne serait pas digne d'éloges, pas plus que le
second ne serait coupable. Et si le genre humain n'avait pas le pouvoir de choisir par un acte
de sa libre volonté le sentier de la vertu ou le chemin du vice, il n'aurait pas à répondre de ses
actions. Mais l'homme a cette liberté de faire le bien ou le mal à son choix: nous le pouvons.
Ne voit-on pas en effet le même homme tenir la conduite la plus diverse. Si la loi du destin le
forçait à être méchant ou vertueux, certes il ne serait pas soumis à ces contradictions et à ces
perpétuelles variations. Loin de la, il n'y aurait ni un homme vertueux ni un homme dépravé, puisque le destin serait la cause du mal et en même temps la cause du bien. Ou encore, nous
tomberions dans cette doctrine dont nous avons parlé plus haut, et qui consiste à nier la vertu
et le vice, et à ne voir dans le bien et le mal que des opinions différentes; ce qui est aux yeux
de la saine raison une impiété et une absurdité monstrueuses. Pour le destin inévitable tel que
nous l'entendons, c'est celui qui attend les bons pour les récompenser selon leurs mérites, et
les méchants pour leur infliger les supplices qu'ils ont encourus. Car Dieu n'a pas crée
l'homme comme les plantes et les brutes qui ne savent ce qu'elles font; et l'homme ne
mériterait ni récompense ni louange s'il n'avait pas le choix de la vertu et s'il y naissait tout
faconné; de même qu'il ne pourrait encourir aucune peine s'il était méchant, et qu'il ne le fut
pas de lui-même, mais qu'enchaîné au vice par sa naissance, il ne put se délivrer de son joug.
44. C'est le Saint-Esprit lui-même qui nous a donné ces enseignements, puisqu'il atteste par
l'organe de Moïse que Dieu dit au premier homme sortant de ses mains: "Voici le bien et le
mal devant toi: choisis le bien." C'est ce que confirme un autre prophète, Ésaïe, quand il met
dans la bouche de Dieu le père les paroles suivantes: "Lavez-vous de vos souillures et
purifiez-vous; enlevez le mal de vos cœurs, et apprenez à faire le bien; rendez justice à
l'orphelin et défendez la veuve. Présentez-vous alors, et nous compterons, dit le Seigneur. Vos
péchés vous eussent-ils rendus rouges comme la pourpre, je vous rendrai blancs comme la
laine; fussiez-vous écarlate, je vous rendrai plus blancs que la neige; et si vous le voulez, et
que vous m'écoutiez, vous serez nourris des biens de la terre; mais si vous ne m'écoutez pas,
le glaive vous dévorera; car c'est la bouche du Seigneur qui a parlé." Or ces paroles, le glaive
vous dévorera, ne signifient pas que la désobéissance sera punie par les coups du glaive; mais
ce glaive de Dieu, c'est le feu dont ceux qui s'attachent au mal deviennent la pâture. Aussi dit-
il: "Le glaive vous dévorera; car c'est la bouche du Seigneur qui a parlé." Et ce terme dévorera
ne peut s'appliquer à l'épée qui frappe et tue d'un seul coup. Aussi quand Platon a dit: "La
faute est à l'homme libre qui choisit. Dieu n'y est pour rien, " il a emprunté cette parole a
Moïse; car Moïse est plus ancien que tous les écrivains de la Grèce. Et tout ce que les poètes
et les philosophes ont pu dire sur l'immortalité de l'âme, sur les châtiments après la mort, sur
la contemplation céleste de la divinité ou tout autre dogme semblable, ils en ont pris le
principe dans les prophètes, et sont ainsi parvenus à comprendre et à expliquer ces vérités.
C'est là qu'ils ont puisé tous les éléments du vrai qu'ils possèdent, et si leurs emprunts sont
difficiles à constater, cela tient à la grande contrariété de leurs opinions. Maintenant, de ce
que nous disons que l'avenir a été prédit, il n'en résulte pas que nous consacrions le principe
de la nécessite et du destin. Non, mais comme Dieu prévoit toutes les actions futures des
hommes, comme il doit rendre à chacun selon le mérite de ses œuvres, et récompenser les
actes de vertu, il fait faire des prédictions par l'Esprit Saint, appelant ainsi sans cesse le genre
humain au souvenir et à la réflexion, et montrant pour lui toute sa sollicitude et sa providence.
Aussi les génies du mal sont-ils parvenus à obtenir que l'on punit de mort ceux qui liraient les
livres d'Hystaspe, de la Sibylle et des prophètes; car ils voulaient, à force de crainte, détourner
les hommes de cette lecture et des salutaires enseignements qu'ils y devaient trouver, et par ce
moyen les retenir sous leur joug; mais ils n'ont pas pu interdire ces ouvrages pour toujours;
car non seulement nous-mêmes nous les lisons sans crainte, mais nous vous les offrons pour
que vous les voyiez, et dans la persuasion qu'ils seront agréables à tous. Et quand même nous
ne les ferions lire qu'à un petit nombre, ce serait toujours un gain immense; car, semblables a
de bons laboureurs, nous recevrions pour cette moisson une abondante récompense.
45. Le père éternel devait enlever le Christ au ciel après sa résurrection, et l'y conserver
jusqu'à ce qu'il ait frappe les démons ses ennemis, jusqu'à ce que le nombre des prédestinés et
des saints soit rempli; car si la conflagration générale n'a pas encore eu lieu, ce délai n'a été
accordé qu'en faveur des élus. Or, Écoutez comme David va prédire ces événements: "Le
Seigneur a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite jusqu'à ce que j'aie fait de vos
ennemis l'escabeau de vos pieds. Le Seigneur fera sortir de Jérusalem le sceptre de votre
force, et vous dominerez au milieu de vos ennemis. A vous est le commandement dans le jour
de votre puissance et dans les splendeurs de vos saints. Je vous ai engendré de moi avant
l'étoile du matin." Ces mots: "II fera sortir de Jérusalem le sceptre de votre force, "étaient le
symbole et l'annonce de cette parole puissante que, sortant de Jérusalem, les Apôtres allèrent
prêcher au monde. Nous le savons, il y a peine de mort pour tous ceux qui enseignent, pour
tous ceux qui confessent le nom du Christ, et néanmoins nous l'enseignons partout, partout
nous embrassons sa foi. Que si vous lisez ces pages avec un esprit de haine, vous pouvez nous
tuer, et rien de plus, nous vous le répétons; car en quoi nous nuit-elle cette mort? Tandis que
vous et tous ceux qui nourrissent une animosité injuste, tous ceux qui ne se repentent pas de
leurs erreurs, elle vous dévoue au feu éternel!
46. On pourrait peut-être, dans une intention mauvaise, fausser le sens de ce que nous avons
dit; et comme nous avons avancé que Jésus-Christ était né il y a cent cinquante ans, sous la
présidence de Cyrenius, et qu'il a commencé à enseigner sous celle de Ponce-Pilate, on
pourrait prétendre, par une fausse induction, que tous les hommes antérieurs à cette époque ne
sont aucunement coupables. Nous allons détruire cette objection. Le Christ, avons-nous dit
déjà, est le premier-né de Dieu, il est sa Parole, sa parole, à laquelle tous les hommes
participent. Or tous ceux qui ont vécu selon les inspirations de cette Parole sont Chrétiens,
eussent-ils même passe pour athées. Tels furent, chez les Grecs, Socrate et Héraclite; chez les
barbares, Abraham, Ananias, Azarias, Misael et Elie, et une multitude d'autres dont nous nous
abstiendrons de citer ici les noms, ce qui serait trop long. Et aussi ceux qui ont vécu
contrairement à ces inspirations de la Parole ont été vicieux, ennemis du Christ, meurtriers des
disciples de la Parole. Ceux, au contraire, qui ont vécu ou qui vivent selon la Parole, sont des
Chrétiens intrépides et inaccessibles à la peur. Maintenant, pourquoi, accomplissant les
desseins de Dieu, père et souverain de l'univers, la Parole s'est-il incarné? pourquoi est-il né
d'une vierge et s'est-il fait appeler Christ? pourquoi est-il mort sur la croix? pourquoi est-il
ressuscité et remonté aux cieux? c'est ce que tout homme sensé comprendra sans peine d'après
ce que nous avons dit déjà. Quant à présent, comme la démonstration de ce point est moins
nécessaire, passons à ce qui est plus urgent, et continuons nos preuves.
47. L'Esprit Saint annonce ensuite la dévastation de la terre de Judée; il met en scène les
peuples stupéfaits de cette ruine, et voici comment ils s'expriment: "Sion est devenue une
solitude; Jérusalem est devenue un désert; la malédiction est sur le temple et sur le sanctuaire,
et sa gloire, que célébraient nos pères, est devenue cendre et poussière; tous ses ornements les
plus beaux ont été détruits, et à cette vue vous êtes restés impassibles, vous vous êtes tus, et vous nous avez humiliés durement." Or, de la dévastation de Jérusalem et de l'accomplissement de cette prophétie, vous devez être, je pense, assez pleinement convaincus. Mais Jérusalem
devait être réduite en solitude, et il ne devait plus être permis à personne de l'habiter; Ésaïe le
prophète l'a dit ainsi: "Leur terre est un désert, et en leur présence, leurs ennemis la dévorent,
et pas un seul d'entre eux ne l'habitera." Le soin que vous prenez de ne pas laisser un Juif en
Judée, la peine de mort qui attend l'audacieux infracteur de cette loi, c'est ce que vous savez
mieux que nous.
48. Il était aussi prédit que Jésus-Christ guérirait les malades et ressusciterait les morts.
Écoutez: "A son arrivée, le boiteux sautera comme un cerf, et la langue des muets sera
éloquente; les aveugles verront, et les lépreux seront purifiés, et les morts se lèveront et
marcheront." Les Actes de Ponce-Pilate vous donnent la preuve de tous ces faits. La mort du
Christ et le supplice de ceux qui espèrent en lui étaient aussi annoncés par Ésaïe, dans ces
paroles: "Voici que le juste est tué, et personne ne le comprend dans son cœur; voici que les
hommes de bien sont mis à mort, et personne n'y pense. Le juste a été enlevé en présence de
l'iniquité, et sa sépulture sera en paix. Il a été enlevé du milieu des hommes."
49. C'est encore Ésaïe qui annonce que les Gentils adoreront le Christ, quoiqu'ils ne
l'attendent pas, et que les Juifs, qui l'attendent toujours, ne reconnaîtront pas sa venue. Les
paroles du prophète sont mises dans la bouche du Christ lui-même: "Je me suis manifesté à
ceux qui ne me demandaient pas, et j'ai été trouve par ceux qui ne me cherchaient pas. J'ai dit:
Me voici, aux nations qui n'avaient pas appelé mon nom. J'ai étendu mes mains vers un peuple
incrédule et contradicteur qui marchait dans une route mauvaise à la suite de ses péchés, et ce
peuple ameutait la haine contre moi." En effet les Juifs, qui avaient les prophéties entre les
mains, et qui attendaient toujours la venue du Christ, ne l'ont pas reconnu; et non seulement
ils ne l'ont pas reconnu, mais ils l'ont mis à mort. Les Gentils, au contraire, qui n'avaient
jamais rien appris du Christ avant que les Apôtres, venant de Jérusalem, ne leur eussent
annoncé sa venue et ne leur eussent transmis les prophéties, ont renoncé à leurs idoles, et
pleins de foi et de bonheur, se sont consacrés par le Christ au culte du Dieu incrée. Quant aux
persécutions dont les nouveaux confesseurs du Christ furent les victimes, quant à la pitié que
doivent inspirer ceux qui accablent le Christ de malédictions, et qui trouvent beau de défendre
et de conserver les vieilles institutions, voici à leur sujet un seul mot d'Ésaïe: "Malheur à vous
qui appelez doux ce qui est amer, et amer ce qui est doux!"
50. Jésus-Christ fait homme pour nous, devait souffrir la honte et l'ignominie sur la terre, et il
doit venir une seconde fois, mais alors environné de toute sa gloire. En voici la prophétie:
"Parce qu'ils ont livré son âme à la mort, parce qu'il a été compté parmi les méchants, il s'est
charge des péchés de plusieurs, et il obtiendra le pardon des pécheurs. Car, je vous le dis, mon
serviteur comprendra, et il sera exalté, et il sera grandement glorifié. Plusieurs seront
émerveillés de vous, et plusieurs aussi mépriseront votre aspect et votre gloire. Et aussi
plusieurs nations vous admireront, et les rois resteront muets devant vous, parce que ceux-là a
qui rien n'avait été annonce et qui n'avaient rien entendu comprendront. Seigneur, qui a era a
votre parole? Et à qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé? Nous l'avons annoncé comme un
petit enfant, comme une plante sur la terre desséchée. II n'a ni éclat, ni gloire; et nous l'avons
vu, et il n'avait ni éclat, ni beauté; au contraire, son aspect était misérable, et il était
abandonné devant les hommes. C'était un homme dévoué aux coups et sachant supporter son
supplice, et les injures, et les indicibles mépris dont on accablait sa face. Celui-là porte nos
péchés et souffre pour nous, et nous avons réfléchi qu'il était dans la souffrance et dans les
supplices et dans l'affliction. Et lui, il a été chargé de coups, à cause de nos iniquités, et il a été
supplicié pour nos péchés. Nous avons appris la paix de lui, et nous avons été guéris par ses
plaies; car, tous, nous errions comme des brebis: l'homme s'était perdu dans sa voie, et il l'a
livre pour nos iniquités; et lui, au milieu de l'affliction, il n'a pas ouvert la bouche. II a été
conduit comme une brebis au sacrifice, et comme un agneau muet sous le ciseau qui le tond: il
n'a pas ouvert la bouche, et dans cette humiliation, sa condamnation a été trouvée juste." En
effet, lorsque Jésus fut crucifie, ses disciples eux-mêmes l'abandonnèrent et le renièrent, et ce
fut seulement quand, après sa résurrection, il leur eut apparu et leur eut appris à lire les
prophéties dont l'accomplissement venait de se faire en lui, quand ils l'eurent vu monter au
ciel, et que pleins de foi et de croyance, forts de la puissance que Jésus leur envoya, ils s'en
furent allés vers toutes les nations, ce fut alors seulement qu'ils instruisirent la terre et qu'ils
reçurent le nom d'Apôtres.
51 . Pour nous montrer que celui qui s'était soumis à ces douleurs avait une origine ineffable et
qu'il devait dompter tous ses ennemis, voici ce que nous dit le Saint-Esprit:" Qui racontera sa
génération? Il a été retranché de la terre des vivants; il est passé dans la mort pour les iniquités
des hommes, et les méchants seront rachetés par sa sépulture, et les riches par sa mort; car,
lui, il n'a pas commis l'iniquité, et le mensonge n'a pas souillé sa bouche. Le Seigneur veut le
guérir de ses plaies. S'il a été livré pour le péché, c'était afin que votre âme reçut une semence
d'éternité. Et le Seigneur veut retirer son âme de la douleur, lui montrer la lumière, le remplir
d'intelligence et justifier ce juste qui s'est dévoué pour tous. Il portera lui-même tous nos
péchés: c'est pourquoi il régnera sur un grand peuple, et il partagera les dépouilles des forts,
parce que son âme a été livrée à la mort, et qu'il a été compté parmi les méchants; et il a pris
sur lui les péchés de plusieurs, et il a été livré pour leurs iniquités." Écoutez maintenant la
prophétie de son ascension: "Ouvrez les portes des cieux, dit-il; ouvrez-les, pour que le Roi de
gloire y fasse son entrée. Quel est-il ce Roi de gloire? C'est le Dieu fort et le Dieu puissant."
Et au sujet de son second et glorieux avènement, Jérémie ajoute: "Voici le fils de l'homme qui
vient sur les nuées du ciel, et ses anges l'accompagnent."
52. Ainsi donc, puisque nous avons déjà montre que tous les événements accomplis avaient
été prédits à l'avance par les prophètes, il en faut nécessairement conclure que tout ce qui a été
encore annoncé, et dont la réalisation n'a pas encore eu lieu, ne peut manquer d'arriver. Les
faits accomplis, dont la prédiction était certaine et le moment inconnu, se sont réalisés; il en
sera de même pour ceux qui sont encore à venir: ils sont prédits, on les ignore, on ne veut pas
y croire; ils arriveront cependant. Les prophètes ont parlé de deux avènements pour le Christ:
le premier, qui a eu lieu, avènement sous la figure d'un homme méprisé et persécuté; le
second, dans lequel il viendra resplendissant de toute la gloire des cieux, et entouré de ses
légions d'anges; alors il ressuscitera les cadavres de tous les hommes qui auront vécu sur la
terre, et il revêtira les corps des justes d'une immortalité glorieuse, et il enverra ceux des
méchants, incorruptibles aussi, brûler éternellement dans le feu infernal. En voulez-vous la
prophétie? Écoutez Ézéchiel: "La jointure se reliera à la jointure, et l'os à l'os, et les chairs
recroîtront une seconde fois. Et tout genou fléchira devant le Seigneur, et toute langue
confessera son nom." Voulez-vous savoir ce que sera la douleur et le supplice des méchants?
Écoutez encore: "Le ver qui les ronge ne s'assoupira pas, et le feu qui les dévore ne s'éteindra
jamais." Ils se repentiront alors, mais leur repentir ne leur servira de rien. Et que feront, que
diront les Juifs à ce glorieux avènement? Entendez le prophète Zacharie: "J'ordonnerai aux
quatre vents de rassembler mes enfants épars; j'ordonnerai au vent du nord qu'il porte au loin
ma parole, et au vent du midi qu'il n'y fasse pas obstacle. Et alors il y aura dans Jérusalem un
grand gémissement, et ce ne sera pas un gémissement des lèvres et de la bouche, mais un
gémissement du cœur; et ils ne déchireront pas leurs vêtements, mais leurs esprits, et ils se
plaindront tribu à tribu, et alors ils verront celui qu'ils ont frappé, et ils diront: Pourquoi,
Seigneur, nous avez-vous fait errer loin de votre voie? La gloire dont se réjouissaient nos
pères, elle est devenue pour nous une ignominie."
53. Nous aurions encore bien d'autres témoignages des prophètes à invoquer; mais nous nous
arrêterons ici, persuadés que nous en avons rapporté assez pour convaincre ceux qui ont des
oreilles disposées à entendre et à croire, et pour établir qu'à la différence des faiseurs de fables
et de tous les historiens des prétendus fils de Jupiter, nous ne disons rien que nous ne soyons
en état de prouver immédiatement. Comment, en effet, aurions-nous cru que cet homme
crucifié était le fils de Dieu, appelé à juger tout le genre humain, si nous n'avions pas vu
toutes les prophéties qui d'avance annonçaient sa venue, se réaliser de point en point; si
maintenant nous ne voyions pas et la dévastation de la Judée, et la conversion de ces hommes
de toute race, qui, à la voix des Apôtres, ont abandonné leurs antiques erreurs pour embrasser
la sainte doctrine; et nous-mêmes, et cette foule de Gentils, Chrétiens plus sincères et plus
vrais que les Juifs et les Samaritains convertis? Ce nom de Gentils a été donné par le Saint-Esprit lui-même aux nations de la terre, par opposition aux tribus de Judée et de Samarie, qu'il
appelle Israel et la maison de Jacob. Il y a même une prophétie qui annonce plus de croyance
dans les Gentils que dans les Juifs et les Samaritains. La voici: "Réjouissez-vous, vous qui
êtes stérile et qui n'enfantez pas; éclatez en cris de joie, vous qui n'engendrez pas; car il sera
donné bien plus de fils à l'épouse abandonnée qu'à celle qui a un époux." Ces abandonnées
étaient les nations qui ignoraient le vrai Dieu et adoraient les œuvres de leurs propres mains,
tandis que les Juifs et les Samaritains, qui connaissaient par les prophètes la venue de la Parole
de Dieu, et qui avaient toujours attendu le Christ, ne le reconnurent pas quand il descendit au
milieu d'eux. A peine y eut-il quelques exceptions, dont le Saint-Esprit parle dans Ésaïe: "Si le
Seigneur ne nous avait pas laisse son germe, leur fait-il dire, nous serions devenus comme
Sodome et Gomorrhe." Or Sodome et Gomorrhe sont deux villes représentées par Moïse
comme des réceptacles d'iniquités, que le Seigneur ruina par une pluie de soufre et de feu.
Personne n'y fut sauvé, excepté un étranger chaldéen, nomme Loth, qui échappa avec ses
filles. Toute la contrée devint un désert, et depuis elle est restée brûlée et stérile: chacun peut
s'en convaincre. Les Gentils devaient se montrer bien plus croyants et bien plus fidèles c'est ce
qu'Ésaïe nous apprend par ces mots: "Israel est incirconcis du cœur, et les Gentils ne le sont
que du prépuce. "Or, nous vous le demandons, tant et de si formels témoignages ne sont-ils
pas, pour ceux qui aiment la vérité, qui ne sont pas sous l'influence de vaines opinions ni sous
le joug de leurs passions, un motif irrésistible de foi et de conviction?
54. Ceux qui enseignent aux jeunes gens les fabuleuses inventions des poètes n'apportent
aucune preuve à l'appui de leurs récits. C'est encore là, nous l'avons démontré, un des moyens
dont les démons se servent pour tromper et égarer le genre humain. En effet, sachant par les
prophètes la venue future du Messie et le supplice réservé aux impies, ils se sont efforcés
d'inspirer croyance à une multitude de prétendus fils de Jupiter, dans l'espoir qu'ils
parviendraient à mélanger et à confondre les prophéties relatives au Christ et les fables
merveilleuses inventées par les poètes. Aussi répandirent-ils ces absurdes récits, surtout parmi
les Grecs et parmi ceux des Gentils qu'ils croyaient, au dire des prophètes, les plus disposés à
recevoir la foi du Christ. II nous reste donc à vous montrer quel moyen ils ont employé pour
détourner le véritable sens des prophéties et pour donner le change sur les œuvres de Jésus-
Christ. Le prophète Moïse, le plus ancien de tous les écrivains, comme nous l'avons déjà dit,
avait prononcé ces paroles, que nous avons rapportées plus haut: "II ne manquera pas de
prince de Juda, ni de chef de sa race, jusqu'à ce que vienne celui qui est attendu; et celui-la
sera l'espérance des nations, et il attachera son ânon à la vigne, et lavera sa robe dans le sang
de la grappe." Les démons eurent connaissance de ces mots, et ils supposèrent un Bacchus;
fils de Jupiter; ils firent croire qu'il avait découvert la vigne; ils introduisirent le vin dans ses
mystères, et enseignèrent qu'il était monté au ciel après avoir été mis en pièces. Ensuite,
comme dans les prophéties de Moïse il n'est pas clairement exprimé si celui qui doit venir est
le fils de Dieu, et si cette bête attachée à la vigne doit lui servir pour rester sur la terre ou pour
monter au ciel; enfin, comme le mot employé par Moïse peut signifier aussi bien un petit
cheval qu'un petit âne; les démons, ne sachant pas si le Messie devait être fils de Dieu ou des
hommes, ignorant également s'il devait monter un âne ou un cheval, s'imaginèrent d'inventer
un Bellerophon, homme et fils des hommes, qui, dirent-ils, s'éleva au ciel sur le dos du cheval
Pégase. Ils savaient aussi d'Ésaïe que le Christ devait naître d'une vierge, et qu'il s'élèverait au
ciel, et ils trouvèrent Persée. De même, ayant eu connaissance de ce mot du prophète: "Fort
comme un géant qui s'élance dans la carrière, "ils imaginèrent le fort Hercule, auquel ils firent
parcourir l'univers. Le Christ devait ressusciter les morts et guérir toutes les maladies, et
Esculape fut mis en scène.
55. Mais ils ne pensèrent jamais à contrefaire dans aucun des prétendus fils de Jupiter le
supplice de la croix. En effet, cela ne leur vint pas en idée, parce que tout ce qui en avait été
dit l'avait toujours été sous le voile du symbole. Cette croix est le signe principal, le caractère
particulier de la force et de la puissance, comme parle le prophète. C'est une vérité dont vous
trouvez la preuve dans les objets qui tombent continuellement sous vos sens. Car, veuillez
réfléchir un instant, et voyez si dans ce monde on peut rien faire sans ce signe, si sans lui le
moindre commerce est possible entre les hommes? Peut-on fendre les ondes sans que, forme
de la vergue et du mat, il brille comme un trophée? Peut-on tracer un sillon sans la croix de
la charrue? Tous vos pionniers, comme au reste tous les artisans et tous les manœuvres, ne
peuvent travailler sans des instruments qui affectent sa forme. L'extérieur même de l'homme
ne diffère de celui des animaux que parce que son corps se tient droit et qu'il peut étendre les
mains en croix. Et ce nez, prééminent organe de la respiration vitale, ne trace-t-il pas encore
une croix au milieu du visage? Aussi le prophète a-t-il dit: "Le souffle de notre face est le
Christ notre Seigneur. Les étendards et les enseignes qui partout précèdent vos pas, ce sont
encore des images de la croix, et c'est cela qui, sans que vous vous en doutiez, en fait les
signes et les marques de votre puissance et de votre autorité. Bien plus, quand vos empereurs
sont morts, c'est avec cette forme de croix que vous consacrez leurs images et que vous leur
décernez dans vos inscriptions les honneurs de la divinité. Vous le voyez, nous vous avons
montré partout la puissance de ce signe; restez maintenant incrédules, nous n'aurons rien à
nous reprocher, car nous avons fait et accompli tout ce qui était en nous.
56. Mais ce n'était pas assez pour les démons d'avoir inventé, avant la venue du Christ, tous
ces prétendus fils de Jupiter; quand le Messie fut venu et eut vécu parmi les hommes, et qu'ils
eurent appris que, selon la prophétie, il devait trouver croyance parmi les nations et que les
nations l'attendaient; alors ils suscitèrent de nouveaux imposteurs tels que ce Simon et ce
Ménandre de Samarie, dont nous vous avons déjà parlé, et qui séduisirent et séduisent encore
bien des hommes par les œuvres de leur magie. Je l'ai dit déjà, et vous vous le rappelez,
c'était sous l'empereur Claude César; Simon vint à Rome, et il frappa d'une telle admiration le
sacré sénat et le peuple romain, qu'il fut pris pour un dieu et qu'on lui éleva une statue comme
à toutes les divinités que vous adorez. C'est pourquoi nous supplions le sacré sénat et le
peuple romain de vouloir bien prendre connaissance de notre requête; afin que si quelqu'un se
trouve victime de cette fausse croyance, il puisse reconnaître la vérité et échapper à l'erreur; et
aussi pour qu'il vous plaise de détruire cette statue.
57. Mais jamais les démons ne pourront parvenir à persuader que le feu éternel n'est pas le
supplice réserve aux impies, pas plus qu'ils n'ont pu parvenir à cacher la venue du Christ. Ce
qu'ils peuvent faire, c'est seulement de nous faire détester des méchants, de tous ceux qui
vivent dans le crime et se plaisent aux sophismes: ils ne peuvent que nous faire tuer. Et nous,
nous ne haïssons pas nos persécuteurs; au contraire, nous avons pitié d'eux, nous désirons leur
repentance et leur conversion. Car nous ne redoutons pas la mort, puisque après tout il faut bien
mourir, que c'est là une régie générale et le cours ordinaire de la vie. Or, si à peine une année
de jouissance amène la satiété d'une existence commune, combien ne doit-il pas y avoir
d'attrait dans l'espérance d'une vie éternelle et inaccessible aux maux et aux privations, et
combien cette perspective ne doit-elle pas engager à embrasser notre doctrine qui la promet.
Que si enfin nos bourreaux croient que tout est fini avec la mort, et qu'elle nous fait retomber
dans l'insensibilité du néant, c'est de leur part un grand bienfait de nous délivrer de ces
souffrances et de ces besoins de la vie, ce qui ne les sauverait pourtant pas du reproche de
barbarie et d'inhumanité sophistique; car s'ils nous tuent, ce n'est pas pour nous délivrer, c'est
pour nous arracher la vie et le bonheur.
58. Ce sont encore les démons qui ont suscité Marcion de Pont, cet impie qui enseigne encore
à présent à nier le Dieu créateur du ciel et de la terre, et son fils Jésus-Christ, annoncé par les
prophètes, et qui prêche un Dieu autre que le créateur et un fils de ce Dieu autre que le Christ.
Ses adhérents ne voyant la vérité qu'en lui; nous tournent en dérision, et cependant ils ne
peuvent rien prouver de ce qu'ils avancent; mais, semblables à des moutons enlevés par le
loup, ils se laissent stupidement ravir en proie aux opinions impies et aux perfides démons.
Car, il ne faut pas s'y méprendre, le but unique de tous les efforts et de tous les travaux de ces
méchants esprits est d'arracher les hommes à Dieu et à son Christ, son fils premier-né. Les
uns, ceux qui ne peuvent s'élever au-dessus de la terre, ils les fixent et les clouent aux choses
de la terre; mais ceux qui s'élèvent jusqu'à la contemplation des choses célestes, ils les en
détournent, s'ils n'ont le jugement sain et s'ils ne mènent une vie pure et exempte de troubles,
et ils les lancent dans l'impiété.
59. Pour que vous sachiez que c'est à la doctrine reçue de nos auteurs et de nos prophètes que
Platon doit d'avoir dit: Dieu a pris la matière informe, il l'a changée et il a fait le monde,
écoutez ce que disait Moïse, le premier des prophètes et le plus ancien des écrivains, comme
nous vous l'avons déjà démontré. Voici comment par sa bouche le Saint-Esprit raconte la
création du monde: "Au commencement, Dieu fit le ciel et la terre, et la terre était invisible et
informe, et les ténèbres étaient sur l'abîme, et l'esprit de Dieu planait sur les eaux. Et Dieu dit:
que la lumière soit; et la lumière fut." C'est donc la parole de Dieu qui a fait le monde, comme
le dit Moïse et de la manière dont il le rapporte, et c'est de lui que Platon l'a appris comme
tous ceux qui sont venus après lui, comme nous-mêmes, et comme vous aussi, vous le pouvez
voir. II n'y a pas jusqu'à l'Erèbe, comme l'appellent les poètes, qui n'ait d'abord été nommé par
Moïse.
60. Et quand, dans le Timée, Platon cherchant, à l'aide des lumières naturelles, ce qu'est le fils
de Dieu, dit: "Qu'il l'a imprimé en X partout, "c'est encore une idée qu'il a empruntée à Moïse.
Car nous lisons dans Moïse qu'au temps ou les Israélites traversaient le désert après la sortie
d'Égypte, ils furent assaillis par des animaux venimeux, des vipères, des aspics, des serpents
de tout genre qui dévoraient le peuple. Alors Moïse, par l'inspiration de Dieu et d'après ses
ordres, prit de l'airain, en fit une croix, et l'ayant placée sur le tabernacle, dit au peuple:
"regardez ce signe et croyez, et par lui vous serez sauvés." Et aussitôt tous les serpents
périrent, et le peuple fut sauvé. Platon lut ce fait, et ne remarquant pas que ce signe était une
croix, il crut que c'était seulement un X, et il dit "qu'après Dieu principe, la seconde vertu était
imprimée en X dans tout l'univers." Et ce qu'il appelle la troisième vertu, c'est l'esprit de Dieu
qui planait sur les eaux, et dont il avait pris connaissance dans Moïse. Aussi donne-t-il la
seconde place après Dieu à cette Parole qui est marqué en X dans tout l'univers, et la troisième a
cet esprit qui planait sur les eaux, car, dit-il: Les troisièmes sont autour du troisième. Quant à
la conflagration future, voici ce que prédit l'Esprit saint par la bouche de Moïse: "Le feu
descendra sur les vivants et dévorera jusqu'au plus profond de l'abîme." Ainsi donc nous ne
pensons pas comme les autres; mais ce que les autres disent, ils l'ont pris de nous. Telles sont
les choses que parmi nous l'on peut entendre et apprendre de la bouche même de ceux qui ne
connaissent pas la figure des lettres, gens ignorants et barbares de langage, mais sages et
fidèles d'esprit, quoique faibles encore et peu clairvoyants; afin qu'il soit clairement démontré
que ce n'est pas la sagesse humaine qui agit, mais bien la vertu de Dieu.
61. Nous allons maintenant vous exposer comment, rendus à la vie par Jésus-Christ, nous
sommes par lui consacrés à Dieu; car si nous omettions ce point, on pourrait nous accuser de
dissimulation dans notre récit. Tous ceux qui se sont laisse persuader de la vérité de nos
doctrines et de nos paroles, tous ceux qui y ont ajoute foi et croyance, et qui ont solennellement promis de vivre conformément à nos préceptes, apprennent à joindre leurs jeûnes à nos jeûnes, leurs prières à nos prières, pour obtenir de Dieu le pardon de leurs fautes passées. Ils sont ensuite conduits au lieu où est l'eau, et là, de la même manière que nous avons été régénérés, ils sont régénérés à leur tour; car ils sont lavés dans l'eau au nom de Dieu, père de l'univers, de Jésus-Christ, notre Sauveur, et du Saint-Esprit, en accomplissement de cette parole du Christ: "Si vous n'avez pas été régénérés, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux." Or comme il est impossible que ceux qui sont nés une fois rentrent dans le sein de leur mère, cette régénération ne se peut s'entendre que dans le sens du prophète Ésaïe, dont nous avons déjà rapporté les paroles, et qui la représente comme le moyen d'effacer les péchés, de convertir et de faire éviter le mal. "Lavez-vous, dit-il, et soyez purs; enlevez le mal de vos âmes; apprenez à faire le bien; rendez justice au pupille et faites droit à la veuve. Et puis venez et nous compterons, dit le Seigneur; et si vos péchés vous ont rendus rouges comme la pourpre, je vous rendrai blancs comme la laine; s'ils vous ont rendus écarlates, je vous rendrai blancs comme la neige. Mais si vous ne m'écoutez pas, le glaive vous dévorera. Et c'est la bouche du Seigneur qui a dit ces choses. "Les Apôtres aussi nous ont donné de cette régénération une explication semblable. Nous ignorons l'œuvre de notre génération naturelle; le mélange fortuit de nos parents, quelques gouttes de semence, telles en sont les causes; et ensuite nous sommes élevés dans l'habitude du mal et des leçons de l'iniquité. Or, pour que nous ne restions pas ainsi les fils du hasard et de l'ignorance, mais de l'élection et de la science, l'eau vient nous obtenir la rémission de toutes nos fautes passées. Le nom du Seigneur Dieu et maître de l'univers se prononce sur la tête de celui qui veut être régénéré et qui s'est repenti de ses égarements. À cette cérémonie de l'eau, nous ne donnons à Dieu d'autre nom que celui de Dieu; car qui pourrait donner un nom au Dieu ineffable? et n'y aurait-il pas folie à dire même qu'il a un nom? Cette ablution se nomme illumination, parce que ceux qui la reçoivent sont illuminés intérieurement. Et c'est au nom de Jésus-Christ, crucifié sous Ponce-Pilate, et au nom du Saint-Esprit qui a inspiré toutes les prophéties relatives à Jésus, que cette illumination se répand sur le nouveau chrétien.
62. Les démons connaissaient bien par les prophètes que cette ablution devait être établie;
aussi voulurent-ils que ceux qui entraient dans leurs temples, pour les supplier et pour y
présenter leurs offrandes et leurs sacrifices, se purifiassent par une aspersion d'eau lustrale; et
maintenant encore, on ne se met point en chemin pour aller visiter un temple ou résident
quelques-uns de ces démons, qu'on ne soit préalablement lavé de la tête aux pieds.
L'obligation de quitter sa chaussure, cérémonie que les prêtres exigent de ceux qui veulent
entrer dans les temples, n'est encore qu'une invention des démons et une imitation de ce qui
advint au prophète Moïse, à l'époque ou il reçut l'ordre de descendre en Égypte et d'en faire
sortir le peuple d'Israel. II était en Arabie, et faisait paître les troupeaux de son oncle maternel.
Jésus-Christ, sous la forme de feu, lui parla dans un buisson, et lui dit: "Quitte ta chaussure,
approche-toi, et écoute." Alors, ayant déposé ses sandales, il s'approcha, et entendit qu'il
devait descendre en Égypte, se mettre à la tête du peuple d'Israel qui y résidait, et le faire
sortir de cette terre. Et ayant reçu du Christ, qui lui parlait caché sous l'apparence du feu, une
grande puissance, il descendit, et fit sortir son peuple de la terre de servitude, à l'aide de
grands et merveilleux miracles, comme vous pouvez le lire dans ses ouvrages, si vous en avez
le désir.
63. Tous les Juifs, encore maintenant, enseignent que c'est le Dieu ineffable qui a parlé à
Moïse; aussi, dans Ésaïe, le Saint-Esprit leur reproche-t-il leur ingratitude: "Le boeuf a connu
son maître, et l'àne son étable: Israël ne m'a pas connu, et mon peuple ne m'a pas compris."
Jésus-Christ lui-même leur fait également ce reproche de n'avoir pas su ce qu'était le père ni
ce qu'était le Fils: "Personne, dit-il, ne connaît le père, si ce n'est le Fils; personne ne connaît
le fils, si ce n'est le père, et ceux à qui le Fils l'a révélé." Or, la Parole de Dieu est son fils,
nous l'avons dit. II est aussi appelé l'Ange et l'Apôtre; car il annonce tout ce qu'on doit savoir,
et il est envoyé pour marquer ce qui est annoncé, comme notre Seigneur nous l'a dit lui-
même: "Celui qui m'écoute, écoute celui qui m'a envoyé." C'est ce que prouvent encore les
écrits de Moïse, où nous lisons: "Et l'Ange de Dieu parla à Moïse dans la flamme du buisson
ardent, et dit: Je suis le Vivant, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob, le Dieu
de tes pères. Descends en Égypte, et fais-en sortir mon peuple." Quant à ce qui suit, vous
pouvez le voir dans ses livres si vous le voulez; car nous ne pouvons pas ici transcrire tous ces
passages. Ce que nous en avons dit était pour démontrer que Jésus-Christ est le fils de Dieu et
son Apôtre; et c'est lui-même, la Parole de Dieu, qui tantôt se montrait sous l'apparence du
feu, tantôt sous une figure incorporelle, lui qui s'est ensuite fait homme selon la volonté de
son père, et qui a souffert toutes les cruautés dont, à l'instigation des démons, les Juifs l'ont
accablé. Malgré ces positives explications de Moïse, malgré cette énumeration nominative:
"Et l'Ange de Dieu parla à Moïse dans la flamme du buisson ardent, et dit: Je suis le Vivant, le
Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob; "ils prétendent qu'il s'agit ici de Dieu le
père éternel, que c'est lui qui a parlé. Et de là viennent ces reproches de l'Esprit saint: "Israel
ne m'a pas connu, et mon peuple ne m'a pas compris." De là vient aussi que Jésus, étant au
milieu d'eux, leur disait: "Personne ne connaît le père, si ce n'est le Fils; personne ne connaît
le Fils, si ce n'est le père et ceux à qui le Fils l'a révélé." Ainsi donc, ils méritent bien le
reproche de ne connaître ni le père ni le Fils, ces Juifs qui pensent que c'est le père éternel qui
a parlé à Moïse, tandis que c'est le Fils de Dieu, son Ange et son Apôtre. Dire en effet que le
père est le Fils, c'est prouver que l'on ne connaît ni le père ni le Fils du père, ce Fils qui,
Parole et premier-né de Dieu, est Dieu comme lui. Nous l'avons dit déjà, il s'est manifesté à
Moïse et aux autres prophètes sous l'apparence du feu ou sous une forme incorporelle; et
maintenant, au temps de l'empire romain, il s'est fait homme; il est né d'une vierge, selon la
volonté de son père, et pour le salut de ceux qui croient en lui. II a souffert les mépris et les
supplices pour vaincre la mort par sa mort et par sa résurrection. Et ce qui fut dit à Moïse du
buisson: "Je suis le Vivant, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob et le Dieu de
tes pères, "prouve qu'ils existaient encore après leur mort, et étaient encore les hommes du
Christ; car ce sont eux qui, les premiers de tous, ont vécu dans la recherche de Dieu, Abraham
père d'Isaac, Isaac père de Jacob, comme le témoigne la généalogie rapportée par Moïse.
64. Ce simulacre de femme, que l'on nomme par excellence la Vierge, et que l'on érige
d'ordinaire auprès des sources d'eau, est encore une invention des démons, qui en ont fait une
fille de Jupiter, et cela a l'imitation des paroles de Moïse, comme vous pouvez vous en
convaincre d'après ce que nous avons déjà cité. Nous le répéterons ici: "Au commencement
Dieu créa le ciel et la terre, et la terre était sans forme, sans aspect, et l'esprit de Dieu planait
sur les eaux." C'est à l'instar de cet esprit de Dieu porté sur les eaux que Proserpine a été
inventée et présentée comme fille de Jupiter. La même malice leur a fait imaginer cette
Minerve, autre fille de Jupiter et née sans le commerce de la génération. Le monde existant
dans la pensée et la raison de Dieu, fut créé par la Parole; les démons ne l'ignoraient pas, et ils
appelèrent Minerve cette première conception de création. Et y a-t-il rien de plus ridicule que
de représenter une idée, une notion première sous la figure d'une femme? II en est de même
pour tous les autres prétendus fils de Jupiter: leurs actes les condamnent.
65. Revenons à nous. Quand celui qui s'est associé à notre foi et à notre croyance a reçu
l'ablution dont nous avons parlé plus haut, nous le conduisons dans le lieu où sont rassemblés
ceux que nous nommons nos frères. Là commencent les prières ardentes que nous faisons
pour l'illuminé, pour nous-mêmes et pour tous les autres, dans l'espoir d'obtenir, avec la
connaissance que nous avons de la vérité, la grâce de vivre dans la droiture des œuvres et
dans l'observance des préceptes, et ainsi de recevoir un salut éternel (hopôs tèn aiônion sôtèrian sôthômen) . Quand la prière est terminée, nous nous saluons tous d'un baiser de paix; ensuite on apporte à celui qui est le chef des frères; du pain, de l'eau et du vin. Il les prend et célèbre la gloire et chante les louanges du père de l'univers, par le nom du Fils et du Saint-Esprit, et fait une longue action de grâces, pour tous les biens que nous avons reçus de lui. Les prières et l'action de grâces terminées, tout le peuple s'écrie: amen! amen, en langue hébraïque, signifie, ainsi soit-il. Quand le chef des frères a fini les prières et l'action de grâces, que tout le peuple y a répondu, ceux que nous appelons diacres distribuent à chacun des assistants le pain, le vin et l'eau, sur lesquels les actions de grâces ont été dites, et ils en portent aux absents.
66. Nous appelons cet aliment Eucharistie, et personne ne peut y prendre part, s'il ne croit la
vérité de notre doctrine, s'il n'a reçu l'ablution pour la rémission de ses péchés et sa
régénération, et s'il ne vit selon les enseignements du Christ. Car nous ne prenons pas cet
aliment comme un pain ordinaire et une boisson commune. Mais de même que, par la parole
de Dieu, Jésus-Christ, notre Sauveur, ayant été fait chair, a pris sang et chair pour notre salut;
de même aussi cet aliment, qui par l'assimilation doit nourrir nos chairs et notre sang, est
devenu, par la vertu de l'action de grâces, contenant les paroles de Jésus-Christ lui-même, le
propre sang et la propre chair de Jésus incarné: telle est notre foi. Les Apôtres, dans leurs
écrits, que l'on nomme Évangiles, nous ont appris que Jésus-Christ leur avait recommandé
d'en agir de la sorte, lorsque ayant pris du pain, il dit: "Faites ceci en mémoire de moi: ceci est
mon corps; "et semblablement ayant pris la coupe, et ayant rendu grâces: "Ceci est mon sang,
"ajouta-t- il; et il le leur distribua à eux seuls. Les démons n'ont pas manqué d'imiter cette
institution dans les mystères de Mithra; car on apporte à l'initié du pain et du vin, sur lesquels
on prononce certaines paroles que vous savez, ou que vous êtes à même de savoir.
67. Après l'assemblée, nous nous entretenons les uns les autres dans le souvenir de ce qui s'y
est passé. Si nous avons des biens, nous soulageons les pauvres et nous nous aidons toujours; et
dans toutes nos offrandes, nous louons le créateur de l'univers par Jésus-Christ son Fils et par
le Saint-Esprit. Le jour du soleil, comme on l'appelle, tous ceux qui habitent les villes ou les
campagnes se réunissent dans un même lieu, et on lit les récits des Apôtres ou les écrits des
prophètes, selon le temps dont on peut disposer. Quand le lecteur a fini, celui qui préside fait
un discours pour exhorter à l'imitation de ces sublimes enseignements. Ensuite nous nous
levons tous et nous prions; et, comme nous l'avons dit, la prière terminée, on apporte du pain,
du vin et de l'eau, et celui qui préside fait les prières et les actions de grâces avec la plus
grande ferveur. Le peuple répond: amen, et la distribution et la communion générale des
choses consacrées se fait à toute l'assistance; la part des absents leur est portée par les diacres.
Ceux qui sont dans l'abondance et veulent donner, font leurs largesses, et ce qui est recueilli
est remis à celui qui préside, et il assiste les veuves, les orphelins, les malades, les indigents,
les prisonniers et les étrangers: en un mot, il prend soin de soulager tous les besoins. Si nous
nous rassemblons le jour du soleil, c'est parce que ce jour est celui où Dieu, tirant la matière
des ténèbres, commença à créer le monde, et aussi celui où Jésus-Christ notre Sauveur
ressuscita d'entre les morts; car les Juifs le crucifièrent la veille du jour de Saturne, et le
lendemain de ce jour, c'est-à-dire le jour du soleil, il apparut à ses disciples, et leur enseigna
ce que nous avons livré à vos méditations.
68. Si donc cet exposé vous parait raisonnable et sincère, prenez-le en considération. S'il vous
semble peu sérieux, traitez-le comme une bagatelle, dédaignez-le; mais du moins ne
condamnez pas des innocents comme vous frapperiez des ennemis coupables, ne les envoyez
pas à la mort; car, nous vous le prédisons, vous n'éviterez pas le jugement de Dieu si vous persistez dans votre iniquité. Pour nous, nous nous contenterons de dire: Que la volonté de
Dieu se fasse! Nous pourrions bien vous supplier, aux termes d'une lettre du très-grand et très-
illustre César Hadrien, votre père, de nous accorder une information réguliere telle que nous
la réclamons. Cependant la constitution d'Hadrien ne sera pas le titre principal que nous
invoquerons. Notre espoir est dans la justice de notre demande: c'est là ce qui nous a
déterminés à composer cette supplique et à détailler ce récit. Néanmoins, nous avons ajouté
ici une copie de la lettre d'Hadrien, comme preuve de nos allégations. La voici:
HADRIEN A MINUCIUS FUND ANUS.
69. J'ai reçu la lettre du clarissime Serenius Granianus, à qui vous avez succédé. Le fait me
semble de nature à demander une enquête, pouréeviter les troubles et ne pas laisser prise à la
calomnie. Si les hommes des provinces veulent donner suite à leurs pétitions contre les
Chrétiens et les appeler devant votre tribunal, qu'ils s'y rendent; mais qu'ils s'abstiennent de
pétitions et de vagues récriminations. II est bien plus convenable, s'il y a une accusation
intentée, que vous en connaissiez. Ainsi donc, si on accuse les Chrétiens, et qu'on démontre
qu'ils ont agi contre les lois, jugez-en selon la gravité du délit. Mais si, par malheur, ce n'est la
qu'un prétexte de calomnies, faites une enquête sévère de cette cruelle conduite, et ayez soin
de tirer vengeance des calomniateurs.
"Nous vous montrerons aussi que nous adorons justement celui qui
nous a enseigné toutes choses, et qui a été engendré
pour cela,
Jésus-Christ ... en qui nous voyons le Fils du vrai Dieu, et
que nous
mettons au second rang et en troisième lieu, l'Esprit prophétique.
Quelle folie, nous dit-on, de mettre à la seconde place après
le Dieu
immuable, éternel, créateur de toutes choses, un homme
crucifié.
C'est un mystère que l'on ignore. Nous allons vous l'expliquer;
veuillez nous suivre..." 1:13
"Nous croyons au Dieu très vrai, Père de la justice, de
la sagesse et
des autres vertus, en qui ne se mélange rien de mal. Avec lui
nous
vénérons, nous adorons, nous honorons en esprit et en
vérité le Fils
venu d'auprès de lui, qui nous a donné ces enseignements..."
1:6
"C'est la Parole qui vous le déclare, le prince le plus puissant
et le
plus juste après Dieu qui l'a engendré..." 1:10
"La Parole, le premier-né de Dieu, Jésus-Christ notre
maître, a été
engendré sans opération charnelle. Lui, la Parole de
Dieu est né de
Dieu, par un mode particulier de génération contairement
à la loi
ordinaire. Jésus-Christ seul est proprement le Fils de Dieu,
sa Parole,
son premier-né, sa puissance, et il s'est fait homme par sa
volonté
pour nous apporter une doctrine destinée à renouveler
et à régénérer
le genre humain." 1:21-23
Témoignage sur Justin Martyr
Parmi les chrétiens qui
souffrirent le martyre à Rome sous l'empereur Marc-Aurèle,
on peut mentionner Justin, surnommé Martyr. Son histoire est d'autant
plus édifiante qu'il avait été, comme l'empereur lui-même,
un philosophe et s'était opposé à l'évangile
comme tant d'autres tenants de la sagesse humaine, ennemis de Christ et
de la croix.
Justin était né de
parents païens, à Néapolis, ville de Samarie, bâtie
sur l'emplacement de l'ancienne Sichem. Il raconte lui-même comment,
dans sa jeunesse, désirant ardemment connaître la vérité,
il avait fréquenté toutes les écoles de philosophie
du monde gréco-romain, étudiant avec soin les systèmes
des sages de ce monde, sans rien trouver qui satisfît son âme
et répondît à ses besoins spirituels.
Un jour, au cours d'une promenade
au bord de la mer, il rencontra un vieillard d'aspect vénérable
qui entra en conversation avec lui. Justin s'ouvrit à cet inconnu,
qui avait gagné sa confiance. Il lui dit son ardent désir
de trouver Dieu, et tout ce qu'il avait fait pour y arriver mais en vain.
Le vieillard lui répondit
qu'en effet tous les enseignements des philosophes ne pouvaient l'amener
à la connaissance de Dieu et à la possession de la paix à
laquelle il aspirait, car, dit l'apôtre Paul, "le monde, par la sagesse,
n'a pas connu Dieu". Puis le vieillard parla à Justin de la révélation
que Dieu avait donnée aux hommes par les écrits des prophètes
et les évangiles, et le pressa de les lire attentivement. "Priez",
ajouta-t-il, "pour que les portes de la lumière vous soient ouvertes,
parce que les Ecritures ne peuvent être comprises qu'avec l'aide
de Dieu et de son Fils Jésus Christ".
Le vieillard s'éloigna et
Justin ne le revit plus. Mais il suivit ses conseils. Il lut et médita
les Ecritures ; il pria, et Dieu répondit à ses requêtes.
Il trouva la lumière et la paix en Jésus Christ. Une fois
converti, il devint un ardent défenseur du christianisme. Plein
de zèle pour la vérité qu'il avait saisie, et qui
remplissait et réjouissait son coeur, il se mit à voyager,
toujours vêtu de sa robe de philosophe, en Egypte et en Asie, annonçant
l'évangile à tous ceux qui voulaient l'entendre.
Justin se fixa enfin à Rome
et continua d'y enseigner. Il cherchait à se mettre en rapport avec
les philosophes, dans le désir de leur faire connaître la
vérité. Mais l'un d'eux, nommé Crescent, irrité
de ce que Justin l'avait réduit au silence au cours d'une discussion,
le dénonça comme chrétien. Justin, avec six autres,
parmi lesquels une femme, comparut devant le préfet de Rome, Ructicus.
Celui-ci, voyant Justin revêtu de sa robe de philosophe, lui demanda
quelles doctrines il professait.
J'ai cherché à acquérir
toutes sortes de connaissances, répondit Justin ; j'ai étudié
dans toutes les écoles de philosophie, et je me suis enfin arrêté
à la seule vraie doctrine, celle des chrétiens, de ces hommes
méprisés par tous ceux qui sont dans l'aveuglement et l'erreur.
- Comment, misérable, tu
suis cette doctrine ? s'écria le préfet.
- Oui, et c'est avec joie ; car
je sais qu'elle est vraie.
Interrogé ensuite sur les
lieux où les chrétiens se réunissaient, il répondit
qu'ils s'assemblaient où ils pouvaient, non pas tous en un même
lieu, "car le Dieu invisible remplit les cieux et la terre, et est adoré
et glorifié partout par les fidèles".
Le préfet l'ayant menacé
de mort s'il persistait dans sa conviction, le témoin de Christ
répondit : "Tu peux me faire souffrir ; je n'en resterai pas moins
en possession de la grâce qui assure le salut, partage de tous ceux
qui sont à Christ".
- Tu crois donc aller au ciel ?
- Non seulement je le crois, mais
je le sais.
Telle fut la réponse pleine
d'assurance du philosophe qui, après avoir été si
longtemps ballotté par tout vent de doctrine humaine, avait enfin
trouvé pour son âme une ancre sûre et ferme, une espérance
qui ne confond point.
Le préfet s'efforça
alors de persuader Justin et ses compagnons de "sacrifier aux idoles".
Nul homme sain d'esprit, répondit
Justin, n'abandonnera une certitude divine pour se vouer à l'erreur
et à l'impiété.
- Sacrifiez, ou vous serez condamnées
sans miséricorde.
- Je ne désire que souffrir
pour le nom de Jésus, mon Sauveur, devant le tribunal duquel je
paraîtrai avec confiance. Sachez que le monde entier doit comparaître
devant Lui un jour.
Et les six compagnons du martyr
confirmèrent ses paroles : "Faites ce que vous voudrez", dirent-ils
; "nous sommes chrétiens et ne pouvons sacrifier".
Le préfet alors prononça
la sentence : "Ceux qui refusent de sacrifier aux dieux et d'obéir
aux édits de l'empereur qui l'ordonnent, seront battus de verges,
puis décapités".
Les martyrs se réjouirent
et louèrent Dieu d'avoir été trouvés dignes
de souffrir et de mourir pour Christ. Après avoir été
fouettés, ils eurent la tête tranchée. Ils attendent
maintenant auprès du Seigneur la "récompense" : la couronne
de justice et la couronne de gloire.