Invente-t-on ou découvre-t-on les lois scientifiques ?
Dans le monde des sciences naturelles, et en particulier de la physique, on est habitué à travailler avec des lois qui sont stables, universelles, intelligibles et formulables mathématiquement. La question que l’on peut se poser, c’est si nous découvrons une rationalité du monde qui existe avant nous, ou si nous donnons une rationalité à un monde qui n’en a pas.
Je ne vais donc pas parler de la position purement spiritualiste qui dit que l’on invente le monde, ou que notre conscience en détermine le fonctionnement. Je pars du principe que le monde existe, et qu’il marche de la même manière qu’on y réfléchisse ou pas.
On peut déjà s’émerveiller que les lois soient stables et universelles, que les lois de Pise ne différent pas de celles de New York, et que l’on puisse s’attendre à ce qu’elle fonctionne de la même manière sur Titan – et que l’on arrive à poser une sonde sur une comète à partir des mêmes lois. Un monde chaotique où tout se passerait de manière imprévisible, sans régularité observable, serait également possible. Mais plus que cela, ce qui est surprenant c’est à quel point les mathématiques sont adaptées pour la formulation de la physique.
Un étonnant pouvoir prédictif
La chose s’est passée maintes et maintes fois : on observe de manière approximative une régularité qui pourrait correspondre à une formulation mathématique, on fait comme si c’est le cas, et par miracle en appliquant les mathématiques bien au-delà des observations initiales, on retombe sur une réalité du monde matériel. Ainsi, Newton a formulé sa loi de la gravitation sur la base d’observations sur la chute des corps et de la circularité des orbites célestes. Il en a tiré une loi exacte bien au-delà, suffisante pour aller faire choir des corps sur la Lune – même si, depuis, cette loi a été dépassée par la relativité d’Einstein. De même, Dirac a prévu l’existence du positon sur des bases purement mathématiques, sans qu’on l’ait observé auparavant, et a vu juste(1).
Quel rapport?
Je suis d’avis que ces faits reflètent un lien entre le monde des concepts mathématiques et la réalité matérielle. On peut envisager au moins deux positions qui en diffèrent :
Les mathématiques seraient construites à partir de la réalité matérielle, il n’y aurait donc rien de surprenant à ce qu’elles y correspondent. Il y a quelque chose de vrai dans cette position, nos premiers concepts mathématiques (tels les nombres naturels) proviennent de l’observation du monde, et nous sélectionnons les concepts utiles via notre expérience du monde. Mais les mathématiques ont une vie propre : les mathématiciens les développent dans un monde de la pensée et de la logique assez abstrait, et souvent des concepts mathématiques développés pour eux-même se trouvent beaucoup plus tard être utiles pour décrire le monde.
Nous concevrions nos mathématiques pour elle-même, puis les plaquerions sur un monde qui n’y correspond pas vraiment, simplement parce que c’est le seul outil dont nous disposions. L’idée est concevable, mais ne rend pas bien compte de l’immense pouvoir prédictif des mathématiques. Des lois « simples » établies sur la base de résultats approximatifs s’avèrent précises au-delà de toute raison, ce qui ne serait pas le cas si on ne faisait qu’ajuster nos mathématiques sur un monde chaotique ou plus complexe.
De fait, c’est une loi empirique, qu’Eugene Wigner appelle l’article de foi du physicien théoricien, que des lois mathématiquement simples ont un pouvoir prédictif démesuré dans le cadre qui est le leur. Comme il le dit aussi :
Le miracle de l’adéquation du langage des mathématiques à la formulation des lois de la physique est un don merveilleux que nous ne comprenons et ne méritons pas (2)
.
Dans tout cela, ce qui reste étonnant, c’est le lien entre le monde des concepts et la réalité matérielle. On peut observer la réalité, prendre quelques informations, passer dans le monde des concepts, progresser par la logique mathématique, redescendre dans la réalité et la trouver en accord avec notre réflexion. Il y a une forme de rationalité dans le monde matériel, et il est d’autant plus surprenant que nous soyons capable de la saisir. D’une certaine manière, ce fait est inexplicable.
La rationalité des lois, un argument pour le créateur
Il y a cependant quelques déductions que l’on peut proposer. On peut proposer comme axiome raisonnable que la rationalité ne peut être produite que par un être rationnel. Alors, le fait que le monde matériel soit régit par des concepts intelligibles est une indication qu’il a été fait par un concepteur intelligent. La Bible l’exprime en ces termes :
Hébreux 11:3 C’est par la foi que nous comprenons que le monde a été formé par la parole de Dieu, de sorte que ce qu’on voit ne provient pas de ce qui est visible.
Le miracle de notre capacité à comprendre le monde est aussi bien plus facile à comprendre dans une optique théiste voire chrétienne4.
Dans la Bible, l’homme est créé à l’image de Dieu, et l’intelligence humaine est vu comme un don de Dieu, une des choses que Dieu a voulu voir en l’homme. Dans cette optique, il est logique qu’il y ait une parenté entre notre raison et la raison qui structure le monde. Le lien entre les concepts intellectuels et logiques, le fonctionnement du monde, et notre intelligence est un des arguments fort pour croire en un Dieu intelligent, concepteur du monde, et en une relation spécifique de l’homme à Dieu. Constater le miracle de l’adéquation entre mathématique et physique est une chose, mais il serait regrettable de s’arrêter là, sans se demander d’où vient ce miracle.
Jean-René Moret, Décembre 2014
Outre les articles cités, je me suis inspiré de la présentation de Sylvain Bréchet : L’argument rationnel et la physique. On consultera également avec profit les articles La science a-t-elle besoin de la foi? et La foi chrétienne est-elle un obstacle à la science?, ainsi que le débat La science rend-elle la religion impossible?
Voir en bref http://fr.wikipedia.org/wiki/Positron
http://www.dartmouth.edu/~matc/MathDrama/reading/Wigner.html. L’article de Wigner mérite d’être lu intégralement, pour ceux qui maitrisent l’anglais. Similairement, Einstein écrit :
Pourquoi les mathématiques, qui sont le produit de la pensée humaine et sont donc indépendantes de toute expérience, peuvent-elles s’adapter d’une si admirable manière aux objets de la réalité ?
source : (http://www-history.mcs.st-andrews.ac.uk/Extras/Einstein_geometry.html)
Wigner note dans l’article déjà cité : « Il est certainement difficile de croire que notre capacité de raisonnement a été amené à la perfection qu’il semble posséder par le processus darwinien de sélection naturelle »
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